Au moment où Lolita, pleine de doutes, hésitait encore à sonner à sa porte, le Docteur Nigel Barclay était pour sa part très occupé à engloutir d'une main un sandwich d'où émergeaient pêle-mêle fromage, morceaux de poulet, diverses crudités d'une fraîcheur douteuse ainsi que trois tonnes de mayonnaise. Le sandwich prouvait, pour qui connaissait le jeune analyste, que ce dernier manquait de temps pour manger comme faire ses courses, et que les réserves de son frigo atteignaient un seuil critique. Il ne tarderait vraisemblablement plus à faire appel au magasin de sushis qui le livrait régulièrement à un tarif totalement prohibitif. La main gauche de Nigel Barclay était, elle, employée à faire défiler l'article qu'il lisait sur internet, avec une incrédulité grandissante. A quoi pensaient le Game Master de la franchise des Wizards en faisant ce transfert de joueurs, voilà ce que ne parvenait pas à comprendre le psychiatre. Il passa quelques minutes à essayer de trouver un avantage quelconque au transfert, avant de renoncer et de conclure que le GM était sans nul doute un incompétent. Non qu'il en soit surpris … Peu de personnes trouvaient grâce aux yeux de l'arrogant jeune homme.
La sonnette retentit, brisant le fil des réflexions de Nigel. Il regarda l'horloge au bas de son écran … La cliente suivante devait être en avance d'au moins un quart d'heure, ce qui était inhabituel de sa part. Quelle poisse, il était déjà tellement difficile pour lui de se ménager un peu de temps libre pour souffler un peu, voilà que cette femme allait amputer de moitié la durée de sa pause. Il se leva, maugréant, écarta machinalement quelques vêtements épars pour les jeter hors de portée des regards de ses clients, et se dirigea vers la porte, méditant sur l'image que le désordre qui régnait dans son salon donnait de lui. Ca ne faisait pas très sérieux, pour un psy …
Ce fut alors que l'annonce lui revint en mémoire. Il avait engagé une lycéenne pour venir faire un peu de ménage, l'autre jour, au téléphone. La fille qui lui avait répondu était sa soeur aînée, et elle avait dit qu'elle passerait aujourd'hui, s'il ne se trompait pas … C'était peut-être elle qui sonnait ?
Nigel ouvrit la porte, et découvrit Lolita, déguisée en soubrette, sur son paillasson.
Par quel miracle Nigel réussit-il à rester sérieux, il n'en savait rien lui-même ; il était habitué à rester de marbre lorsque ses clients lui racontaient des histoires qui auraient fait bondir n'importe qui, mais en un sens, cela restait la plupart du temps dans un registre qui ne le surprenait pas. Lolita en costume de soubrette, en revanche, voilà qui le prenait à revers.
Peut-être fut-il aidé par la réaction de la jeune fille elle-même. Lolita avait déjà l'air mal à l'aise et les joues légèrement rougies lorsqu'il avait ouvert la porte ; mais visiblement, il n'était pas le seul à être surpris de la situation, car Lolita le regarda un bref instant avec des yeux ronds, la bouche légèrement entrouverte, avant de rougir de plus belle en regardant sa tenue d'un air coupable. Nigel s'apprêtait à lui demander des explications, quand il avisa le regard hostile d'une voisine qui les épiait depuis sa propre porte, toute honte bue. Cette abominable commère n'aurait pas le plaisir d'en entendre davantage, se dit Nigel, et il ouvrit sa porte en lançant :
« - Entre donc ! »
La jeune fille entra, et Nigel referma la porte, l'écoutant parler du travail … La lumière se fit dans l'esprit de Nigel. Lolita était la lycéenne qui avait répondu à sa demande pour faire des ménages ! Curieuse coïncidence … Restait la tenue de soubrette … Nigel prit son temps pour détailler le costume de Lolita, appréciant pleinement ce qu'elle lui offrait. Le décolleté était audacieux, la taille fine, et le vêtement s'arrêtait bien au-dessus du milieu des cuisses de Lolita. Il apprécia les jambes de la jeune fille, avant de remonter le regard au niveau de ses yeux. Un léger sourire satisfait et malicieux naquit sur son visage.
« - Tu es délicieuse dans cette tenue, ma chère ! »
La jeune fille semblait de plus en plus perturbée par la situation, et Nigel se souvint que Lolita réagissait aux situations dans lesquelles elle avait l'impression de devoir prouver quelque chose. Autant l'aiguillonner discrètement …
« - Prouve-moi à présent que tu es une ménagère efficace, Lolita ! Tu trouveras tout ce dont tu as besoin pour nettoyer dans ce placard. Commence par où tu veux, mais j'ai besoin de cette pièce – c'est mon bureau, c'est là que je reçois mes patients, et la prochaine arrive dans … ( Nigel consulta sa montre ) cinq minutes. Tu la feras à la fin, ou entre deux clients, si ça ne te dérange pas. Si tu as terminé et que je suis encore en consultation, tu peux faire ce que tu veux en attendant, mais ne regarde pas ce qui est sur mon ordinateur portable, d'accord ? »
Nigel vit que son ton sérieux et le défi implicite dans ses paroles avaient permis à Lolita de retrouver une contenance. Parfait … Voir évoluer la jeune fille en soubrette dans son appartement s'annonçait particulièrement intéressant – en fait, soyons honnêtes, Lolita était en train de réaliser pour lui le fantasme d'un certain nombre d'hommes.
« -Bon courage, Lolita … Ah, oui, et n'écoute pas non plus à la porte, bien sur ! »
Nigel passa dans la pièce qu'il avait pompeusement qualifiée de bureau, riant sous cape et songeant déjà au piège qu'il préparait à l'intention de la jeune fille. Il lui avait laissé deux interdits à briser, et il était sur que sa curiosité habituelle la conduirait bien vite là où il le voulait.