Il avait fallu un long moment pour que Louhi comprenne. Assoupie, épuisée, sur son grand lit aux draps de cendres, elle avait oubliée de surveiller ses Terres. Terres qui, pourtant, l'avaient alertée doucement. Le soleil rougeoyant s'était abaissée dans les cieux, pour laisser place à une bise glaciale, de celles qui vous giflent à sang. Et elle, emmitouflée dans ses lourdes couvertures, n'avait prêté aucune attention à ce qu'il s'était passé au dehors. Ce n'est que quand une de ses domestiques ouvrit une fenêtre pour aérer un peu que la déesse s'éveilla de son sommeil léger. D'un mouvement vif, elle se redressa, appuyée sur un de ses bras, le corps complétement nu, ses yeux fixés vers la fenêtre ouverte. Croyant mal faire, la domestique marmonna quelques excuses en refermant la vitre. Mais Louhi la somma, d'un regard, de l'ouvrir. Elle était maintenant bien réveillée, et surtout alertée. Aussitôt, elle quitta son lit, vêtue de son seul drap noir, pour se pencher à la fenêtre, alors que sa domestique n'osait rien dire.
La souveraine se passa une main dans les cheveux, soupirant longuement.
-
Va quérir ma favorite et ma tenue de souveraine.
Un ordre froid, implacable. La domestique quitta les lieux à pas de loups, et, deux minutes plus tard, une belle femmes aux traits fins et au crâne rasé entra. C'était une salamandre, une fille des flammes, dont la peau se couvrait d'écailles reptiliennes à la moindre attaque. Elle était issue de l'un des nombreux peuples hybrides qui vivaient dans le Pohjola, au même titre que les sylphes, gnomes, sirènes et autres joyeusetés. C'était la favorite de la souveraine, une des seules qui pouvait se targuer de gifler la déesse quand elle perdait ses moyens. Parmi les domestiques du palais, elle était la plus sage et la plus respectée. Vêtue d'une simple toge ocre et de multiples bijoux, elle portait dans ses bras la tenue souhaitée par Louhi. Elle la posa avec douceur sur le lit défait, avant de prendre une brosse à cheveux sur la coiffeuse de la reine. Elle s'approcha de la déesse, et commença à lui coiffer les cheveux.
- Vous semblez affolée, ma Reine, souffla t'elle.
-
Un étranger veut entrer sur mes Terres, répondit-elle d'une traite.
La salamandre réprima un frisson.
- Il nous faut aller le chercher, alors, continua la favorite, tout en défaisant habilement un nœud.
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Je vais revêtir ma tenue royale. Et envoyer des soldats qui la trouveront. - Vous vous exprimez de manière très abrupte, ma Reine.
- Je suis inquiète, ne comprends-tu pas ?! La favorite fit le choix de se taire, et de continuer à brosser les longs cheveux de sa souveraine. Puis elle l'aida à revêtir
sa tenue, une robe et une coiffe de cérémonie. La robe bustier, blanche, moulait le torse de la reine, avant de se terminer en larges lamelles de tissu qui effleuraient le sol à chaque pas. Elle la mettait rarement. Pour de grandes cérémonies, des sacres, des rencontres avec d'autres déités, ou quand elle devait se confronter à des étrangers. Il fallait qu'elle donne l'image d'une grande reine, après tout. Louhi héla quelques soldats - des êtres mi-hommes, mi-aigles - qui partirent aussitôt à la recherche de cet étranger, puis elle se dirigea vers la salle du trône, s'installant sagement sur celui-ci. C'était un trône de forme ronde, doré, garni de coussins et de dorures soignées, qui s'élevait au-dessus de quelques marches de pierres, le tout dans une large salle au plafond très haut. Autour d'elle, des gardes. A ses pieds, sa favorite, qui caressait un tigre immense.
Et elle attendit patiemment qu'on lui amène cet intrus.