Pas humain, pas libre ... Erwane ne pouvait s'empêcher de sourire faiblement. Dieu qu'elle le comprenait. Elle qui n'était qu'une simple pute subissait ce genre de regards. Beaucoup trop la voyait comme une simple esclave. Esclave des pulsions des hommes, esclaves de leurs désirs, de leurs corps ... Mais non. Erwane se considérait davantage comme une sainte. A ma manière. Quand elle touchait ces corps avec ses doigts tout doux, quand elle effleurait les effluves de leurs envies, quand elle leur arrachait des cris, elle devenait aussi utile qu’une icône. Je deviens ce lien si fragile entre le ciel et eux, songea t'elle en faisant taire un sourire. Mais, aussitôt, elle se fit taire. Pas question de divaguer. Toute son attention se devait d'être fixée sur cet homme, sur cette capture qui n'en serait bientôt plus une. Elle sentait la chaleur émanant de sa main qui caressait la sienne, glacée. Cette constatation la fit sourire. Il était, certes, une créature, mais demeurait un être vivant. Aucune raison qu'elle le craigne. Erwane ne craignait personne.
D'un pas lent, elle lâcha la barreau, se reculant pour mieux toiser la cage. Monumentale, plutôt costaud. Ce n'était pas une simple cage à esclave, que l'on brise d'un coup de griffe. Et ce n'était pas avec ses petits crocs ou ses ongles fins qu'elle viendrait à bout de cette entrave.
- Un tueur emprisonné par des assassins. Quelle ironie ! Il faut remédier à cela.
Ajouta t'elle en se rapprochant à nouveau de lui. Oh, et puis elle avait des comptes à régler avec ces soudards qui tiraient sur ses jupons quand ils passaient près d'elle. Elle acheva d'envoyer bouler quelques caisses, avec plus ou moins de discrétion, afin de dévoiler la serrure. Sainte serrure. La faire sauter serait un jeu d'enfant.
Erwane, à l'heure actuelle, était plus amusée qu'autre chose. Elle ne songeait pas à le laisser là, croupir dans cette cage. Elle ne songeait pas à avoir peur. Elle ne pensait qu'à une chose : Je me dois de le libérer. Par humanité et pour faire chier ces révolutionnaires. Lentement, la courtisane défit de sa chevelure son bandeau, retirant ainsi avec plus d'aisance quelques pinces susceptibles de l'aider dans son oeuvre. Trois d'entre elles se retrouvèrent ainsi au creux de sa main. Se recoiffant vivement - elle n'aimait guère que ses cheveux soient libérés - elle en garda une pour maintenir son bandeau, et deux pour la cage. Deux secondes après, elle était en tailleur devant la serrure de la cage, cherchant à comprendre son mécanisme.
- ... Ne me demande pas pourquoi je fais ça.
Souffla t'elle d'un ton assuré. Elle même n'aurait pas vraiment su l'expliquer. Et un " Je le fais juste pour m'amuser !" aurait sûrement sonné comme une insulte aux oreilles du captif. La première pince se brisa dans la serrure. Elle grogna. Quelle camelote ! Quand elle inséra la seconde, elle tacha d'être plus habile ; elle n'avait plus droit à l'erreur.
- Et puis, ma grand-mère disait qu'il ne fallait pas ... Mmph, quelle galère ! Qu'il ne fallait pas emmerder les morts.
Erwane se laissa aller à rire, doucement, tout en continuant avec précaution son projet. Il fallut 5 bonnes minutes - et beaucoup d'insultes venant d'Erwane - à la serrure pour céder. La porte s'ouvrit dans un gémissement plaintif, et la courtisane recula, remettant son manteau de fourrure proprement sur ses épaules. Et, maintenant, on fait quoi ? tambourina sa conscience, exaspérée par la stupidité de la jeune femme. Il pourrait la tuer. Enfin, essayer. Elle était plutôt vive, si ce n'est carrément rapide.
Ses yeux inspectèrent un moment les environs, vérifiant si personne ne débarquait.
- Ces soûlards ne méritent pas une telle prise. Ils ont dû te prendre pour ... un ennemi de la nation, ou je ne sais quoi. Tu peux t'enfuir. Au pire, ils me houspilleront, mais on ne tue pas les putes, ici.
Se permit-elle, avec toujours le même sourire.