Pousse-toi. Pousse-toi... POUSSE-TOI !! (Alys)

La nuit. Une période de la journée qui révèle, à qui saura le voir, une envoutante beauté, mystérieuse, apaisante, fascinante. Tandis que le ciel se drape de son sombre et inquiétant voile noire, une myriade d'étoile semblent y éclore, infimes points lumineux, scintillante et envoutante parure, accompagnatrice de l'astre sélénite qui illumine les rues de son pâle éclat argenté. Une émerveillante chorégraphie, dont toute la population ici-bas se fichait royalement. Pendant que certains s'enivraient de nectar à la qualité douteuse, d'autres profitaient de l'obscurité pour accomplir leurs malhonnêtes méfaits, tandis que d'autre encore roupillaient, paisiblement. Rozalynne, elle, était assise sur un tonneau, dans une ruelle qui longeait sa taverne favorite, et discutait avec animosité avec un autre mercenaire, un terranide-loup, dont la ruse et la finesse lui avaient valu son respect. Du moins, elle discutait, jusqu'à ce qu'un homme ne vienne la déranger.

Elle n'accorda pas d'importance à l'histoire futile qu'il déblatérait, une histoire d'affront, de vengeance, de broutilles entre humains faibles et indignes de son intérêt, mais en retint l'essentiel : assassinat, récompense. Et la simplicité de la tâche avait de quoi la ravir. Ce n'était pas une forte somme, certes, mais on ne crache pas sur de l'argent facile. Elle se leva et se dirigea vers la taverne, avec un calme olympien qui forçait le respect, dont elle en franchit les portes en jaugeant d'un vif coup d'oeil sa population. Des mercenaires, des trafiquants d'esclaves, des voyageurs, des assoiffées, qui riaient ou beuglaient dans cette atmosphères aux fortes senteurs de sueurs et d'alcool. Il ne lui fallut pas longtemps avant de repérer sa cible, au comptoir, à discuter avec son voisin. Une cible visiblement facile, qui ne tiendrait pas deux seconde face à elle. Parfait... Elle s'assit à une table, rabrouant en une sifflante menace la serveuse, lui intimant de la laisser tranquille, avant de poser son regard sur l'homme en question. Elle aurait pu lui regler son compte, ici et maintenant, mais cela aurait été risquer de s'attirer inutilement des ennuis. Non, mieux valait attendre le moment propice, où aucun témoin ne la prendrait en défaut, et là... son heure viendrait, aussi surement que le soleil se lèvera demain. Et saluera du haut de son zénith son cadavre abandonné.

Comme d'habitude, Alys s'était enfuie d'Olympe. Elle en avait marre, mine de rien, de cet endroit dont les fastes lui étaient interdits. Après une cuite au nectar, elle s'était retrouvée à subir une semaine aux Enfers, obéissant au moindres caprices d'Hadés. Et, croyez-moi, quand celui-là se décide à vous les briser, il s'y prend merveilleusement bien ! Alors, puisqu'on la gavait là-haut, eh bien elle se rendrait en bas. Sur Terra. A Nexus. Profitant que le dieu lui tourne le dos un moment, elle se carapata sans mots dire, bien trop heureuse d'échapper aux Enfers et à ce dieu tortionnaire. Alys connaissait bien le chemin, pour le nombre de fois où elle squattait ces lieux pour essayer de faire sortir quelques morts afin qu'ils lui tiennent compagnie et joue avec elle à Mortal Combat. Aussi se retrouva t'elle en un clin d’œil sur Terra, face à une taverne. Vêtue d'un soutien-gorge rose fushia, d'un short à bretelle noires, de chaussures compensées de la même teinte et de ses habituelles longues chaussettes rayées rose et noires, la prêtresse entra.

Elle se serait attendue à ce qu'on la regarde, étonné. Qu'on la dévisage comme la petite folle qu'elle était. Mais non, ce ne fut pas le cas ... Il y avait là bien trop de putains aux poitrines rivalisant avec les meilleurs poids-lourds de la région pour qu'on se mette à mater une adolescente dont les seins paraissaient des boutons à côté de ceux des filles de joies de Terra. Alys secoua la tête, blasée, et commanda un verre. Elle se promit d'être sage, ce soir. Ses frasques, on les connaissait plutôt bien, en Olympe. Et les dieux n'appréciaient pas tellement qu'une de leur prêtresse soit une sorte d'alcoolique finie, fugueuse de surcroît.

... C'est pour cela qu'on la retrouva, vingt minutes après, complétement ivre, à danser au milieu de quelques autres femmes aussi peu vêtues qu'elle, au milieu de types aussi bourrés qu'elle, qui tapaient dans leurs mains comme des gosses devant un dessin animé aveuglant de connerie.

- Chou, recommence ça, et je te coupe les doigts, compris ? ♥

Lança t'elle à un type qui essayait de la peloter. Non, ce soir, Alys ne voulait pas d'un homme à taquiner. Elle en avait marre, de ces chiots en chaleur. Animée par le goût du danger et de la découverte, la petite prêtresse se dirigea vers une femme plutôt étrange - dans le sens où elle n'en avait jamais vu des comme ça - qui s'apprêtait à quitter la pièce. Sa décision était prise, dans ce petit crâne de moineau amnésique.

- Paye-moi un verre d'hydromel, Chou ! ♫

Sourire niais, alors qu'elle se plantait devant cette femme plutôt jolie. Enfin, elle essaya de se planter devant elle, mais la brunette lui tomba littéralement dans les bras, visiblement trop ivre pour rester debout. Dans un petit cri suraigu, donc, elle s'étala sur cette inconnue.

De longues minutes passèrent, des dizaines et des dizaines, qui défilaient inlassablement, et paraissaient chacune durer une éternité tant le brouhaha diffus et incessant de la taverne conférait à ces lieux une hypnotisante ambiance. Mais Rozalynne patientait, conservant son calme avec une rigueur digne d'un entrainement militaire. Son regard papillonnait ça et là, observant tantôt la débauche impressionnante dont certains pouvaient faire preuve, et pas forcement sous l'effet de l'alcool, tantôt les coins sombres où se concluait des affaires à l'honnêteté douteuse, tantôt sa cible, qu'elle épiait discrètement et ne quittait jamais de vue.

Rozalynne soupira brièvement. Il n'avait toujours pas quitté le comptoir, sifflant ses verres d'hydromel comme un chameau assoiffé s'abreuverait d'eau, et discutant avec son voisin, qui s'avérait être en fait une séduisante voisine. Probablement une catin, et pas une bon-marché, aux vues des courbures alléchantes de sa silhouette qui en ferait pâlir plus d'une. Mais pas la demi-dragonne, qui se considérait bien au dessus de tout ça, de ces comportements d'arriérés primitifs, où les instincts animaux reprenaient leurs droits. C'était exactement ça, ils étaient réduits à l'état d'animaux, aussi insignifiant que le cafard qui rampait actuellement près des pattes de Rozalynne. Et qu'elle écrasa sans en éprouver aucun remords. Les joies d'être au sommet de la chaine alimentaire.

Néanmoins, animal ou pas, cela n'arrangeait en rien ses affaires. La cible de son contrat (appelons-le Jack) ne semblait pas enclin à quitter cet endroit pour le moment. Et s'il le faisait, ce ne sera surement pas seul, la femme en question l'accompagnerait très certainement. Aux yeux de la mercenaire, cela relevait du simple détails, elle n'aurait aucune pitié à se débarrasser d'elle également. C'était dans l'ordre des choses après tout, de parfois subir la malchance, d'être au mauvais endroit au mauvais moment. Elle subirait les dommages collatéraux inhérent à sa mission, et l'affaire sera réglée, un point c'est tout. Mais, dans les faits, c'était loin d'être aussi simple, elle savait d'expérience que les filles de joies ne travaillaient que rarement pour leur propre compte, et qu'elles étaient bien souvent sous la tutelle d'un "mac", qui leur offrait protection en échange d'une part substantielle de leurs bénéfices. Et prendre de tels risques inconsidérés, ce n'était pas dans ses habitudes.

Consciente qu'à force de rester plantée là sans rien faire, elle risquait d'attirer l'attention, Rozalynne se leva et marcha calmement, en direction de l'autre bout de la pièce, ou elle s'installerait à nouveau. Elle esquiva en arborant une mine dédaigneuse une danseuse très éméchée, puis une autre qui rejoignit sa copine, trop saoules pour prêter attention à ce qui les entourait, mais elle ne vit pas venir la troisième, dont la lucidité était visiblement aux abonnées absentes. L'impétueuse dragonne la repoussa vivement, et lui répondit sèchement, tandis qu'elle s'écroula misérablement au sol sous les rires de certains.

- Ne t'approche pas de moi, catin !

Elle darda son regard sévère sur la jeune femme, qui luisait d'un inquiétant éclat doré, avant de lentement s'adoucir, et se raviser. Une idée lui traversa l'esprit. Elle s'approcha de son corps avachi par terre et lui susurra doucement, à l'abri des oreilles indiscrètes, sur le ton de la confidence.

- Je sais ce que tu as fais, petite peste. Tout le monde ne parle que de ça, ici. Tu vois cette femme, là...

Elle indiqua la compagnonne de Jack, qui étaient maintenant dans les bras l'un de l'autre, à se rouler des pelles aussi gloutonnes qu'indécentes, avant de poursuivre.

- C'est elle qui m'a parlée de toi. Tu devrais lui en toucher deux mots, elle a l'air de prendre un malin plaisir à ruiner ta réputation.

Était-ce du bluff ? Absolument. Allait-ce fonctionner ? Pas sûr. Mais c'était pour elle une bonne occasion de pouvoir se débarrasser de l'humaine qui gênait ses plans, alors autant tenter le coup. Elle ne risquait rien après tout, non ?