Les contrées du Chaos / Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
« le: mardi 19 novembre 2024, 06:40:10 »Elle se moquait de son offre, foulait du pied ses arguments et menaçait maintenant le Roi personnellement, ainsi que ses enfants. Ah, Laryë, pensa-t-il en dévisageant la déesse. Encore une fois, une autre personne te donne tort. Car Laryë, en toute circonstance et malgré son jugement impeccable, croyait qu’il y avait toujours possibilité pour la paix, croyant sincèrement qu’il fallait si peu pour réparer des ponts brisés par un début boiteux.
Le Roi de Meisa ferma les yeux alors qu’elle proférait ses menaces, et il se releva lentement de son siege de pierre, dont les accoudoirs avaient été rongés par les efforts du Roi et de la Déesse des Pierres, toisant la petite déesse de toute sa carrure, avec un air de profonde déception sur son visage. Les mains du Roi se levèrent doucement pour encadrer ce visage si jeune, si poupon, si vrai et pourtant si faux.
– Pour répondre à votre question, votre Majesté… oui.
Et Serenos plongea, penchant la tête et plaquant son front contre celui de l’avatar de la Déesse de Pierre. La peau du Roi se couvrit de frissons, et ses pupilles brillèrent comme deux petits soleils dans les ténèbres de la demeure de la déesse.
Eyia put sentir l’esprit du Roi, qui était déjà fort puissant en raison de sa grande volonté et force de personnalité, mais qui était en plus renforcé par quelque chose qui pouvait peut-être la surprendre ; Serenos avait été altéré, en chair comme en âme. Il avait le sang de la création qui brûlait dans ses veines.
La main de Serenos s’enfonça profondément dans l’être d’Eyia, avec une vitesse et une précision d’exécution propre à la main pratiquée et à l’esprit entrainée. Il n’avait pas besoin de chercher longtemps pour trouver cette chose noire et réprimée qu’étaient ses peurs et souvenirs. Si elle avait oublié ce qu’elle avait ressenti lorsqu’elle avait été scellée pour la première fois, Serenos fit remonter ces sentiments à la surface, inondant l’esprit de la déesse de ses propres désespoirs, de cette claustrophobie qui venait si naturellement à tous les prisonniers. Il lui rappela sa solitude, ce besoin si puissant de ne pas être seule qu’elle avait fait des pierres et des ombres qui l’entouraient ses sujets bien-aimés. Et Serenos fit quelque chose d’intensément cruel ; au milieu de ces sentiments, de ces souvenirs, il imposa un doute, un doute cruelle ; et si les ombres, les pierres, et tout sur quoi elle régnait, n’était rien d’autre que l’illusion créé par un esprit devenu malade par des siècles d’isolation ?
Un mensonge.
Un mensonge cruel.
Un mensonge, cependant, qui avait le potentiel de démontrer à la déesse ce que les mages étaient devenus ; ils n’avaient plus besoin de grand sorts ou d’une grande puissance. Ils n’avaient plus besoin d’imposer leur volonté à force de sceaux et de glyphe. Non, ils étaient devenus encore plus sournois, au point de faire du tour de force du mage l’ayant emprisonné autrefois un geste cru, sans raffinement, sans *talent*.
Serenos, même hors de Meisa, loin de sa forteresse où il était peut-être digne d’être considéré comme un dieu, ou du moins un être qui s’en approchait, était capable de lui faire ses plus grandes terreurs comme si elle les vivait à l’instant présent.
Le geste n’avait duré qu’un très, très court instant. Tout au plus, une seconde et demie. Et le Roi de Meisa dût se retirer de l’esprit de la Reine des Pierres, car il savait que s’il y restait, elle pourrait prendre sa vengeance.
Serenos n’avait simplement pas pris une chose en compte, et ce par simple ignorance de la nature de son adversaire ;
Il s’en prenait à la Reine des Pierres en personne.
– Je suis bien heureuse de te divertir, mon petit. Sache que tu m’amuses beaucoup également. Ma reine et moi, nous aimons particulièrement quand les mortels résistent – la victoire n’en est que plus belle. Si le feu n’a pas eu raison de toi, ce sera la mer qui t’avalera.
Trop noble pour se permettre un jeu de mot avec le mot « mer » et « avaler », Aldericht leva les yeux vers la géante qui venait de déferler sur les montagnes au cœur desquels ils se trouvaient. L’énorme quantité de liquide serait impossible pour le prince à arrêter, quand bien même il aurait été au sommet de sa forme et pas en train de se plier de douleur sur le sol, serrant ses bras meurtris contre lui. Il ne savait pas comment il allait pouvoir se sauver, ou même sauver ce qui restait de ces braves soldats.
Voyant le danger approcher, le prince se redressa et se tourna vers le corps inconscient de sa sœur, autour duquel s’amassaient les quelques dizaines de soldats restants à la garde royale. S’ils revenaient vivants de cette excursion, Aldericht se promit à lui-même de leur accorder l’une des plus somptueuses sépultures qu’il fut en droit de donner. Il se surprit à considérer la possibilité de la survie, qui lui laissait également savoir qu’il n’avait peut-être pas encore abandonné tout espoir de regagner sa terre natale.
– Ah, mère, murmura-t-il en titubant vers sa sœur. Veillez sur votre pauvre fou de fils.
Il redoutait son prochain acte avec la même appréhension qu’il n’aurait eu d’utiliser la force vitale de quiconque d’autre, mais alors qu’il observait Laurelian, cette créature si vigoureuse, remplie d’une magie aussi rare que puissante, il y voyait son salut, et celui des autres. Ignorant la douleur, il bondit jusqu’à son côté, et plaça une main au-dessus de son visage, avant de se tourner vers la géante et le raz-de-marée qu’elle avait convoqué.
Malgré sa décision, il existait toujours dans son for intérieur une hésitation malvenue, une hésitation qui l’empêcha de drainer l’énergie magique de la princesse comme il avait drainée celle de la terre-déesse. Quel genre de frère était-il ?
Et la question mourut dans son esprit quand il sentit une main glisser les doigts entre les siens, et joindre leurs paumes. Il n’avait pas besoin de regarder pour savoir qu’il s’agissait des doigts de la pythie. Et donc, il but. Il but de ce puit perturbé et incontrôlable, et sa force digne d’être qualifié de quasi-divine se déversa en lui à grand débit, le noyant presque dans une tourmente de pouvoir et de félicité.
Les runes magiques se tracèrent dans l’air, et avec un rugissement, le prince de Meisa leva les bras devant lui et les abattit de chaque côté. Le sol se fendit sous eux, et le groupe de guerriers disparurent dans les profondeurs sous la montagne. Aussitôt furent-ils dévorés par la bouche béante du sol qu’elle se referma derrière eux, empêchant l’eau de se joindre à eux. Après une chute de dix mètres, environ, tous les soldats heurtèrent le sol, certains parvenant à se réceptionner sur leurs jambes, d’autres sur le séant. Le duo princier, pour leur part, descendait plus lentement, Aldericht usant de son don pour se suspendre dans sa chute, et Laurelian s’accrochant à sa taille pour ne pas tomber.
Une fois au sol, le prince se laissa tomber sur le siège à son tour, et lâcha un soupir.
– Allumez les torches… surveillez les ombres, dit-il d’un ton las. Elle ne lâchera probablement pas la chose.
– Était-ce bien prudent de gagner les galeries, votre altesse ? N’est-ce pas le domaine de l’ennemi ?
– Surement. Mais vous avez vu comme moi que le monstre a protégé l’entrée pour empêcher l’eau d’inonder les galeries. Elle n’osera rien faire qui puisse mettre sa maîtresse en danger. Et j’ai l’impression que nous courrons moins de danger dans les veines de cette île plutôt que dehors.
Il eut le temps de regretter ses paroles lorsque des voix spectrales explosèrent en rire.
– Maledissi, jura-t-il en se laissant tomber sur le sol.