"Je ne veux pas."
Celle là, je ne sais pas si je l'attendais ou si je la redoutais. Sûrement un peu des deux, puisque je suis incapable de savoir si je me sens soulagé ou encore plus mal. En guise de réaction, mes bras se contractent un peu sur son corps que j'étreins et, avant de me décider sur la réaction à adopter quant à la réponse qu'elle vient de me fournir, je préfère me taire et laisser à mon coeur le loisir de s'exprimer. Après tout, je ne suis pas le seul à avoir des choses à dire. Et profiter de l'odeur de son corps après l'amour, de la douceur de sa crinière de feu contre ma peau et mon visage, c'est un plaisir qui m'a trop longtemps boudé. Qu'elle parle, même si c'est pour m'assassiner. Tant qu'elle reste tout contre moi, ça me va parfaitement. Je la sens qui recherche un peu plus de ma présence et ça me soulage, moi qui caresse sa peau du bout des doigts pour répondre à sa demande. Je soupire délicatement de plaisir à la ressentir tout contre moi et j'écoute ce qu'elle a à me dire.
Le fait qu'elle se tourne face à moi, qu'elle me propose ce baiser que je partage avec passion et envie, tout ça veut dire que ce que les mots qu'elle va prononcer vont être important, cruciaux peut-être. Je connais assez la femme qui partage ma vie et mon coeur pour savoir qu'elle met toujours les choses au clair sans prendre de chemin détourné, même si ça doit en mettre plein la gueule à tout le monde. Pour nous donner du courage à tout les deux (et parce que ses lèvres sont tellement pulpeuses que je ne peux pas m'empêcher de vouloir y goûter au premier prétexte), je l'embrasse à nouveau. Légèrement, même si ma langue traîne une seconde sur ces délicieux ourlets charnels.
Ce qu'elle me dit est difficile à avaler, pour tout vous dire. Je m'étais préparé à n'être que Kyle le temps que nous êtions séparés, je m'étais décidé à enterrer Sentinel Prime et toutes les conneries allant de paire avec le costume. J'étais persuadé qu'Hitomi me sauterait au cou pour me féliciter et me dire que c'était là un beau cadeau, mais... Raté. Je ne dis rien. J'encaisse et ravale mes illusions pendant qu'elle se dresse légèrement pour m'embrasser le front avant de revenir me fixer droit dans les yeux, regard que je ne brise pas. J'écoute toujours, silencieux. Puis elle revient dans le nid que formes mes bras contre elle et je prends la mesure de tout ce qui vient d'être dit. Je pense à elle, à nous, à tout ce qu'on a traversé depuis notre premier regard durant son cours de rattrapage. Que de chemin parcouru et de larmes versées, que de fureur dans cet amour qui n'a rien de facile mais qui semble pourtant si évident à nos yeux aujourd'hui.
Elle s'est toujours partagée entre Kyle et SP, avec tout ce que ça impliquait pour elle ainsi que pour nous deux. Je ne pensais pas qu'elle rejetterait la chance de voir notre bête noire à tout les deux s'envoler pour de bon par la fenêtre et ça me fiche un coup, moi qui était si sûr de moi. Malgré moi, je ne réagis en rien à son être pressé contre le mien et la main que j'étais venu placer sur l'un de ses seins n'a guère prit la peine de jouer avec son insolent volume ferme, caressant à peine la peau. Si ce n'est pas un signe que je cogite, ça...
- Sentinel Prime est un peu comme une ex collante. Tu sais, cette fille qui était amoureuse de toi comme les gamines peuvent l'être, cette fille que tu as mise dans ton lit pour lui ravir sa virginité parce que c'est la classe de dépuceler une nana, sauf qu'elle prend ça pour un symbole amoureux fort et que du coup elle se refuse à te voir partir, à voir autre chose que toi qui n'en a plus rien à foutre. C'était un jeu, un challenge et puis c'est tout. Mais pour elle, c'était puissant et vraiment important, alors elle te bombarde de messages et te promets la lune si tu reviens à ses côtés. Et -en bon enfoiré - tu la fais miroiter un peu d'amour pour la baiser quand personne d'autre ne veut de toi.
Je soupire, me passant une main sur le visage. Au final, je trouve la comparaison très juste.
- Quand je suis arrivé dans ce monde et que j'ai domestiqué mes nouveaux pouvoirs, devenir un super-héros m'a semblé être une évidence. Pas parce que j'avais spécialement envie de défendre la veuve et l'orphelin, non. Parce que quand j'étais gamin, j'en avais toujours rêvé. Parce que maintenant que j'étais puissant et que mon corps était façonné par mes pouvoirs pour être ce qu'il est aujourd'hui, je savais que ça plairait aux fillex. Quel con... Je n'avais jamais couché et je me suis retrouvé dans le lit d'une déesse pendant l'antiquité pour ma première fois, alors je me suis senti pousser des ailes.
A mon tour de la fixer dans les yeux, de ne pas la lâcher tandis que je parle. Sur son sein, mon pouce glisse doucement. Pas réellement sous l'envie ou le désir, mais plutôt comme un geste machinal qui me donne du courage. Bien que je finisse par prendre le globe dans ma main pour le presser un instant, ce n'est pas vraiment sexuel. C'est une caresse comme une autre, une façon de m'aider à me concentrer.
- Je voulais me la raconter, mais je me suis pris au jeu. On donnait du Sentinel Prime à la télé, dans les journaux, dans les rassemblements de comics ou de mangas. T'imagine l'effet que ça me faisait ? En retour, je sauvais des gens et tout le monde était content. J'emballais quelques nanas pour faire bonne mesure, tout en finissant par comprendre que la baise pour la baise n'était pas mon truc. Et du coup, j'ai pigé que ce qui faisait marcher Sentinel Prime n'avait rien de valable. J'ai cherché des raisons d'arrêter plusieurs fois, mais j'y revenais toujours. Parce que grâce à SP, je rencontrai des tonnes et des tonnes de personnes intéressantes ainsi que des filles canons qui n'auraient jamais accordé un regard à Kyle. Autre soupir, plus prononcé cette fois. Je parlais beaucoup, mais à cet instant, j'en avais besoin et me libérer me poussais à m'expliquer davantage. Et puis, je ne dois pas avoir un fond mauvais, tu sais : aider ces gens qui en avait besoin me semblait naturel. Ca amplifiait mon malaise envers moi-même et mes deux égo, mais je le faisais volontiers. Même Donna, ma chère Donna... C'est d'abord SP qui l'a rencontrée et je sais que sans lui, ça n'aurait jamais été possible.
La peur des hommes de ma meilleure amie ne lui aurait jamais permit de me laisser seulement lui adresser la parole ou de l'approcher. Le premier soir avait été très particulier et ça restait aujourd'hui encore un souvenir que je chérissais précieusement, mais il était imputable à SP. A cette pensée, mes doigts s'arrêtèrent de masser délicatement le sein de ma compagne, que j'abandonnais finalement. Mes mains vinrent l'attraper aux épaules pour l'écarter un peu de moi afin que je puisse la contempler, mes yeux gravant dans ma mémoire chaque trait de son visage.
- Et puis, j'ai eu besoin de prendre des cours de langue. Là, j'y ai rencontré une des rares personnes ayant commencé à s'intéresser à Kyle avant tout, même si c'était le fruit du hasard. Tu m'a regardé et je me souviens avoir simplement pensé que si j'arrivais à gérer correctement la situation, on partagerait un bon moment au lit avant de se dire qu'on se reverrait peut-être de temps en temps. Une sorte de sex-friend, quoi. Tu connais la suite et à quel point j'étais dans le faux... Je vins l'embrasser alors même que le sourire fier n'avait pas quitté mon visage. Dans tes bras, j'ai pu être seulement Kyle. Tu ne m'a jamais aimé pour autre chose que ça, Hitomi. Je le sais et putain, je t'en suis reconnaissant. A côté de ça, tu as rendu presque Sentinel Prime inutile dans ma vie, parce que je t'avais toi et que le reste ne comptait plus. Il a continué à exister parce que je ne savais pas comment arrêter. Après notre crise et l'annonce de sa mort, je me disais que c'était le bon moment. T'offrir un homme à part entière et pas un type qui serait là une fois de temps en temps, pour qui tu t'inquiéterais sans cesse, voilà ce que je voudrais.
Doucement, je me levais du lit et l'entraînais à me suivre en tirant délicatement sur son poignet. Je fis quelques pas vers la fenêtre pour l'ouvrir, avant de revenir vers le lit pour en tirer le drap froissé par nos ébat. J'en couvris nos deux corps et prit Hitomi dans mes bras, l'emportant sans bruit à travers la croisée. Seïkusu s'étendait sous nous deux, le soir tombant commençant déjà à l’envelopper de son manteau nocturne. Nous prîmes un peu d'altitude, juste assez pour pouvoir contempler un bon ensemble de la ville.
- Voilà comment je vois le monde, mon coeur. Vaste, étendu, se perdant à l'horizon. Une mer prête à m'engloutir. Mais tu me sers de point de repère, de point d'ancrage. Je veux bien me perdre pour toujours dans cet océan là si je suis avec toi, Hitomi. Je veux bien qu'on me coupe les ailes pour ça, oui. Je la regardais dans les yeux alors que le vent soufflait doucement sur nous. Si je dois continuer à être Sentinel Prime, je continuerai de survoler l'océan pour ne jamais faire plus qu'y plonger un moment avant de remonter. Si je continue à être ce que je suis, Hitomi... Il y aura peut-être un jour où je ne reviendrai pas, où tu n'aura que la froideur d'une absence que tu ne comprendras pas pour te tenir compagnie. Et je ne serai pas là pour te prêter mon épaule et sécher tes pleurs.
La mort. C'était une amante avec laquelle il fallait inévitablement composer. Je l'avais frôlée plus d'une fois et systématiquement, mes pensées étaient allées aux gens que j'aimais, Hitomi en tête. Je n'étais pas encore assez prétentieux que je ne mourrai jamais, tout Sentinel Prime que je fus. Intimement, je savais que tout ce qui vivais était destiné à mourir.
Bien que j'avais porté jusque là Hitomi à la façon d'une jeune mariée, je la relâchais de façon à ce qu'elle soit droite contre moi, mes bras lui interdisant toute chute tout en la laissant libre de ses mouvements. Le baiser que je vins lui réclamer fut long et appuyé, débordant de l'amour que je lui avais toujours porté. Lorsqu'il prit fin, je vins coller mon front au sien.
- Mais tu peux me croire, mon coeur : si je pars, je trouverai bien un moyen de revenir. Je suis un peu collant, quand même.