Thème ( à partir de 2:20 )
Les soirées sont douloureuses. Si Marionnette avait pu écrire quelque chose, pour commencer un éventuel journal intime, c'est ce qu'elle aurait écrit. Et à chaque page, de surcroît. Travailler la nuit imposait de dormir la journée. Ainsi, d'épaisses tentures étaient clouées autour des fenêtres de sa chambre, pour la préserver de la lumière du jour. On l'appelait, dans la pension, "la vampire", avec un sourire en coin et en roulant des yeux. Elle s'y était faite, à la longue. Et puis, ce n'était jamais bien méchant. Tout en étirant ses jambes, elle attrapa son paquet de cigarette. L'un d'elle vint se poser à l'orée de sa bouche. Briquet. Flamme. Fumée.
Putain, oui, les soirées sont douloureuses. Sa main libre tâta la peau de son ventre. Au fil du temps, son corps gagnait en ampleur et en tiédeur. Non pas qu'elle frisait l'obésité, non, loin de là, Marionnette faisait bien trop attention à son corps tout neuf pour le négliger, mais elle se surprenait à avoir des hanches et de la poitrine. Elle secoua la tête, rejeta sa chevelure sur une de ses épaules. La gauche. Ses doigts effleurèrent son tatouage tout neuf, un serpent s'enroulant autour de sa jambe gauche, qui lui faisait encore un peu mal.
Il était huit heures du soir. Non, neuf, pardon.
Apprends à lire, oh.-
I'm a wild child, I don't wanna go to bed, chantonna t'elle, en duo avec la radio qui venait de la réveiller.
... La radio chantait bien mieux qu'elle. Une bouffée de tabac, et Marionnette quitta son lit. Tout le reste ne fut qu'une suite de banalités : cheveux brossés, coiffés, robe noire, bas & Dr Martens blanches enfilées, petite danse quotidienne devant le miroir pour s'assurer que sa tenue ne la gênerait pas et pour réveiller ce petit corps. Elle se permit d'enfiler une dizaine d'anneaux argentés autour de son poignet droit. Ce soir, elle sortirait. Non pas pour tuer, mais pour s'amuser. Même si les moeurs de ceux qui étaient désormais ses semblables lui semblaient plutôt étriqués - surtout quand elle regardait la télévision, soupirant de déplaisir devant les publicités - elle devait s'y faire. Elle était
humaine.
Alors qu'elle s'allumait une seconde clope, elle entendit plusieurs personnes parler sur le palier. La pension dans laquelle elle vivait était peuplée de jeunes femmes qu'elle s'offrirait bien, un soir.
Ce n'est pas très correct, tonna sa conscience. Que Marionnette fit taire immédiatement. Vivre dans un corps humain, c'était aussi vivre avec des pulsions humaines. Alors, la conscience, hein ... Elle cala son Beretta dans une poche de son perfecto en cuir noir, et quitta sa chambre. Saluant ses colocataires, elle se dirigea prestement vers la cave, un lieu qu'elle affectionnait aussi pas mal, pour la simple et bonne raison qu'elle y cachait ses
trouvailles. Sauf qu'ici, ce n'étaient pas des objets trouvés qu'elle entassait, mais des objets volés. Un récent contrat l'avait chargée de chaparder à droite et à gauche, dans des baraques bourgeoises à en crever, des objets de valeur. Calices, livres et bijoux anciens, robes aussi précieuses que les quelques pierres qu'elle avait pu s'accaparer ... La cave avait des allures de caverne d'Ali Baba. Et le Sésame, une vieille clé rouillée, elle seule le possédait. Refermant avec précaution la porte derrière elle, elle s'installa sur un siège dont le prix valait au moins celui de cette pension, pour admirer ses trésors.
- Uh shit sorry man I'm stoned againChantonna t'elle, tout en tirant une bouffée sur sa cigarette.
Ce sont mes trésors. Elle attrapa doucement un chapelet en or, l'enroulant autour d'un de ses doigts non sans cesser de chantonner.