La cigarette au bec, le dos appuyé contre le grillage, l’agent Taylor profitait de la fraîcheur d’une brise d’automne. Il était dix huit heures passées et la jeune femme qu’il attendait n’était toujours pas arrivée, mais Jack avait bonne espoir qu’elle ne tarderait pas à pointer le bout de son nez. Jack n’avait qu’entraperçue cette « Kazuha Hitara » dans la salle des professeurs, mais quelques menues rumeurs couraient sur elle au lycée. Jack lisait en effet avec attention les blogs de ses élèves et certains d’entre eux mentionnaient un « comportement étrange et asocial », à propos de sa nouvelle collègue. Tanaka, le prof de math un peu trop bavard avec qui il prenait souvent le café lui avait fait remarquer que la jeune femme semblait débarquer littéralement de nulle part et qu’on ne lui connaissait aucun parent ni ami. Ceci suffisait à mettre la puce à l’oreil de l’agent Taylor. Cette Kazuha était soit une paumée, soit une nana au passé un peu trouble. Dans le cadre de la mission qui lui était confiée, il était de son devoir de faire un rapport sur elle le plus tôt possible.
Souhaitant étudier sa cible de très près, Jack avait utilisé un stratagème amusant, qui avait fonctionné à de nombreuses reprises. Il avait glissé dans le casier de sa jeune collègue, une enveloppe fleurie, contenant une déclaration d’amour à peine voilée un poème de Lord Byron, ainsi qu’un rendez-vous ce soir même, à l’endroit où il se tenait : sur le toit du lycée de Seikusu, lettre qu’il avait signé de ses initiales en lettres gothiques. De quoi faire frémir n’importe quelle romantique, ah ah, je me surpasse…
Comme à son habitude, Jack était admirablement bien vêtu. Il portait un costume italien bleu nuit, une chemise avec boutons de manchette soigneusement déboutonnée pour être plus à l’aise, des richelieus marron claires et une montre au prix indicible : ca payait plutôt pas mal, agent de la CIA. Néanmoins comme à son habitude, il avait négligé de se raser et de se coiffer, ce qui lui donnait l’air d’un ancien malfrat reconverti dans la spéculation en bourse, et pas trop d’un sage professeur de français. Mais ça tombait bien; il avait dans l’intention de bousculer un peu la jeune femme, afin de mieux la cerner. Il allait rallumer sa cigarette qui s’était éteinte lorsqu’il rêvassait, mais son ouïe fine l’avertit que quelqu’un s’approchait. Jetant précipitamment son mégot par-dessus le grillage, l’homme se retira dans un coin sombre d’où il pouvait voir émerger la personne qui s’approchait, sans que la réciproque soit possible. Il escomptait observer quelques instants le comportement de Kazuha avant d’entrer en contact avec elle.
- Allez ma grande montre-toi, je vais pas te bouffer, va.