Si je ne m’étonne pas de son instant de surprise en découvrant un jeune homme au lieu du petit chat qu’elle attendait, sa crainte est plus inattendue, et me prouve, s’il en était besoin, qu’elle n’a pas la conscience tranquille. J’en ai un petit sourire narquois, et soutiens son regard, sans ciller. Je m’avance, au milieu de la pièce, et me plante, bien campé à 3 mètres devant elle, les pieds écartés et les bras croisés sur mon torse, et je lâche, comme elle m’invite à parler et à faire vite,
- Bonjour Thiana. Je suis venu parler affaire.
Avant de jeter un regard à la pièce, puis revenant à elle, j’ajoute, d'un ton posé mais décidé, sur de moi, la voix grave,
- Vous n’avez pas de temps perdre et moi non plus, aussi, je n’irai pas par quatre chemins. Je suis las de rouler ma bosse dans tous le pays, errant dans ma peau de chat d’un bled à l’autre… d’une auberge à l’autre… et de dormir chaque soir dans un lit différent. Quand j’ai la chance de dormir dans un lit. Et il m'est venu l'envie de me poser quelques temps. Alors j’ai pensé qu’on pourrait faire affaire vous et moi.
- J’imagine que vous avez déjà fait vos comptes, et connaissez précisément ce que ma participation au service du soir vous aura rapportée. Pour avoir vu l’auberge tourner sans moi la veille, et avoir des parents commerçants, je sais que ce n’est pas négligeable… Sans compter l’apport de réputation et le bouche à oreille qui n’est pas aussi mesurable mais pas moins négligeable non plus. Aussi je suis venu vous proposer un deal. Je vous propose mes services, histoire de me poser quelque part quelques temps, et souffler un peu de ma vie d’errance. Mais… pas à n’importe quelles conditions.
Là je compte en dépliant me doigts, en commençant par le pouce,
- Primo, notre accord si nous en signons un, n’engage que mon apparence de chat.
- Deuzio, je ne travaille que le soir, et seulement cinq soirs par semaine, au service en salle comme la dernière fois.
- Tercio, je ne suis ni votre esclave, ni votre inférieur, ni même votre employé, tout juste votre collaborateur. Même si, si vous y tenez, je consens à jouer les employés devant les clients pour préserver votre autorité et votre réputation au sein de votre établissement. Ça c’est normal. Encore qu’il n’y aurait aucune honte à ce qu’une sorcière ait un métamorphe pour collaborateur. Après tout, plus on me croira célèbre et important, et plus cela fera rejaillir de prestige sur votre établissement.
- Quatro… Ce point-là est plus délicat pour vous j’imagine, mais je compte loger avec Alecto. C’est plus simple, on s’entend bien, et puis je suis tout petit et n’ai pas besoin d’une chambre rien qu’à moi. Cela inclus évidemment lessive et couvert. Ce qui vous économise une pièce. Quand je dis loger… ça signifie que l’apparence que j’ai la nuit, et ce qu’on fait éventuellement elle et moi ne vous regarde pas.
Là, je soutiens son regard et scrute son expression.
- Je sais que vous monnayez le moindre de ses services, et vous avez surement raison. Mais là, je ne me pose pas en client, mais en collègue et en collaborateur. Et je ne l’obligerai à rien. Mais si vous considérez ça comme un avantage en nature, réduisez donc mon salaire d‘autant, ça m’ira très bien. De toute façon, je n’ai pas de quoi transporter beaucoup d’argent dans ma peau de chat. Or, pour tout vous dire, j‘y suis enfermé la majeure partie du temps suite à un accident magique.
La cohabitation avec Alecto motive mon choix de me poser un temps ici plutôt qu’ailleurs. Si je n’en puis bénéficier à ma guise et sous l’apparence de mon choix alors, je n’ai plus de raison de choisir votre auberge plutôt qu’une autre. A vous de voir. Il ne vous aura néanmoins pas échappé qu’elle travaille avec plus d’entrain et un sourire moins forcé quand je suis là. Et qu’il en est de même pour Ysor, dont je sais vanter les talents et vendre les plats comme ils le méritent.
En parlant de temps, je vous propose de rester un mois ici pour commencer, et puis nous verrons si nous souhaitons l’un et l’autre prolonger notre collaboration.
Je prends un air des plus sérieux et un regard ferme, la fixant sans détour, concluant,
- Voilà, vous avez toutes les cartes en mains pour trancher. A vous de voir à présent.