Après quelques péripéties dans les Landes Dévastées, les pas hasardeux de Mascotte l’avaient conduit à Ashnard et plus précisément, non loin du Domaine Warren. Il savait ce que cet établissement proposait. Il savait beaucoup de choses sans pouvoir se les expliquer autrement qu’en supposant qu’on les lui avait mises dans la tête. De plus, le hasard, toujours ce hasard, lui avait permis d’entendre, au gré de sa marche, quelques clients fort satisfaits du dit domaine. Alors, il avait tendu l’oreille. Cet intérêt naissant en lui l’avait tout d’abord surpris. Puis, il en avait eu honte. Alors il avait pressé le pas, désireux de s’éloigner de ce qui, désormais le tentait. Mais il s’était ravisé. Trop conscient de sa nature, craignant que ses vices refoulés ne le mènent à la faute, il s’était dit qu’au final mieux valait les satisfaire dans un cadre qui s’y prêtait. Le sentiment de honte n’en fut pas pour autant dissipé. Profiter des services d’un esclave, ce n’était pas son genre. Mais d’un autre côté, il ne serait qu’un client parmi tant d’autres, un client correct de surcroit.
Bataillant avec ses hésitations, le voilà immobile non loin de l’entrée de l’établissement. Avait-il seulement de quoi payer ? Si ce n’était pas le cas, il en serait presque soulagé. Après tout, il pouvait se débrouiller seul, même si ce n’était pas aussi plaisant. Baissant la tête, il fouilla ses poches. Il avait glané en certaines occasions quelques pièces. Il les rassembla en son poing et ouvrant celui-ci à son regard, observa le petit tas dans sa paume. Il soupira. La somme n’était pas si négligeable qu’il aurait voulu le croire. La remettant dans sa poche, il entra.
Il fut accueillit par une personne des plus aimables. Par la force de l’habitude, cette ravissante demoiselle eut tôt fait de deviner son trouble et l’incita habilement à formuler sa demande ou à s’informer car il paraissait en avoir besoin. Confondu par des paroles si avenantes, Mascotte passa aux aveux. Il révéla être un peu particulier et expliqua ce en quoi son attente était particulière. Son soudain espoir de voir sa requête rejetée ne fit pas long feu face au sourire de la demoiselle. Loin d’être choquée, ni même surprise, elle poussa plus avant le sujet afin de mettre en lumière les préférences d’un client qui, sans être commun, n’était pas unique en son genre. Partagé entre la honte et le soulagement, Mascotte parla sans réserve, mais bas et toujours avec un vocabulaire décent. Sa commende passée et payée, la demoiselle lui indiqua le chemin à suivre pour se rendre à la cave, lieu qui avait retenu son choix.
Une volée de marches passée et une porte poussée, l’endroit se révéla à la créature. Baignée dans la pénombre, des parois de pierres brutes et humides, un air frais et vicié, divers accessoires édifiants couvrant le mur du fond... il était aisé de constater que la cave avait été faite sur mesures afin de convenir aux fantasmes de certains. Mascotte ne partageait pas spécialement ceux-ci, même s’il n’arrivait pas à éprouver de la répugnance pour cette pièce des plus glauques. Lui, c’était surtout l’isolement qui l’attirait. La honte était toujours là ; la honte et l’envie car il en avait trop dit pour que cela ne titille ses vices.
On lui avait dit qu’il devrait patienter quelques minutes avant que n’arrive l’esclave. Il n’en avait pas choisi un en particulier, il n’en connaissait aucun. Il s’avança vers l’étroit soupirail. Ce dernier représentait, avec la lanterne pendue au plafond, la seule source de lumière. Il attendit là, pensif, fixant le soupirail et les mains jointes dans le dos. Il se dit qu’il lui restait encore bien assez d’argent pour racheter des habits si ceux qu’il portait ne survivaient pas à la séance. Le détail avait son importance. La honte s’éclipsait. L’envie grandissait. Quand enfin il entendit la porte grincer derrière lui, indiquant l’arrivée de l’esclave, il s’adressa à lui sans encore se retourner.
-Bonjour.
La voix était grave et le ton posé. Le résultat était imposant. On aurait cru que c’était un solide gaillard de deux mètres qui s’exprimait. Mascotte n’en mesurait même pas un, mais il était solide, ça on ne pouvait le nier. Pour l’heure, il n’avait pas altéré son corps. Un peu à contre-jour à cause du soupirail, on voyait sa tête bleue aux larges oreilles. Dessous, il était vêtu comme un voyageur. Son ample costume arborait de vives couleurs, du jaune et du rouge essentiellement. A l’épaule, il portait son sac mais il s’en débarrassa, l’abandonnant au sol. Il le poussa du pied pour qu’il aille glisser contre le mur. Alors, il se tourna. Son regard d’obsidienne tomba sur le nouveau venu. Il poursuivit, égal à lui-même.
-Je ne sais si on vous a précisé la nature de ma requête. Dans le doute, la voici. J’attends de vous que vous me maltraitiez. Ne craignez pas pour ma santé, vous ne me ferez jamais assez mal et jamais vous ne pourrez me tuer, même si vous pouvez avoir l’illusion du contraire. Votre première tâche consiste à me dépouiller de ce que je porte et à me fouetter. Débutons.