« Majesté, il faut vraiment que vous en parliez à votre père...
- Les Orcs ont encore attaqué ? »
Ce fut un soupir exaspéré qui traversa les lèvres d’Alice, alors que son Capitaine lui parlait depuis le couloir. Deux servantes étaient en train de proprement habiller et coiffer Alice. Par pudeur, le capitaine n’était pas entré, mais tournait en rond dans le couloir, piaffant d’impatience. Alice pouvait entendre les bruits de pas précipités de ce dernier. Un peigne remuait dans les longs cheveux blonds de la Princesse, et elle tendit les mains, écartant soigneusement les doigts, afin qu’on lui mette de soyeux gants blancs, afin de la protéger du froid. Le Joyau de Sylvandell, qu’on surnommait également le Diamant Blanc, réfléchissait. Depuis quelques semaines, les éclaireurs et les patrouilleurs avaient signalé la présence d’Orcs dans la région, dans le smontagnes qui bordaient Sylvandell. Ils restaient éloignés du royaume, mais avaient attaqué plusieurs petits villages éloignés, qui dépendaient de Sylvandell, et qui fournissait le royaume en bois. L’hiver approchait, et des tempêtes de neige s’annonçaient. Dans ces hauteurs, l’hiver était terrible. Même en été, on avait froid dans les hauts-plateaux de Sylvandell. Le bois était nécessaire.
« Ils ont attaqué un charretier. »
Alice pesta, levant les yeux au ciel. Généralement, l’hiver, Sylvandell était plutôt paisible. Les loups fuyaient le froid pour aller vers la forêt, les retrouvant au printemps, où ils se contentaient généralement de chasser des daims ou des biches. Ici, la situation était un peu particulière, car ces Orcs étaient des fuyards, des rescapés d’un clan orc qu’une armée ashnardienne avait rasé à quelques lieues d’ici. Les fuyards avaient fui vers le désert pour semer les cavaliers ashnardiens, et, à partir de là, étaient retournés vers les montagnes. L’un des versants des montagnes de Sylvandell donnait en effet sur un grand désert, qui menait vers Tekhos. Les Orcs survivants étaient passés par là, et avaient commencé à déferler sur les petits villages situés dans les profondeurs de la chaîne de montagnes, se rapprochant ainsi de Sylvandell.
En réponse, le royaume avait envoyé une patrouille, mais traquer les Orcs était difficile dans ces dédales, ces gorges, ces canyons, ces vallées qui serpentaient au milieu de précipices vertigineux. De plus, la neige et le froid s’abattaient déjà dans les profondeurs éloignées des montagnes. On essayait de se rassurer en se disant que les Orcs ne supporteraient pas longtemps un tel climat, et que les Ashnardiens ayant repoussé les Orcs viendraient bientôt pour finir le boulot, mais les serfs s’impatientaient. Alice, qui présidait maintenant les séances de doléances, recevait de plus en plus de plaintes des serfs au sujet de cette bande.
« J’en ai déjà parlé au Roi... Il a dit que le Général Landsher était en route avec une compagnie de spadassins et s’arbalétriers.
- Le peuple demande une action immédiate. Le charretier a failli perdre la vie !
- Je suis au courant, mais ce n’est pas à moi qu’il revient d’agir. Notre patrouille est revenue bredouille...
- Il faut en envoyer une autre, insista le Capitaine. Nous avons réussi à réunir des guides des clans éloignés, les Orcs les embêtent aussi, et ils sont prêts à nous conduire dans les grottes où cette vermine se cache. Ces Orcs sont affamés et désorientés. Landsher a capturé leur Boss. »
Chaque clan orc était dirigé par un Boss, un Orc plus puissant que les autres, et qui s’était imposé en écrasant les crânes des Boyz qui se révoltaient contre lui. Au-dessus du Boss, on trouvait le Big Boss, un chef orc qui dirigeait tout un peuple d’Orcs. Un Waaagh!. Landsher, lui, était un Général ashnardien qui cherchaient justement à venir à bout de ce Big Boss, Oss Snasha, et qui, pour cela, attaquait les différents clans d’Orcs. Tywill avait envoyé un messager prévenir ce dernier qu’il y avait des Orcs à Sylvandell, et Landsher avait demandé à ce qu’on attende sa venue avant de les attaquer. Il espérait les capturer pour obtenir des informations sur eux. Si les Orcs ne s’étaient pas entretués, c’était qu’il y avait probablement un Orc plus puissant qui les commandait. Pas un Boss, non, mais un autre Orc. Probablement un Nob, ce qui, chez les Orcs, signifiait qu’il s’agissait d’une espèce de lieutenant. C’est pour cela que le Roi de Sylvandell se refusait à agir ; Landsher voulait capturer le Nob. Or, les Impériaux savaient qu’ils ne pouvaient pas attendre éternellement ; les Orcs finiraient par se révolter contre le Nob, car c’était dans la nature des Orcs. Le Général serait donc là d’ici un jour ou deux.
« Je vais aller prier à huis clos pour que Landsher arrive, décida Alice. Et j’en discuterais ensuite avec mon père, vous avez ma parole. »
Sylvandell était un royaume très religieux. Une prière à huis clos au sein de la Cathédrale, entouré des ancêtres, était toujours bien perçu par la population, comme un signe d’investissement. Avant chaque campagne, les Rois et les Reines avaient coutume de s’enfermer pendant plusieurs heures dans la Cathédrale, et de louer ainsi les Anciens et les Dragons d’Ors de leur accorder sa bénédiction, afin que leurs grandes ailes recouvrent et protègent Sylvandell.
Dans de beaux vêtements blancs, Alice se retrouva ainsi, une ou deux heures après, dans l’enceinte vide de la Cathédrale. La Cathédrale, bien sûr, n’était pas totalement vide, mais tous les accès à cette pièce avaient été fermés. La tradition voyait comme un blasphème le fait d’interférer dans une prière à huis clos, et Alice se mit donc à prier, agenouillée sur le sol, devant le feu vert qui laissait perpétuellement s’échapper une colonne verdâtre dans le ciel. D’immenses statues l’entouraient. Les Rois et les Reines les plus marquantes de Sylvandell, dont les reflets verts chatoyaient leur donnaient une impression de grandeur et de présence. Yeux clos, elle priait à voix basse, une légère mélopée. A Sylvandell, le clergé n’avait aucune prière préconçue, préférant l’improvisation des croyants, ce qu’Alice faisait, en vénérant le dragon d’Or...
...Et elle continua à le faire jusqu’à percevoir une présence. Elle releva la tête, fronçant les sourcils, et entendit alors quelqu’un parler sur sa gauche :
« Sylvandell est une contrée trés hostile vous savez... »
Alice sursauta et tourna la tête, voyant alors une délicieuse femme en haillons. Comment était-elle entrée ici ? En voyant son corps trempé, elle eut la réponse à sa question. L’un des canaux du lac, une petite rivière, menait près de la cathédrale, passant à un moment dans un jardin fermé à l’arrière. Cette... Cette elfe avait du passer par là, et, vu ses vêtements, elle n’avait pas l’air d’avoir passé une bonne journée. La Princesse sentit sa peur disparaître rapidement.
« Vous m’avez fait peur ! s’exclama-t-elle d’une voix forte, reprenant ses émotions. Je suis la Princesse de Sylvandell ! Et vous ? Pourquoi vous êtes toute trempée ? Et... Euh... En haillons ? »
Ce qu’elle était belle ! Alice n’en revenait pas, et était tellement surprise qu’elle avait du mal à réfléchir. Elle avait ainsi enchaîné les questions idiotes, signe qu’elle était troublée par cette superbe créature qui venait de débarquer devant elle.