Les bas fonds / Re : Lorsque deux prédateurs se croisent... [ Telka ]
« le: mercredi 01 mai 2013, 15:51:50 »Pourtant, bien plus tard, alors qu'ils nous mènent sans hâte vers le poste de garde, je sens encore la marque laissée par son doigt rugueux, plein de cal, sur ma peau. Je ne peux pas leur en vouloir. Ils ne font que leur travail, et n'ont sans doute pas beaucoup d'autres objectifs que de ramener un peu d'ordre dans la ville et surtout du pain sur leur table. Même si leur réaction est dictée par la peur d'une sanction, leur renoncement les met dans la moyenne haute des miliciens de Nexus en terme d'étique.
Le trajet, d'une dizaine de minutes, est plus long que je le pensais, mais finalement, cela s'accorde assez bien avec mon impression première. La présence des soldats, dans les bas-quartiers, n'est guère fréquente. Et quand bien même, s'ils étaient arrivés quelques instants plus tôt, ils auraient peut-être été, au contraire, des alliés. Ce qui ressemble à un incroyable coup de malchance, pour moi, est un signe clair. Avec la même évidence que le Seigneur ne me mène jamais à un endroit choisi au hasard, malgré les apparences, cette occurrence aussi probablement qu'elle est improbable, est destinée à quelque-chose de particulier... Une leçon ? Pour moi, pour ma protégée ? Je n'en sais rien, mais j'en suis à présent convaincue.
Je songe à cela, alors qu'on nous retire nos liens et qu'on nous jette dans une cellule. Passablement humide, malodorante, elle est néanmoins loin d'être parmi les pires du genre. Je distingue même un banc qui a l'air d'une qualité correcte, et un sceau, ce qui nous évitera de la rendre plus malodorante encore. Et puis, au moins, nous sommes ensemble, et seules. Il n'aurait plus manquer, après avoir éviter les violences des miliciens, que nous tombions dans celles, peut-être encore pire, de détenus agressifs.
Enfin, la jeune femme m’interpelle : ce doit être sa troisième phrase, depuis notre rencontre. J'espère que libérée de la tension de l'instant, elle se montrera un peu plus bavarde, sinon, la détention risque de paraître longue... Mais je devrais peut-être simplement prier pour qu'elle n'ait pas de nouvel accès de fureur tant que nous sommes dans un espace aussi clos. Je suis méfiante, cependant, sa voix inquiète me rassure. Dans l'obscurité, j'essaie de lui sourire. Elle n'a pas à se sentir coupable de m'avoir fait enfermer. Son crime n'est pas là.
-T'inquiète pas pour moi. Par contre, je crois aussi que tu devrais songer à mettre quelque-chose de plus couvrant. Quand tu sortira.
Pour appuyer mon propos, je me baisse et passe ma main sur ses genoux, qui ont de nouveau souffert de son combat contre le garde. Il ne me faut pas plus d'une seconde pour refermer dans une douce chaleur les écorchures superficielles. Je ne veux pas la tourmenter, toutefois, je dois m'assurer qu'elle ait compris, quitte à être un peu lourde. Il en va tout simplement de sa survie en ce monde.
-Les soldats avaient raison sur un truc. On peut pas se promener comme ça dans Nexus, c'est juste pas possible... surtout pour toi.
Elle doit être si attirante, pour un homme. Je ne conçois même pas qu'elle ne se soit pas déjà fait la réflexion avant. Tout son corps, ses formes, sa grâce, sont autant d'incitations puissantes au pécher de chair. Même dans le plus civilisé des pays terriens, elle aurait peut-être trouvé un voyou à la volonté plus faible que les autres, pour l'agresser. Je me relève et pose une main fraternelle sur son épaule.
-Je vais rester aussi longtemps que je le pourrais avec toi. Mais si on doit passer quelques jours ensemble là-dedans, je pourrais avoir ton nom ?
Je me remémore sa réponse positive, lorsque je lui ai demandé si elle s'était perdue. Sur l'instant, cela m'avait paru correct, mais à présent, cela me semble un peu léger. Il est quand même rare, lorsqu'on s'égare, d'aller vers des quartiers qui sont visiblement les plus crasseux et mal famés. Tenter de mieux la cerner ne me coûte pas grand-chose, et me permettra peut-être de lever une part de mystère.
-Tu travailles quelque-part, ou tu es toujours chez tes parents, tu as un mari ?