Le passé est le socle sur lequel se construit l'avenir.
Sa connaissance ne nous épargne pas ses écarts.
Elle nous informe sur notre destinée.
— attribué à Leto le Tyran
Notre ère commence il y a plus de 10.000 ans. Et son début se situe environ 17.000 ans après la vôtre.
L'épopée spatiale des humains a eu lieu par vagues et au gré d'épisodes violents. Bien avant que votre ère se termine, notre berceau, la Terre, avait été abandonnée et oubliée depuis longtemps, un jardin protégé délaissé par des états conquérants tournés vers l'infini.
Au cours de votre 12e millénaire, un grand empire finit par unifier les territoires éparpillés de l'Humanité, tirant profit de la découverte du voyage plus rapide que la lumière et du développement de superordinateurs capables de voyager à ces vitesses et de diriger pareille étendue.
Il devint finalement difficile de savoir qui des humains ou des machines pensantes dirigeait vraiment l'Ancien Empire. Face à une technocratie toujours plus inhumaine et désincarnée, une grande révolte s'éleva.
Le Djihad butlérien engloutit trois générations dans une guerre d'extermination mutuelle. Une guerre que les humains finirent par remporter contre les machines pensantes et leurs serviteurs, leurs bêtes serviles.
Une nouvelle société s'éleva de plus d'un siècle de guerre totale et de massacres.
Des milliards d'humains étaient morts. Toute l'ancienne structure impériale, reposant sur les machines pensantes, s'était effondrée.
L'union était préservée par un sentiment d'appartenance et par une foi unique, syncrétisme de multiples religions dont la Bible catholique orange était le Livre. Son Premier Commandement était :
Tu ne créeras point de machine à l'image de l'esprit humain.Mais cette union des esprits ne suffisait pas aux élites établies par le Djihad, qui rêvaient de reconstituer l'Empire.
L'unification vint du plus inattendu des lieux : Salusa Secundus, planète hostile et depuis longtemps au ban de l'Empire, n'avait jamais eu à reposer sur les machines pensantes. Le monde avait été récemment unifié par la Tribu de Sardau et sa caste guerrière, les Sardaukars, profitèrent de l'effondrement total de leur voisinage pour se lancer à travers les étoiles.
Les voyages spatiaux étaient beaucoup plus lents à présent. Il leur faudrait plusieurs siècles pour s'imposer définitivement. Mais ils y parviendraient.
Un autre lieu apporta une aide inattendue aux humains : le monde d'Arrakis, aussi appelé Dune, n'avait jamais été colonisé par les humains, mais une étude récente avait révélé une transformation radicale.
Toute la planète s'était changée en un désert aride et hostile, parcouru par quelques rares animaux et plantes et envahie par l'unique ver des sables. Et d'une façon indéterminée, le ver était lié à une nouvelle substance : l'Epice.
Raffinée en Mélange, l'Epice pouvait être consommée par les humains pour accroître les limites de leurs esprits et de leurs capacités et prolonger la vie. Les élites y ayant accès et d'autres groupes intéressés commencèrent à en faire l'acquisition.
Un groupe en ayant fait un usage inédit était la future Guilde Spatiale. En exposant ses agents à des quantités énormes de Mélange, elle les fit muter en êtres capables de briser les barrières de l'espace et du temps. Ces Navigateurs remplacèrent les machines pensantes pour le voyage interstellaire et la Guilde Spatiale établit un monopole sur celui-ci.
D'autres groupes suivaient, avec leurs propres talents :
– les Mentats, secte de mathématiciens et logiciens, développèrent leurs esprits de telle manière qu'ils devinrent des supercalculateurs, leurs plus grands maîtres dépassant les machines pensantes. Ils devinrent les intendants des mondes humains, inestimables pour leurs dirigeants ;
– le Bene Gesserit, ordre religieux monastique de femmes souvent qualifiées de sorcières, tournées vers la connaissance et la maîtrise du corps et de la physiologie, maîtresses des ombres de l'Empire, concubines royales, espionnes d'excellence. Elles dirigent l'Humanité depuis les ombres tout en poursuivant en secret leur recherche de l'humain ultime, un homme qui leur apporterait un contrôle total sur les humains : le Kwisatz Haderach ;
– les docteurs Suk étudièrent les propriétés du Mélange, comme de toute substance naturelle et le corps lui-même, pour développer une médecine généralement douce, orientée sur la prévention des maux avant tout.
Des entrants clandestins étaient les Zensunnis. Persécutés à travers l'Empire, ces nomades très spirituels virent en Arrakis un élément de la grande prophétie de leur foi divergente. Ils colonisèrent ce monde en cherchant la symbiose avec lui. On les appelle aujourd'hui : Fremens.
L'émergence de ces nouveaux pouvoirs participa à achever la reconstruction impériale.
Un peu moins d'un siècle avant notre ère, la bataille de Corrin détermina le visage du futur empire. Les Sardaukars imposaient un règne sanglant au reste de l'univers connu à ce stade. Depuis leur installation sur le monde paradisiaque de Kaitan, leur ancien monde servait de prison à des dizaines de millions d'ennemis et prisonniers dont les enfants pouvaient espérer être libérés en échange de leur service fanatique et mortel au sein des Sardaukars.
Ce règne devait prendre fin et l'assemblée des sujets de la Tribu de Sardau, le Landsraad, se révolta. Après la trahison du Bashar Abulurd Harkonnen, les forces du Burseg Sheuset Costin Ecevit faillirent être anéanties. Seule l'intervention d'un jeune auxiliaire, Demetrios Atreides, sauva les Sardaukars et tourna la bataille en impasse.
Pour cet acte, Atreides fut anobli, et ainsi commença la longue rivalité avec les Harkonnen.
L'impasse à Corrin força tous les pouvoirs humains à la table des négociations et ainsi naquit le Nouvel Empire. Sheuset Costin I en fut le premier Empereur Padishah, Maître de l'univers, réformant par la même les Sardaukars pour en faire son armée personnelle et celle de ses descendants de la nouvelle Maison Corrino, maîtresse du Trône du Lion à Kaitan.
Né d'une impasse, cet empire s'incarna en une gigantesque impasse. L'Empereur Padishah, les Maisons Nobles, la Guilde Spatiale et toutes les forces de l'univers s'enfermèrent dans un système privilégiant la stabilité et l'immobilisme. Le Landsraad fut réformé de telle sorte que nul ne puisse souhaiter que la position de son voisin change, car tout changement entraînerait un changement pour tous. Les guerres ouvertes étant mal vues, de petites guerres privées, souvent menées par des batailles limitées et décisives ou par des assassinats, se généralisèrent dans un jeu d'alliances changeant au gré des contextes.
Ainsi, l'Empereur gardait le contrôle sur le Landsraad. Le Landsraad continuait de représenter un contre-pouvoir rassurant sur l'Empereur. Et la Guilde Spatiale conservait son monopole.
Le Statu Quo était instauré.
Pendant plus de 10.000 ans, cet équilibre fut conservé, jusqu'à ce qu'un homme devienne suffisamment populaire pour le menacer, et que la réaction à cette menace entraîne l'effondrement du pouvoir des Corrino.
Atreides : parangons de vertu, gentils de l'univers !
Des serviteurs zélés, des guerriers au service de l'Empire.
Des maîtres pragmatiques, toujours prêts à la guerre.
Ils n'ont jamais hésité à exploiter l'art du mensonge et à manipuler.
Atreides : un joli conte pour enfants qui cache la vérité !
— citation non attribuée
Les Atreides furent de grands serviteurs de l'Empereur, administrant plusieurs mondes d'une main de fer en son nom pendant dix millénaires. On ignore leur cheminement exact. On sait qu'ils étaient maîtres de Caladan depuis vingt générations au moment de leur départ pour Arrakis et que leur dirigeant avait atteint le rang très prestigieux de Duc.
Les Atreides ont aussi poursuivi leur rivalité avec les Harkonnen, pour toujours réduits à la Baronnie mais compensant leur déchéance par une soif inextinguible de pouvoir et de richesses. Ils étaient les administrateurs d'Arrakis pendant 80 ans avant que les Atreides les remplacent.
Le Duc Leto Atreides bénéficiait de millénaires d'un service et d'une réputation immaculés. Il était respecté tant pour son héritage que pour ses propres talents : juste, réfléchi, loyal.
Il avait même renoncé à se marier pour que les autres Maisons cherchent à entretenir de bonnes relations avec lui en vue d'une alliance éventuelle. Il n'avait qu'un enfant, un fils né d'une concubine, la Bene Gesserit Jessica Nerus.
Bien qu'il considère que sa Maison s'était ramollie sur le monde lointain et tranquille de Caladan, où elle avait probablement été envoyée pour limiter son influence à l'origine, ses forces restaient certaines, sa maisonnée fidèle et compétente et le Landsraad très respectueux.
Sous son règne, même l'éloignement de Caladan ne suffisait plus à l'empêcher de peser lourd dans la balance au Landsraad, le nombre de ses sympathisants menaçant de renverser le Statu Quo.
L'Empereur Padishah Shaddam IV, un couard notoire, décida de ne plus tolérer cette menace potentielle lui pesant excessivement. Il se ligua avec la Guilde Spatiale, le Bene Gesserit et les Harkonnen pour mener un plan vicieux destiné à les éliminer.
Les Harkonnen furent destitués de leur fief d'Arrakis, qui leur avait permis d'amasser une immense fortune à côté de celle versée en tribut à l'Empereur. Ils furent forcés de le remettre à leurs ennemis, les Atreides mais, avant cela, ils prirent soin de tant saboter la production d'Epice que toute la Maison dut abandonner Caladan pour se relocaliser en totalité sur son nouveau fief.
L'Empereur refusa de sanctionner les Harkonnen et continua de réclamer son tribut aux Atreides, qui furent bloqués sur un monde étranger et hostile, entourés de pièges et d'espions, constamment sous pression.
Les Atreides comprenaient très bien que toute l'opération était un piège et ils firent leur possible pour contenter l'Empereur tout en se préparant à l'affrontement, protégeant leurs intérêts et leur maisonnée et donnant à leurs ennemis l'impression d'être faibles pour les forcer à attaquer plus tard et avec le moins de forces possibles.
Un de leurs grands plans était une alliance avec les Fremens. Le peuple d'Arrakis s'était divisé depuis longtemps entre habitants des villages et habitants des sietchs. Les premiers servaient de main d'œuvre servile tandis que les autres étaient peu considérés, vus comme une poignée de quelques milliers de guerilleros sans ressources et affamés repoussés dans le désert lointain.
Avec justesse, les Atreides avaient parié sur une toute autre situation et leur agent, Duncan Idaho, leur confirma l'existence de centaines de sietchs et de plusieurs millions de redoutables guerriers fremens, aussi redoutables sinon plus que les Sardaukars.
Mais leurs plans n'eurent pas le temps d'arriver à terme, et leurs jeux d'apparences finirent par déstabiliser véritablement leur maisonnée, cachant le traître en leur sein.
Le Dr Wellington Yueh drogua les Atreides et désactiva leur défense lorsqu'une force d'invasion écrasante de Harkonnen et de Sardaukars en livrée harkonnen s'abattit sur l'ensemble de la planète, et sur Arrakeen et le cœur de la Maison Atreides en particulier.
Les Atreides se défendirent vaillamment, mais furent exterminés.
La famille ducale fut capturée. Le Duc s'ôta la vie en essayant de tuer le Baron Vladimir Harkonnen, en vain. Dame Jessica et son fils, Paul, disparurent dans le désert dans un prétendu accident d'ornithoptère. Ils furent retrouvés et pourchassés avant de disparaître pour de bon dans une tempête coriolis, un phénomène extrême dont personne ne devait pouvoir ressortir vivant.
Tout témoin, civils inclus, fut éliminé.
Le combat tombait sous le coup de la vendetta et fut accepté dans la mesure ou le Duc s'était suicidé et que les Harkonnen faisaient valoir un accident dans la disparition de Paul et Jessica.
Ils reprirent le contrôle de leur fief après moins d'un an d'absence et, pour compenser les dépenses dispendieuses nécessaires à l'exécution du plan, ils se résolurent à exploiter Arrakis comme jamais, s'enfonçant dans le désert et exerçant un joug inhumain sur la population.
Et le cruel neveu du Baron, Raban la Bête, fut chargé de la tâche, afin de s'assurer qu'aucune question morale n'entrave la bonne marche de leur enrichissement indécent.
Caladan fut donnée à l'ami de l'Empereur et architecte de tout ce plan : le comte Hasimir Fenring.
Une légende raconte que lorsque le Duc Leto périt
Un météore traversa le ciel au-dessus de son palais ancestral sur Caladan.
— Princesse Irulan, Introduction à un livre pour enfants
sur la vie de Muad'Dib
Paul Atreides était l'enfant d'une concubine, mais il reçut toutes les attentions et les enseignements qu'un héritier de sang bleu aurait pu espérer. Peut-être en reçut-il plus encore.
Leto Atreides savait que son fils serait en danger permanent et, dès le plus jeune âge, il le plongea dans des études sans fin. Elles étaient tant destinées à l'éduquer qu'à l'empêcher de s'exposer à des dangers et à fréquenter l'extérieur. Il vécut à travers ses livres et ses films, curieux de tout ce qu'il ne pouvait voir et connaître.
Au-delà d'une éducation complète d'excellence et d'une formation extensive à l'usage des armes, Paul fut formé en secret par le Mentat de son père et serviteur Atreides depuis trois générations, Thufir Hawat, à la logique et au compartimentage mentat. Ces connaissances, cette compétence martiale et ses capacités intellectuelles et psychiques élargies le sauvèrent toutes une fois sur Arrakis.
Dame Jessica devait donner au Duc une fille qui serait ensuite mariée à un neveu du Baron Harkonnen. Par amour, elle avait donné au Duc un fils. Elle aussi savait son fils menacé et elle le forma, en secret et en totale illégalité, aux arts du Bene Gesserit.
Paul apprit la discipline du Prana Bindu. Il apprit à contrôler son corps, à en connaître le moindre muscle et son fonctionnement, se déplaçant plus vite que l'œil pouvait le voir et de façons inattendues. Il apprit à user de la Voix pour contrôler les esprits faibles. Il apprit à contrôler son métabolisme pour se prémunir des maladies et des poisons.
Tous ces talents restaient majoritairement encore à développer à la mort de son père, mais il les maîtrisa sur Arrakis et eux aussi sauvèrent sa vie.
Bien qu'il n'ait pas d'amis de son âge, Paul se fit des amis de certaines personnes dans l'entourage de son père.
Duncan Idaho, agent atreides et maître d'armes Ginaz, lui enseigna une certaine mesure de stoïcisme et quelques astuces à utiliser au combat. Il fut son confident et son meilleur ami.
Wellington Yueh, son docteur Suk et précepteur en sciences, était aussi un confident important et un ami. Il lui apprit à prendre soin de sa santé et à respecter son corps. Sur Arrakis, cette amitié lui sauva la vie.
Avant de partir pour Arrakis, il reçut la visite de l'ancienne préceptrice bene gesserit de sa mère, la Diseuse de vérités de l'Empereur en personne, Gaius Helen Mohiam.
Informée des plans de l'Empereur, elle chercha, par affection pour Jessica, à tester le garçon. Il fut soumis à l'épreuve de la boîte et à la menace du gom jabbar, une épreuve extrêmement douloureuse dont l'échec signifiait une mort instantanée par aiguille empoisonnée.
Paul réussit et la Révérende-Mère accepta de faire son possible pour protéger Jessica et son fils.
Cette volonté allait pousser le Baron à user de moyens aussi détournés que possible pour se débarrasser d'eux, et leur donner l'opportunité de lui échapper. Elle leur sauverait la vie.
Il n'avait que 15 ans lorsque son père reçut la charge d'Arrakis. Arraché à son monde à un âge crucial, il fut plongé dans un monde hostile où le caractère profond de son entourage se révéla ; y compris celui de son père, qui révéla tant son profond pragmatisme, sa part d'ombre, que ses faiblesses.
Il vit sa maisonnée se dissoudre dans des suspicions et des doutes qui, joués au départ, devinrent bien réels.
Son meilleur ami, Duncan Idaho, était absent, en mission pour son père auprès des Fremens avant de les rejoindre définitivement.
C'est aussi seul qu'il dut sauver sa vie lorsqu'un drone assassin passa outre la sécurité de Hawat pour menacer directement sa vie.
Ainsi, Paul apprit trop jeune que les hommes qu'il avait prit pour modèles n'étaient pas infaillibles et qu'il devait s'endurcir et se reposer sur lui-même. Il se referma sur son étude de sa nouvelle maison et de ses peuples, et cela aussi lui sauva la vie.
Il y avait bien des moments plus doux, plus simples.
Paul rencontre Liet Kynes, le planétologiste de l'Empereur et Arbitre du Changement, en somme l'agent personnel de Shaddam IV sur place, chargé d'observer et de ne surtout rien faire. Pourtant, Kynes se prit d'intérêt pour Paul, car Liet était aussi son nom fremen et il avait deux maîtres. Et il fut celui qui observa l'enfant et annonça les signes aux sietchs.
Il fit aussi la rencontre de la Princesse Irulan, fille de Shaddam IV, à l'occasion d'un dîner durant lequel ils échappèrent à leurs gardes et, seuls, se prirent d'une vive affection. Plus tard, Paul l'oublierait presque, mais jamais Irulan ne l'oublierait.
Sur Arrakis, Paul n'était plus simplement le fils du Duc. La population aux yeux de l'ibad, bleu sur bleu, le voyait avec une déférence religieuse.
Il était vu comme le Lisan al-Gaib, enfant d'une Maîtresse de l'Etrange, né sur un autre monde mais qui connaîtrait leur langue et leurs usages.
Presque sans le vouloir, par leur connaissance du Prana Bindu et de la langue locale, par la soif de savoir de Paul, Jessica et lui correspondirent aux attentes des Fremens. Il y avait débat parmi eux, mais les signes étaient présents, le doute était permis et les croyants se multipliaient déjà dans l'ombre.
Tout cela n'était pourtant qu'une série de prophéties implantées de très longue date par le Bene Gesserit, des légendes destinées à construire la légitimité de leur être suprême et pantin, le Kwisatz Haderach. Mais elles étaient réelles aux yeux des Fremens et, à terme, cela leur sauva la vie.
Paul était-il vraiment un imposteur ?
Sur Caladan, il avait été l'objet de rêves récurrents impliquant le désert et une jeune fille.
Sur Arrakis, l'Epice était partout ; dans l'air, dans la nourriture, dans l'eau. Et malgré les filtres les purifiant au palais, son esprit s'ouvrait et ses rêves commençaient à le hanter même éveillé.
Une fois dans le désert, soumis à l'Epice pure présente partout, il fit la découverte violent des pouvoirs que le Bene Gesserit ne lui avait pas prédit ni deviné. Il perça le voile de l'espace et du temps et vit son avenir, un avenir de sang et de violence qu'il ne parvint pas à arrêter malgré tous ses efforts.
Par le hasard de la génétique, il était devenu le Kwisatz Haderach, et plus encore. Et son pouvoir changerait l'univers à jamais.
Lorsque vint la chute de sa Maison, Paul survécut grâce à toutes ses forces.
Il usa de la Voix pour être libéré des Harkonnen.
Le Dr Yueh leur avait donné, à sa mère et lui, le nécessaire pour survivre dans le désert et être secourus.
Idaho et Liet l'aidèrent à échapper à leurs poursuivants, au prix de leurs propres vies.
Son conditionnement mentat l'aida à traverser la tempête coriolis et à en sortir en vie.
Sa connaissance d'Arrakis et des vers lui permit de traverser le désert profond sans en mourir.
Après sa rencontre avec les Fremens, ses réflexes lui permirent de tuer Jamis et de remporter le duel à mort que le Fremen lui avait lancé pour prouver qu'il n'était pas le Lisan al-Gaib.
Le mystère de la vie n'est pas un problème à résoudre,
mais une réalité à expérimenter.
— extrait de Dune
Lorsque Paul rencontra les Fremens au seuil du désert profond, son chemin n'était pas tout à fait clair pour lui. Il restait frappé par les images de guerriers fanatisés ensanglantant l'Empire en son nom. Il refusait d'être l'artisan d'un tel avenir et de suivre le chemin de ses visions.
Mais, après avoir échappé aux hommes de Stilgar, naïb du sietch Tabr, il fut convaincu par une apparition : celle de la fille de ses rêves, une Fremen du groupe nommée Chani.
On peut rire du fait qu'un adolescent se laisse convaincre par la fille de ses rêves. Reste qu'après la démonstration de leurs talents, Paul et Jessica étaient protégés. En tant que
Sayyadina, terme donné par les Fremens aux femmes maîtrisant le Prana Bindu qu'ils appelaient l'art de l'Etrange, Jessica était même intouchable.
Mais Paul fut provoqué en duel par l'homme fort de la troupe, Jamis. Ce fut le premier véritable combat de Paul et ce fut un combat à mort. Après avoir tenté de forcer Jamis à abandonner, il se résolut à le tuer.
A cet instant, son innocence arrachée à lui, il accepta de laisser Paul Atreides mourir pour embrasser son destin. Et, puisque son père comptait user des Fremens pour vaincre ses ennemis, n'était-il pas juste de les user pour obtenir vengeance ?
Après avoir récupéré l'eau de Jamis pour le sietch, il était prêt à l'intégrer.
C'était un jeune homme en colère doué de grands talents et d'une aura mystique. Sa mère le poussa à les exploiter pour leur survie et leur vengeance, mais elle eut bien du mal à le contrôler et finirait par perdre le contrôle déjà bien faible qu'elle exerçait encore sur son enfant.
Accueilli au sein du sietch Tabr, la vie de Paul changea radicalement.
Il dut d'abord abandonner son ancienne identité pour devenir Fremen. Les Fremens ont plusieurs noms, un donné par la tribu, pour les proches, et un choisi, pour le reste du monde. La tribu lui donna pour nom Usul, et il choisit celui de la souris du désert, une survivante, matrone des garçons : Muad'Dib.
A son arrivée au sietch, il apprit enfin que Liet avait été tué après l'avoir aidé. Il apprit aussi que Chani était sa fille, et que Jamis était son oncle et sa seule famille. Etant celui qui avait tué Jamis, il reçut ses maigres possessions ainsi que la charge de Chani jusqu'à sa majorité. Chani amenait avec elle les possessions de son père également.
Les deux orphelins vivaient ensemble. Jessica dut rapidement prendre sa position de Sayyadina au sérieux pour ne pas être dénoncée et son pouvoir sur son fils maigrit peu à peu.
Chani apprit à Usul les us et coutumes des Fremens. Elle lui apprit leur histoire et leur mode de vie et comment survivre dans le désert.
Usul apprit à Chani ce qu'elle voulait savoir du monde extérieur.
C'est en échangeant qu'Usul comprit l'intérêt de Chani pour les océans de son monde natal de Caladan : les Fremens collectaient et préservaient toute l'eau possible afin de transformer Arrakis. C'était un vieux rêve et un projet rendu possible par son grand-père et par son père ; un projet dont elle avait la charge spirituelle à présent.
Partageant leurs rêves, les deux jeunes se promirent de les réaliser ensemble. Ils vengeraient leurs parents et feraient de Dune un paradis.
Et en partageant leurs rêves, ils bâtirent l'amitié qui évolué en un amour profond. Et si Jessica ne s'était pas interposée, faisant valoir le sang bleu de son fils, ils se seraient sans doute mariés en un an.
Durant cette période, la dernière missionnaire du Bene Gesserit envoyée sur Arrakis périt et Jessica avait passé le rite de transformation de
l'Eau de vie qui l'ouvrait à ses mémoires antérieures et faisait d'elle une Révérende-Mère de fait.
Sa position en fut cimentée.
Mais la procédure changea aussi dans son ventre la fille qu'elle avait décidé de porter après son arrivée sur Arrakis. Craignant la fureur de son ordre, elle avait choisi de lui donner enfin une fille. Elle n'en avait cependant pas conscience en entrant dans le désert et ignorait qu'en faisant cela, elle ouvrirait le foetus à la fois à sa conscience et à ses mémoires passées, en faisant ce qu'on appelle communément une Abomination.
Mais il n'y avait pas que sa vie privée qui changea.
Stilgar était un croyant parmi les croyants. Il avait accepté Usul parce qu'il avait foi dans les signes de la prophétie. Il était un chef sage et ancien, respecté par les autres naïbs, et il voyait dans ce garçon celui qui serait capable d'unifier les Fremens et de leur apporter leur liberté tant espérée.
Il fit savoir aux naïbs que le Lisan al-Gaïb était présent en son sietch et, après bien des discussions, il fut convenu d'une assemblée pour le rencontrer. Muad'Dib fit étalage de ses compétences et convainquit les naïbs, après quoi, suivant ses visions et ses enseignements, il réclama que des guerriers du sietch puissent recruter et former des guerriers d'autres sietchs pour créer une armée unique destinée à lutter contre les Harkonnen, qui s'enfonçaient toujours plus dans le désert.
Il forma ainsi les guerriers du sietch Tabr aux rudiments du Prana Bindu et, leur apposant la couleur rouge de l'aigle atreides, il les envoya répandre leur nouvel enseignement et former des unités de combat.
Ainsi débuta la Guerre du Désert, entre les Fedaykins de Muad'Dib et des hordes harkonnen qui, peu à peu, perdirent hommes, matériels et terrain, le nombre et la compétence des Fremens croissant exponentiellement.
Mais Muad'Dib lui-même n'était pas sur le front. Car, au regard des Fremens, il n'était pas encore devenu un homme.
Approchant de la majorité, il accomplit le rite de passage décisif en parvenant à chevaucher un ver des sables. Le ver était immense, de plus de cent mètres de largeur.
C'était une rareté dans cette région du désert, mais aussi un autre signe caché de la prophétie. Après cela, les Fremens ne contestèrent plus ni sa place parmi eux, ni ses talents, ni sa légitimité à endosser le rôle donné par la prophétie.
Exposé à l'Epice sous sa forme pure en permanence, le pain d'Epice et le café à l'Epice faisant partie de l'alimentation de base du Fremen, Muad'Dib était, en outre, sujet à des visions de plus en plus fortes et claires ; mais toujours floues et incontrôlables.
Qu'est-ce que l'humeur a à y voir ?
On se bat quand c'est nécessaire, peu importe l'humeur !
Les humeurs sont pour le bétail et l'amour ou pour jouer de la balisette.
— Gurney Halleck, Maître de guerre du Duc Leto
Prêt à partir au combat afin de diriger les milliers de Fedaykins déjà engagés au front, il prit d'abord soin d'officialiser sa relation avec Chani, même sans les liens du mariage.
Peu après l'annonce, Chani tomba enceinte. Elle attendit donc en arrière pendant un an tandis que Muad'Dib rassemblait les Fedaykins autour de lui pour prendre les commandes du conflit.
A ce stade, la guerre était devenue totale. Tous les sietchs étaient engagés et avaient reçu la visite des guerriers de Muad'Dib. Si
fedaykin désignait tout guerrier fremen auparavant, leur nombre devenait tel que le mot en vint à devenir synonyme des compagnons de Muad'Dib. Il était donc devenu de fait le maître de guerre de tous les Fremens.
Les Fedaykins avaient fait du bon travail pour gêner la récolte d'épice harkonnen, mais manquaient jusque là de stratégie commune, de la compétence militaire du jeune homme et de l'aide inestimable de ses visions, bien que ces visions restent floues et incontrôlables.
Muad'Dib établit un plan d'ensemble pour prendre le contrôle de l'Epice, le nerf de la guerre dans toute cette affaire.
Déjà, la contrebande prospérait, la Guilde Spatiale achetant tout ce qu'il était possible de trouver par peur de l'ensemble de lignes d'avenir floues et imprévisibles que ses navigateurs percevaient, fruit de la présence et de l'intervention de Muad'Dib.
En les coupant de tout approvisionnement, la panique ne tarderait pas.
C'est en chassant les contrebandiers que Muad'Dib retrouva un vieux compagnon de son père et un de ses hommes de confiance dans sa jeunesse : Gurney Halleck, grand général du Duc Leto, grand joueur de balisette, poète et grand lecteur, et un des hommes les plus laids et joyeux qu'il ait jamais connu.
Il reçut Halleck avec grand plaisir et l'ancien officier miraculé devenu contrebandier s'empressa de rentrer à son service pour honorer son devoir, ainsi que par culpabilité de l'avoir laissé seul toutes ces années. Il devint un de ses principaux compagnons et conseiller, égal à Stilgar en influence.
Mais Halleck n'appréciait guère les manœuvres religieuses du jeune homme et les visions qu'il prétendait avoir. Il le servait par devoir mais ne fut pas pour lui l'ami qu'il avait été pour son père.
Halleck pensait aussi, après avoir retourné l'affaire en tous sens, que Jessica était le traître ayant renversé la Maison. Après avoir tenté de l'assassiner, et avoir presque réussi, il fut soumis aux preuves de la trahison de Yueh et jura fidélité à la Sayyadina plutôt qu'à son fils, sous la justification d'obtenir son pardon. Ainsi, il restait le serviteur et le conseiller de Muad'Dib, mais il cessait d'être son homme.
La tentative d'assassinat sur sa mère fut un choc pour Muad'Dib.
Depuis plus d'un an, il remportait victoire sur victoire, mais la grande victoire semblait impossible à saisir ou à identifier. Il restait aveugle à bien des choses et, s'il avait été possible d'attenter à la vie de sa mère, quid de Chani, de leur premier enfant, Leto, de sa sœur, Ghanima, ou même de lui-même ?
Déjà, la contestation reprenait. Les Fedaykins avaient espéré une victoire-éclair digne des plus grands fantasmes guerriers avec l'arrivée de Muad'Dib parmi eux. Pourtant, la victoire finale n'arrivait pas.
Il faisait face à un nombre croissant d'
amtals, de provocations en combat à mort. Il en venait tant que Chani finit par se débarrasser des prétendants dans son dos, prétextant qu'il avait mieux à faire.
Mais il se sentait lui-même comme un imposteur, incapable, il le savait, de faire le nécessaire pour renforcer son pouvoir : aller combattre chaque naïb de chaque sietch pour en devenir le maître légitime, le seul et unique naïb, et non un saint décevant faisant cavalier seul.
Il n'était même pas capable de protéger sa mère !
Le secret de la survie est la capacité à nager en eaux troubles
— proverbe bene gesserit
Maud'Dib mettait son destin entre les mains de ses visions. S'il voulait vaincre tout en évitant l'avenir qui le hantait, ce Djihad sanglant à travers l'Empire, il devait voir ce qu'il ne pouvait pas voir, pensait-il.
Alors, il fugua une nuit pour s'infiltrer jusqu'à l'Eau de Vie gardée au sietch Tabr.
Le poison très puissant utilisé pour changer une Sayyadina était notoirement fatal à toute femme non initiée et à tout homme quel qu'il soit. En vérité, il avait les connaissances pour le changer, il en était certain. Il pouvait ouvrir son esprit à la manière des Révérendes-Mères et voir là où il ne pouvait voir, embrasser son pouvoir pour de bon.
Mais la procédure fut si violente et les révélations si nombreuses à assimiler que son esprit se coupa du monde et qu'il plongea dans un long coma. Pendant une semaine, Jessica fut la seule à le protéger des naïbs et des impies qui le pensaient mort, avec l'aide des Fedaykins toujours plus nombreux venus le prier.
Chani comprit ses intentions et parvint à le ramener à la réalité en lui donnant davantage d'Eau de Vie.
Muad'Dib était réveillé. Il avait désormais les yeux de l'ibad, bleu sur bleu, comme un véritable Fremen. Et il avait changé l'Eau de Vie, chose que nul homme n'avait fait avant lui.
Face aux Fremens assemblés, fort de ses dons pleinement éveillés, il annonça le combat à venir. Car il voyait les machinations de ses ennemis.
Il savait maintenant que le Baron avait sciemment laissé Raban avec peu de ressources pour forcer la Guilde à faire pression sur l'Empereur. Et il savait que l'Empereur était déjà en orbite d'Arrakis à cet instant, car presque plus d'Epice ne quittait la planète.
Il annonça un combat final, sanglant et mémorable, et, à son bout, la victoire tant attendue.
Et il posa les Fremens face à un dilemme assez simple :
- ils pouvaient lui tourner le dos, et perdre ;
- ils pouvaient le forcer à tuer chaque naïb par tradition, et perdre ;
- ou ils pouvaient le reconnaître comme leur Duc, naïb des naïbs, briser l'impasse, et vaincre.
La réponse des Fremens était évidente et Muad'Dib revendiqua le titre de Duc d'Empire du jeune Paul Atreides.
Mais encore, les Fedaykins ne s'arrêtèrent pas là. Ils le proclamèrent officiellement
Mahdi, le Messie attendu depuis plus de dix millénaires par leur peuple.
Les machinations anciennes du Bene Gesserit avaient non seulement échoué, Muad'Dib se révélant comme l'achèvement de leurs plans, mais elles avaient même permis à celui-ci de leur échapper et de menacer l'Empire lui-même.
Mais cet acte décisif coûta cher.
Quand les légions de Sardaukars descendirent sur Arrakis, reprenant une bonne part des champs d'Epice et attaquant nombre de sietchs cachés grâce aux informations que la Guilde Spatiale avait jusque là gardé secrètes afin de ne permettre à personne de vraiment contrôler l'Epice, ils prirent le sietch où se cachaient la sœur et le fils de Muad'Dib.
Alia fut enlevée.
Leto fut tué.
Il n'y a pas d'échappatoire
Nous payons pour la violence de nos ancêtres
— Muad'Dib
Le martyr de l'enfant de Muad'Dib et la ferveur fanatique des Fedaykins conduisit cependant à une rapide retraite des troupes impériales jusqu'à la forteresse d'Arrakeen, protégée des tempêtes, des vers et des Fremens par une chaîne de montagnes baptisée le Bouclier.
Les dissensions entre les différents pouvoirs et les Grandes Maisons, tous assemblés en panique avec toutes leurs forces pour récupérer le contrôle de l'Epice à grands frais, empêchaient un déploiement massif et des opérations vraiment efficaces, et la plupart des Sardaukars pensant prendre l'ennemi par surprise avaient finalement été repoussés par les femmes et les vieillards restés chez eux : une humiliation traumatisante.
Les Fremens en profitèrent pour approcher de la cité.
Sur le chemin, Muad'Dib trouva aussi le charnier des martyrs atreides et en sortit le crâne de son père. Il le déposa dans un petit refuge proche et en fit un lieu saint, un lieu de recueillement pour les Fremens.
Puis vint la bataille d'Arrakeen. Le combat final.
Avec les armes atomiques familiales récupérées par Gurney Halleck, Muad'Dib ouvrit une faille massive dans le Bouclier. Ses armées attaquèrent par là sous couvert d'une tempête coriolis, qui figea au sol les ornithoptères, mit en panne les véhicules, satura les boucliers et empêcha tout renfort d'accourir pour aider les troupes totalement prises par surprise.
Des vers des sables envahirent les abords de la ville en y portant des dizaines de milliers de Fremens et la bataille fut intense, des murs jusqu'au palais d'Arrakeen, mais rapide et remportée sans surprise par les attaquants. Le massacre fut énorme et même Raban la Bête fut piégé après avoir cherché à échapper du palais, et mis à mort par la population.
Dans le palais volant amené par l'Empereur, Alia fit son numéro. Elle annonça à l'Empereur la victoire inévitable de son frère et laissa entendre sa véritable nature. Quand tous fuirent face à l'assaut, elle soumit le Baron Harkonnen au gom jabbar, réalisant la vengeance de toute sa famille.
On la verrait ensuite rejoindre le champ de bataille pour achever les ennemis blessés et on la connaîtrait désormais comme Sainte Alia du Couteau. L'Abomination qu'on refusait d'approcher était atteint la sainteté.
Muad'Dib prit possession du palais d'Arrakeen et fit rassembler toute la noblesse de l'Empire, Empereur inclus, dans la grande salle. Là, il donna son ancien nom, Paul Atreides, et fit valoir son droit de vengeance, preuves à l'appui, sur les Harkonnen, les Corrino et tous leurs alliés.
En soi, il annonçait un coup d'état et une prise de pouvoir absolu. Mais qui pouvait encore s'y opposer ?
Un homme le fit : Feyd-Rautha Harkonnen, neveu préféré du Baron. Il était prévu, dans les plans du Bene Gesserit, qu'il soit marié à la fille du Duc Leto et qu'il soit le père du Kwisatz Haderach. Son pouvoir latent mais neutralisé l'avait rendu invisible aux visions de Muad'Dib, qui releva son dernier amtal.
Cet angle mort faillit bien lui coûter la vie mais, révélant leur parenté à son adversaire, il parvint à le déconcentrer et à la dominer, lui ôtant la vie sans hésiter.
Avec le mort de son dernier opposant, il dut obtenir la reddition et l'allégeance de Shaddam lui-même.
L'Empereur refusait, mais une alliée improbable, une figure oubliée de son passé, émergea pour le convaincre. La jeune Princesse Irulan, dont il s'était entiché il y a longtemps, s'offrit comme épouse afin que le souverain sans héritier mâle puisse abdiquer et laisser la place à Muad'Dib avec un soupçon de dignité.
Ainsi, Muad'Dib prit le contrôle de l'Empire.
Ci-gît un dieu déchu,
Sa chute ne fut pas des moindres.
Nous lui avions bâti un piédestal,
A la fois haut et étroit
— poème postérieur au règne de Muad'Dib
Muad'Dib refusait toujours son avenir, ce Chemin Doré qu'il devait parcourir.
Il ne pouvait se résoudre à devenir un boucher ni à perdre son humanité.
Mais le Destin en marche ne se laisse pas arrêter, on peut tout au plus le ralentir dans sa marche.
Il chercha à être juste avec le Landsraad comme avec Shaddam. Il ne prit que Caladan pour que sa mère puisse y vieillir.
Mais le prosélytisme fremen et l'absolutisme nouveau n'étaient pas acceptés. Rapidement, une révolte se leva et le Djihad ensanglanta l'Empire, réclamant la vie de centaines de milliers de Fremens et de milliards d'impies, dévastant des mondes entiers.
Les Fremens eux-mêmes étaient en crise. Leurs victoires, leur pouvoir et leurs butins les avaient arraché à leur monde précieux et à leurs vies modestes, en extirpant le sens dans l'opulence. Stilgar restait fidèle mais le désert menaçait de se fermer à cet empire comme au précédent.
Il emprunta dix ans au Destin.
Pendant ces dix ans, ni Irulan ni Chani ne lui donnèrent un héritier. Il l'avait interdit à la première et, par jalousie et par dépit, elle avait empoisonné la seconde pour l'en empêcher. Mais Muad'Dib le savait. A ce seul prix garderait-il son amour le plus longtemps possible.
Alia était assise à son conseil. Mais face à un frère démissionnaire et abandonnée par sa mère, elle se forgea un caractère dur et instable. Elle se perdait toujours plus dans ses mémoires passées. Mais c'était le prix pour espérer un avenir plus radieux.
Muad'Dib avait prévu la mort de sa Maison pour épargner le Chemin Doré à l'Humanité.
Ainsi, dix ans après sa prise de pouvoir, l'arrivée du ghola, le clone ressuscité, de Duncan Idaho, offert par le secret Bene Tleilax en cadeau, lui annonça le début de la fin de son règne dans un grand complot qui lui permettrait de disparaître.
Il déjoua le complot et fit ses adieux à Irulan. Il avait perdu la vue dans un attentat et, s'il pouvait encore voir grâce à ses visions, il avait gagné le droit d'aller mourir dans le désert.
Par un ancien remède fremen, Chani avait enfin réussi à tomber enceinte, mais il savait que la procédure la tuerait. Il lui fit ses adieux à elle aussi et accompagna son dernier souffle.
Mais, par un tour du Destin, sa vision avait été corrompue. Chani lui avait donné des jumeaux, Leto et Ghanima, et les enfants avaient hérité de son pouvoir. N'étant plus utile à la marche de l'avenir, Muad'Dib perdit sa vision.
Seul le réveil de la mémoire profondément enfouie de Duncan Idaho permit à son ghola d'empêcher que le complot aboutisse finalement, et permit à Muad'Dib de s'en aller dans le désert, laissant son empire à sa sœur Alia et à son vieil ami revenu d'entre les morts.
Irulan devint la mère d'adoption des enfants royaux, un gage de reconnaissance et d'affection silencieux de l'époux qui lui avait refusé d'avoir les siens.
Il existe bien des degrés de voyance et des degrés d'aveuglement.
Quels sens nous manquent-ils pour qu'un autre monde se dévoile à nous ?
— citation non attribuée
Pendant près de vingt ans après le départ de Muad'Dib, la régence d'Alia bouleversa l'Empire.
La religion était devenue loi. L'Eglise était devenue l'Etat. La volonté du trône sacré était absolue. L'arbitraire était la règle et la violence aveugle son expression. Le fanatique était heureux et celui qui pensait était condamné à souffrir.
A quel point Alia avait-elle sombré ? Les enfants de Muad'Dib pourraient-ils relever un empire en pleine implosion ?
Nombreux étaient les détracteurs d'Alia, de l'Empire, de Muad'Dib lui-même.
Parmi eux, il y avait le Prêcheur, un ermite mendiant devenu si populaire qu'il était devenu intouchable. Ses mots dénonçaient l'Etat et appelaient à son renversement.
On voyait en lui la volonté de Muad'Dib.
Et il s'agissait bien de Muad'Dib.
Après avoir longtemps erré dans le désert, son visage défiguré par le soleil, les vers et la soif refusant de l'emporter, il avait été capturé par une ancienne secte fremen supposée éteinte depuis longtemps : Jakkarutu.
Il avait vu dans leurs desseins une ultime opportunité de détruire sa création et de changer l'avenir. Même sans sa vision, il persistait à vouloir défaire sa contribution au Chemin Doré.
Et il avait longtemps prêché pour fragiliser profondément l'Empire.
Mais le Destin refusait son avis.
Le retour de sa mère, chargée d'examiner sa sœur et ses enfants sur Arrakis à la recherche de traces d'Abomination, avait enclenché une série de réactions.
La folie d'Alia avait atteint un seuil critique. Sentant au fond de lui qu'elle n'était plus elle-même, Duncan Idaho emmena Leto et Ghanima sous la garde de Stilgar au sietch Tabr. Quand Stilgar refusa cet engagement, synonyme de guerre, Idaho lui força la main en l'obligeant à lui ôter la vie. Le spectre du Baron Vladimir Harkonnen émergea des mémoires passées pour prendre le contrôle d'Alia.
Dans le même temps, la mort de Shaddam avait conduit sa fille Wencisia au pouvoir sur Salusa Secundus. La princesse retorde prit la tête d'un nouveau complot pour éliminer les enfants de Muad'Dib et, pendant un temps, on crut que Leto avait péri.
En vérité, Leto avait repris le contrôle des affaires et choisi de suivre le Chemin Doré. Défaisant les efforts de son père, il s'était éveillé à son tour et fusionné avec des truites des sables, entamant une transformation impossible à arrêter et scellant son engagement.
Confronté à son fils, Muad'Dib dut accepter l'inévitable et, dans un dernier sermon destiné à assurer la chute de sa propre sœur et l'avènement de Leto à sa place, il fut poignardé et trouva le repos éternel, emporté dans le désert par son fils dans son dernier souffle afin d'y reposer, comme un Fremen, comme il le voulait.
J'ai dit : "Eteins la lampe ! Le jour est là !"
Et tu continues à dire : "Donne-moi une lampe pour trouver le jour !"
— dicton fremen
Peu après sa mort, Alia tombait sur son propre couteau pour sauver son âme.
Leto II entamait un règne terrible qui durerait plus de trois millénaires.
Le Chemin Doré changerait l'Humanité à jamais et la préserverait de l'anéantissement.
Il reviendrait un jour, ghola réanimé pour une guerre si lointaine qu'il ne l'avait vue arriver.
Mais tout cela est une autre histoire. Il est temps de revenir sur le passé.
Car l'Histoire est écrite dans les sables d'Arrakis. Elle se perd, se transforme et s'oublie jusqu'à s'effacer.
Mais comme l'a dit Muad'Dib : "Le passé n'est pas plus lointain que votre oreiller."