Croquant plus par politesse qu'appétit dans une belle poire juteuse, j'accordais toute mon attention à Ororo. L'interview débutait enfin et j'avais le pressentiment que je m'y sentirais plus à l'aise que depuis le début de l'entrevue. Cette femme était certes très agréable, aussi sympathique qu'elle était séduisante, mais tout le luxe qui nous entourait me mettait mal à l'aise. Jusque là je n'avais assisté qu'à des interviews donnés dans les locaux du journal où chez quelques originaux qui ne payaient pas bien plus de mine que moi. En résumé, j'avais toujours été dans mon univers. Chez mon hôte, j'en étais bien loin. J'en ressentais un drôle de sentiment d'insécurité, même si le sourire de la jolie black savait me rassurer un peu.
Attentif malgré tout, je l'écoutais me livrer quelques parcelles de son passé et constatais avec étonnement qu'elle n'était pas née avec une cuillière en argent dans la bouche et qu'elle avait dû se battre pour survivre jusqu'à atteindre des cieux plus cléments. Le Japon lui avait permit d'exploiter pleinement ses capacités hors du commun dans un but lucratif et je compris que la vision que nous avions de nos pouvoirs et de leur utilisation était bien différente. Alors que j'avais entrepris de mettre mes dons au service du plus grand nombre sans rien attendre en retour, Ororo ne s'était pas gênée pour développer une véritable petite industrie qui -à en juger par sa seule villa- était plutôt florissante.
Je dois avouer que je peinais à la comprendre. Un si grand pouvoir (enfin, prétendu comme tel pour ce qu'il en était à ce moment) motivé par l'argent ? Comment pouvait on considérer son seul confort comme une "grande cause" ? D'accord, sa jeunesse n'avait pas vraiment été rose et la belle avait bien le droit d'en profiter un peu à présent. Mais quand même....
Un peu attéré par ces constations qui avaient fait naître en moi un léger sentiment d'antipathie envers cette femme qui m'avait quelque peu déçu, je tentais de ne rien en laisser paraître bien que je n'eus plus le coeur à dévorer la poire. Mieux, le discours et les conclusions que j'en avais tirées un peu hâtivement m'avaient fait serrer le fruit un peu trop fort et sans que je ne m'en rende compte, sa chair avait jaillit entre mes doigts. Tâchant de conserver mon sourire, j'avais rapidement enchaîné sur ses pouvoirs. Bon, d'accord : j'espérais la prendre en défaut. Je voulais qu'elle tente seulement d'esquiver la démonstration, qu'elle se cherche des excuses où qu'elle m'en propose des toutes faites afin de se sortir d'un bien mauvais pas. Après tout, un pouvoir si grand qu'elle le prétendait ne pouvait pas demeurer entre ses mains, à elle qui me semblait à présent terriblement vénale ! J'allais la percer à jour et l'assassiner proprement dans mon article.
Autant vous dire que sa réponse cassa un peu mon délire par sa simplicité.
- Je vois. Ce n'était pas vraiment une démonstration, je répondais juste à l'appel des plantes. Mais si vous voulez une démonstration, ça peut s'arranger.
- Euh.... Ah bon ?
Ses yeux devinrent blanc, perdant l'iris et la pupille avant qu'Ororo ne s'envole. Ca, c'était classe. Flippant, mais bien classe. Levant la tête je tentais de la suivre des yeux alors qu'elle rejoignait les nuages.
- Pff. S'envoler, c'est à la portée de tout le mon...OHPUTAIN.
Si le ciel s'était simplement contenté de passer à l'orage, je n'aurais pas vraiment cillé. Mais les éclairs qui dessinaient des formes dans le coeur des lourds nuages noirs, c'était quelque chose d'assez exceptionel -même pour moi. La pluie s'abattit alors sur le jardin avec force, sans toutefois mouiller une seule parcelle de la table ni de l'espace où je me trouvais. Et ça ne s'arrêta pas là ! Sous mes yeux ébahis qui me donnait cet air de con que j'avais un peu trop souvent, je vis de la neige virevolter avant que mon attention ne soit captée par un bruit derrière moi. Je me retournais pour voir tomber dans mon thé le deuxième glaçon avant que le soleil ne revienne, puissant et sec.
La tornade m'inquiété déjà beaucoup plus et j'en étais à me demander comment j'allais gérer ce genre de souci sans mes pouvoirs, mais... Rien ne se passa. La queue du phénomène vint caresser la main d'Ororo et moi, j'en restais bouche bée même si le vent qui cinglait le jardin me donna l'impression de pouvoir me balancer à l'autre bout de la ville.
C'était ça, le pouvoir d'Ororo ? Pas étonnant que les villageois de son bled la vénéraient comme une déesse ! Elle avait un pouvoir effarant à portée de main et semblait savoir s'en servir.
Je la suivais du regard alors qu'elle retournait s'asseoir le plus naturellement du monde. Elle semblait si tranquille, si posée... C'était l'impression que je donnais aussi quand je défonçais des murs de briques et soulevait des immeubles ? Et la voilà qui disait qu'elle pouvait se livrer à plus impressionnant, plus dévastateur même de son propre aveu !
Je me passais une main dans les cheveux tout en essayant de prendre une mine moins abasourdie. Merde, j'avais vu des tonnes de choses dingues au cours de ma vie, non ? Alors une nana qui manipulait la météo, ça n'aurait même pas dû m'interesser ! Mais j'étais comme ça : un éternel gosse qui arrivait encore à s'émerveiller du... du merveilleux.
Je me laissais tomber dans ma chaise plus que je ne m'y posais.
- D'a-d'accord... Je vous dois des excuses, je pense. Je n'ai pas cru la moitié de ce qu'on racontait sur vous jusque là. A force de bosser pour l'OVNI, on comprend que beaucoup de gens racontent n'importe quoi pour se faire mousser, mais là...
Ouvrant grand les bras, j'illustrais mon propos pour lequel les mots me manquaient. Mieux, j'y ajoutais un sourire sincère. Un homme normal ne se serait il pas étonné davantage ? Peut-être, mais ça n'importait pas vraiment. Elle avait dit quelque chose qui m'avait ramené en arrière de quelques minutes.
- Vous parlez d'arrêter des criminels, mais vous monnayez vos services. Ceux qu'on qualifie de "héros" sont plutôt des gens désinteressés, non ? Vous avez un pouvoir immense, c'est indéniable. Mais c'est du gâchis de l'utiliser comme vous le faîtes.
Hmm... Là, je laissais un peu trop le personnel parler, chose que je devais éviter en tant que journaliste. Je risquais de la froisser, et qui voudrait sciemment faire chier une nana pouvant libérer sur lui la fureur du ciel, hein ?
Mais bon, j'avais toujours été un petit con.
- On vous a vénérée comme une déesse et vous pourriez panser de nombreuses plaies à la surface du monde. Je ne parle même pas des super-criminels où des cinglés de ce genre là -Sentinel Prime et d'autres s'en acquittent parfaitement- mais vous pourriez faire pleuvoir sur les contrées les plus arides, veiller aux récoltes là où c'est vraiment nécéssaire... Et vous préférez prendre des "commandes" pour de riches clients ? Pourquoi ? Qu'est ce que vous avez dans le crâne, au juste ?
Ohla ! J'y allais un peu trop fort et je le regretterais sûrement, mais tant pis. Dardant mon regard dans le sien, j'attendais qu'elle m'explique ce qui la motivait, la poussait à faire ce qu'elle faisait. Comment pouvait-on jeter aux orties un pouvoir quasi divin ? Voilà ce que mes yeux lui demandaient tandis que j'attendais sa réponse.