Rien ne se fait sans conséquences, tout acte a ses répercussions, et chaque événement produit son lot de remous : s'étendant au travers du temps et de l'espace, les échos qui en résultent se font connaître, la rumeur se répandant telle une traînée de poudre d'oreille en oreille et de bouche en bouche, appelant vers son point d'origine toute une horde de curieux, d'intrigués, d'opportunistes. Par un effet logique, plus l'importance du nouvel élément en question est grande, plus l'agitation qu'il fait naître est considérable, et a donc tendance à brasser une quantité d'intervenants toujours croissante. En l'occurrence et de façon évidente, rien d'étonnant à ce que l'apparition aussi subite qu'invraisemblable d'un énorme bâtiment tout d'un bloc taillé pût exercer un magnétisme non négligeable sur la population de Nexus, une véritable petite foule de badauds divers s'étant constituée autour de l'immense prodige d'architecture et échangeant désormais des conjectures de tous poils en un murmure ininterrompu.
Mais poursuivons notre corollaire : la perturbation en question, selon sa nature, tendra à attirer en majeure partie un type de population bien défini, selon les intérêts qu'elle suscite et les catégories dans lesquelles on peut la classer. Dans le cas qui retient notre attention, nous avons de toute évidence affaire à une sorte de gigantesque monument dédié à la luxure et aux plaisirs charnels, aussi l'attroupement alentours était constitué pour un pourcentage écrasant d'hédonistes, de jouisseurs et de pervers. L'atmosphère dominante dans la ville-état étant ce qu'elle est, on comprendra que beaucoup de ses habitants eussent vu leur imagination titillée et se fussent déplacés, se confondant désormais en un amas populeux de provenances diverses mais animé par la même passion viscérale pour les ébats érotiques. Toutefois, la prudence et la vergogne humaines, non dénuées d'un égoïsme cauteleux, n'exerçant pas un ascendant moins fort qu'à l'accoutumée sur la psyché de ces gens, peu d'entre eux s'étaient décidés à aller tâter directement de l'affaire en question, et la majorité s'était par conséquent astreinte au rang de spectateur, se contentant d'échanger commentaires et jugements.
Arrivés là de nos observations, penchons-nous donc sur un cas en particulier qui mérite une investigation plus poussée. Pour commencer, en préambule, établissons que certains êtres sont dotés d'une sensibilité particulière à un type donné de manifestations, ayant la capacité intuitive et étrange d'en sentir la proximité. Nous ne nous étendrons pas démesurément sur la question, mais d'un chien sentant une tornade arriver à un commercial expérimenté reniflant de loin une bonne affaire, les exemples abondent. Pour en revenir à la situation qui nous intéresse, nous avons précédemment établi que le plaisir charnel était le point de mire de la colossale apparition granitique ; or, il se présentait désormais dans ses parages un être rompu à de tels exercices, et qui n'avait pas été sans sentir dans ses entrailles l'espèce d'aura que cette spectaculaire construction dégageait.
Canotier sur le cap, ample chemise défraîchie sur le dos, pantalon de coton sur les jambes, et bottes aux pieds, le gaillard, présentement occupé à mâcher avec enthousiasme un morceau d'une large brochette dont il venait d'avoir fait l’acquisition, releva d'une chiquenaude du pouce le bord de son chapeau, apparemment pris dans une délibération intérieure qui ne parut pas prendre trop longtemps : se fendant d'un sourire crâneur, il s'avança carrément en direction de l'attroupement le plus proche qu'il put discerner, se faufilant adroitement à travers la muraille de chair pour voir de plus près ce qui retenait ainsi l'attention d'un si grand nombre d'individus. Ne retenant pas un sifflement admiratif devant la géante minérale dénudée qui se présenta alors à ses yeux et qui n'était pas sans lui évoquer ses moments de pygmalionisme les plus ardents, il mastiqua pensivement son casse-croûte en parcourant du regard les courbes inanimées mais non moins attirantes de la belle sculptée, détaillant avec appréciation les traits transfigurés de lascivité de son visage pour parcourir du haut vers le bas ses courbes alléchantes, qui se terminaient au niveau du sol par la partie la moins modeste de son anatomie, dont la vue lui fut présentement bloquée par une silhouette menue occupée à s'affairer dessus, audacieux solitaire à l'activité surveillée de près par la foule se confondant en commentaires et en goguenardises.
Se fendant alors d'un « Hum ! » sentencieux, et ne faisant guère cas des coups d’œil qu'on lui lança, le nouvel arrivant reprit sa progression précédemment interrompue par ses observations, et se dirigea vers la personne non identifiée qui s'avéra, de plus près, être manifestement un gamin des rues tels qu'on peut en voir tant arpenter furtivement les allées d'une grande ville comme Nexus. Vêtu de nippes rapiécées et pendouillantes, le garçonnet était occupé à triturer du doigt un orifice mis bien en évidence à environ un mètre du sol, et dans lequel il avait enfoncé une bonne partie des deux premières phalanges de son index. Le trou en question, une sorte d'anneau crénelé d'une couleur rosée sombre, réagissait manifestement à cette intrusion peu cérémonieuse, se contractant et se dilatant au contact de la tige de chair qui s'agitait en lui avec des bruits humides peu équivoques. Le gamin, apparemment pas âgé de plus d'une dizaine d'années d'après son minois enfantin crasseux recouvert d'une tignasse de cheveux d'un blond paille, ne semblait toutefois pas réaliser à quoi il avait affaire, poursuivant innocemment ses titillations maladroites, jusqu'à ce qu'un « Hum ! », de la même provenance que le premier, le détachât de son activité dans un sursaut alarmé.
Se retournant avec la vivacité de quelqu'un qui a reçu un choc, il se retrouva, en levant le visage, à faire face à un faciès bonhomme à moitié envahi par une foisonnante pilosité flamboyante, dont les yeux marrons et le sourire à moitié dissimulé derrière sa barbe renvoyaient de façon mêlée une désapprobation professorale et un amusement indulgent. L'inconnu, sans faire ni une ni deux, avec un sens de la cérémonie et du spectacle analogue à celui d'un prestidigitateur retirant ses gants pour en confier la garde à sa charmante assistante le temps de sa représentation, tendit sans mot dire une brochette encore bien garnie au gosse, lequel s'en saisit aussitôt avec une promptitude issue de l'esprit d'opportunisme que suscite en chacun les affres de la pauvreté. D'ordinaire, il aurait alors détalé avec son bien sans demander son reste, mais quelque chose de captivant dans les iris sombres de l'homme, ainsi que dans la tonalité de baryton de sa voix, l'incitèrent à seulement s'écarter de quelques pas lorsqu'il dit :
« Regarde et apprends. »
Contemplant alors d'un œil expert la petite rotonde purpurine qui avait repris un état d'inertie quasi-totale, il passa pensivement ses doigts dans sa toison faciale et, sans hésitation mais avec une sorte de révérence ordinairement attribuée aux agents sacerdotaux se présentant devant un autel, s'agenouilla devant l'ouverture sur laquelle il posa délicatement son index et son majeur, provoquant un tressaillement de la part de la masse organique indéfinie. Posément, avec une patience et une délicatesse dignes d'un artiste, et ne paraissant plus prêter aucune attention aux badauds qui l'entouraient, il se mit à stimuler l'objet de son intérêt en des gestes précis d'une lenteur délibérée. Là où le jeunot s'était péremptoirement mis à directement s'enfoncer dans cet antre miniature, l'être au canotier ne le pénétra pour l'heure pas, se contentant d'exercer sur son pourtour des pressions adroites et douces, massant avec doigté cette surface légèrement élastique qui, en réponse, s'agita avec une vivacité croissante au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient.
Tranquillement, tel un artisan opérant avec une certitude et une précision issues de l'expérience, l'étrange personnage continua d'administrer avec dévotion ce traitement à cette incongruité architecturale, jusqu'à ce qu'il enfonçât brièvement l'un de ses membres digitaux dans l'anneau de chair, lequel se resserra un instant avec force avant de se dilater de nouveau, laissant le gaillard aux allures de proctologue examiner rapidement ses outils naturels de palpation désormais recouverts d'une pellicule humide et odorante. Apparemment satisfait de cet état de faits, il passa à la phase suivante de ses attentions et, dans un hoquet de stupeur muet généralisé de la part des spectateurs présents, approcha le visage de la « serrure » toujours aussi envahie de palpitations, dans laquelle il ficha tout de go son appendice lingual.
Comme il s'y était attendu, l'entrée se contracta un instant violemment sous cet assaut renouvelé, puis, précédemment préparé et désormais comme rassuré par la texture douce et molle de ce pénétrait en lui, se détendit plus complètement encore qu'avant, laissant opérer le muscle qui s'était inséré en lui. Celui-ci, d'une dextérité et d'une hardiesse cultivées au fur et à mesure des expérimentations de son possesseur, s'épanouit à l'intérieur de ce conduit à la texture si familière et à la nature en même temps si inédite. Ce faisant, il prit le temps de s'imprégner de la saveur légèrement aigre et douceâtre qu'il dégageait, laquelle laissait toutefois également percevoir quelque chose de chaud et d'un chouïa épicé qui l'encouragea à redoubler d'ardeur dans ses investigations intimes. Virevoltant, lapant et glissant longuement et langoureusement, la langue ne diminuait pas ses efforts alors qu'au-dessus d'elle, les narines qui la surplombaient inspiraient et expiraient avec une régularité maîtrisée née de l'expérience.
Ne sachant sur quel pied danser devant ce spectacle de rue pour le moins peu banal, même à Nexus, la foule observait d'un air médusé, alors que les plus proches pouvaient voir l'anneau rosé littéralement gigoter avec un rythme digne d'une machinerie à pistons à plein régime. Quant à ceux dotés d'une bonne oreille, ou peut-être simplement d'une imagination fertile, ils purent ou crurent discerner au-delà du quasi-silence qui s'était fait une sorte de grondement tenu, ou peut-être de gémissement continu, provenant du gigantesque édifice contre la porte duquel l'inconnu poursuivait scrupuleusement ses dévotions.