La scène, la scène, la scène ! Je me dois à mes fans, et je l'ai compris dès la première minute. Je suis jeune, j'ai la pêche, j'ai des admiratrices jalouses et des admirateurs excités. Mais peu importe si elles rêvent de ma beauté ou si ils rêvent de me sauter, toutes et tous sont là, que ce soit à une vente de CD, que ce soit lorsque je sors en ville après en avoir informé les media, que ce soit lors de mes concerts. Ces moments-là, quand je suis sur scène et qu'ils m'adulent tous, ce sont de vrais moments d'extase. Je ne sais si ça s'appelle aussi la jouissance ; celle que je connais sur le plan sexuel est du genre limitée, vue mon inexpérience et, de ce fait, l'absence de diversité pour en juger. Mais, quand je sens mon corps vibrer sous les projecteurs, ça me procure un plaisir dont je ne saurais me passer.
Cette fois, pourtant, c'est le dernier concert de la tournée. Mon manager a choisi Seikusu, et carrément une scène aménagée dans la salle polyvalente du lycée, soi-disant parce que c'est une ville où les jeunes ont même créé une page sur moi dans les réseaux sociaux. Je pense plutôt que c'est là où vit son ex, et surtout là où habitent sa fille qui voudrait me ressembler et son fils qui voudrait m'épouser, du moins selon ses dire. Me marier, moi ? A mon âge ? C'est une blague ! Avec toute cette salle qui rêve de moi... Oh non, ça ferait trop de déçus parmi les non-élus, voire les non-élues. Oui, après tout, peut-être que ce sera une femme qui...
Mais pas le temps d'y penser pour le moment. Le retour oreillette m'indique que se lance l'intro de ma chanson fétiche, paraît-il inspirée d'une chanson d'amour française. La salle tape ds pieds, les bras sont tendus vers moi, des smartphones crépitent. Bon sang, sécurité de pacotille, j'avais dit que je ne voulais pas de photos réalisées à la sauvette pour traîner sur quelque réseau social ou autre blog ! S'ils ont fouillé les spectatrices, ça devait être pour les tripoter plus qu'autre chose. Quant aux mecs, je suis sure qu'ils n'ont pas osé les approcher.
Et ça continue... Alors que la salle scande le refrain, une espèce de tarée, que je n'ai même pas vue venir, se jette sur moi. Bras sur l'épaule, sa tête contre la mienne, le smartphone en face, et le flash en pleine tête, pour dire aux copines « t'as vu, j'étais près d'elle ». Pas assez rapide, je l'écarte enfin d'un sec mais discret coup de coude, reprenant juste au début du deuxième couplet, entendant dans l'oreillette un « Kiro s'en charge » même pas rassurant.
Pourtant, tournant la tête juste un peu, j'aperçois ce colosse qui a empoigné la demoiselle par les cheveux, l'entraînant hors de la scène avec un total et justifié manque de douceur. Je la devine descendre l'escalier, tirée sans ménagement, avec les jambes qui doivent claquer sur le bois, et je la vois distinctement faire un vol plané qui lui passera, je l'espère, l'envie de recommencer.
Mais Kiro ne semble pas en avoir fini, car je le vois remonter à sa place sur scène, exhiber un smartphone qui doit être celui de la demoiselle, et le piétiner à coups de rangers. Bien fait ! En voilà une à qui ses élucubrations auront coûté cher, et qui ne recommencera pas de sitôt...