Le combat contre les noyeurs fut loin d’être le plus difficile que Cahir eut à livrer. Les noyeurs, outre leur aspect dégoûtant, étaient de bien piètres adversaires. Leur peau était très fragile, et leurs griffes peu acérées. Ils étaient bons à effrayer de simples serfs, mais, contre un ancien guerrier d’élite ashnardien, ils étaient totalement inoffensifs. Ou presque. Les ouvriers étaient paniqués, désorganisés, et les noyeurs n’étaient pas mieux. Cahir fondit sur eux, frappant avec son épée, faisant mouche à chaque fois. Rapide et féroce, l’apatride plantait son épée sans rencontrer la moindre résistance, faisant voler des monceaux de chair, cherchant les noyadés. Les noyeurs étaient de simples créatures, et on trouvait, au-dessus d’eux, les noyadés. Il s’agissait de noyeurs un peu plus forts qui les commandaient et les dirigeaient. Il y avait forcément un noyadé dans le coin, mais il pouvait très bien être dans l’eau. Les noyeurs bondissaient de cette dernière, agrippant les jambes des femmes et des hommes pour les plonger dans l’eau. Cahir veillait au grain, et son gantelet en ébonite allait rencontrer la tête d’un noyeur qui avait cherché à le prendre par surprise, lui fracassant la mâchoire.
L’ébonite était une armure magique, et la magie de l’ébonite ne tarda pas à parler. De la fumée noire s’échappa de cette dernière, fondant sur les noyeurs qui plongeaient sur lui. Il n’y avait pas assez de fumée pour tous les noyeurs, mais ceux qui étaient touchés par cette dernière se mettaient à hurler et à piailler, déconcentrés. La fumée n’était pas mortelle, mais elle était agressive, piquait les yeux, s’insinuait dans la bouche. Et, imperturbable, la lame de l’apatride s’abattait. Elle était en acier valyrien, et très indiquée contre la chair fragile des noyeurs.
Il finit par repérer sa cible. Un
affreux noyadé, relativement laid, qui avait griffé le dos d’un ouvrier. Cahir courut vers le noyadé, le renversant d’un coup d’épaule, mais la bête évita son coup d’épée en bondissant en arrière. La bouche du noyadé s’ouvrit alors en grand, et une longue langue se mit à jaillir, visqueuse et dégueulasse. Elle bondit vers Cahir, qui pencha la tête de côté, évitant le claquement de cette longue langue, que le noyadé rétracta, avant de bondir vers son adversaire. N’ayant pas le temps de déployer son épée, Cahir utilisa sa main valide pour attraper le cou du noyadé, envoyant ce dernier s’écraser violemment sur le sol. Le noyadé réagit en cinglant Cahir à la joue gauche avec ses griffes, faisant gicler le sang. Surpris, Cahir se recula, et le noyadé en profita pour se redresser sur ses pieds, et courut vers Cahir en hurlant de rage.
«
Enfoiré ! » hurla Cahir.
Serrant son poing, il l’abattit sur le visage du noyadé. L’ébonite heurta la tête du noyadé, et il y eut un craquement spongieux. Le noyadé s’écrasa par terre, et Cahir tenta de planter son épée, mais un autre noyeur bondit sur lui, frappant l’armure d’un coup de griffes. Surpris, le guerrier en lâcha son épée, et le noyeur lui sauta dessus, cherchant à l’égorger. Cahir le frappa avec sa tête. Il en sentit des bourdonnements dans son crâne, mais choisit de ne pas en tenir compte. Dopé à l’adrénaline, il frappa le visage du noyeur à plusieurs reprises, malmenant sa peau, la craquelant. C’était une peau visqueuse, encore moins résistante que celle d’un humain, et il frappa à hauteur du cerveau, le perforant.
Entre-temps, le noyadé s’était toutefois relevé, et bondit à nouveau vers Cahir. Attrapant le corps moribond du noyeur à qui Cahir lui ouvrait le crâne, l’apatride le lança vers les pattes du noyadé. Comme une boule de bowling, le noyeur faucha les jambes du noyadé, qui s’écrasa sur le sol. N’écoutant que son inspiration, Cahir se releva, leva son pied, et l’abattit avec rage sur la tête du noyadé, la faisant exploser. Peau et tendons s’envolèrent sous son pied, tâchant sa botte, mais le noyadé cessa de bouger.
Immédiatement, les noyeurs se dispersèrent. Cahir récupéra son épée, la lame étant tachée du sang des monstres qu’il venait de massacrer. L’apatride retourna près des ouvriers. Il était blessé au visage, mais ce n’était qu’une égratignure. Autrement, il saignerait bien plus. Louane ne tarda pas à venir. Elle avait une vilaine blessure au poignet, s’étant fait mordre, mais elle semblait, dans l’ensemble, heureuse... Même si elle avait perdu la dague. Avec un léger sourire, Cahir tapota sa tête.
«
Voilà qui mériterait bien que je te fouette sur la place publique plaisanta-t-il.
De toute manière, reprit-il, plus sérieusement,
je comptais t’offrir un nouvel équipement. »
Il se dirigea ensuite vers les ouvriers. Ils avaient quelques blessés, et il y avait eu plusieurs cadavres, mais, sans leur intervention, le résultat aurait pu être bien plus grave.
«
Merci ! lâcha l’un des ouvriers.
-
Pourquoi vous ont-ils attaqué ? -
Parce que ce sont des noyeurs ? répondit, sur le coup, l’homme.
-
Les noyeurs sont stupides, mais aussi très lâches. Ils n’attaqueraient pas ainsi toute une installation. »
L’ouvrier haussa les épaules, comme s’il n’avait aucune idée de la réponse.
«
C’est la première fois que les noyeurs vous attaquent ainsi ? -
Ouais... De vraies saloperies, ces trucs ! -
Heureusement, ça aurait pu être pire... Sans votre intervention, Monsieur, précisa quelqu’un d’autre.
Et nos pots sont intacts ! -
Qu’est-ce que vous comptez faire avec tout ce brai ? -
Le revendre, fils ! Le baron de Flotsam recherche du brai. Beaucoup de brai. ‘Rapport à un monstre, j’crois... -
Flotsam ? C’est loin d’ici ? »
L’homme lui expliqua qu’ils étaient les villageois d’un petit bourg à proximité, un village de mineurs qui vivaient de l’exploitation de brai et de la coupe de bois. Un camp de bûcherons se trouvait ainsi à proximité, et Flotsam n’était pas très éloigné.
«
Écoutez, vous n’avez qu’à nous suivre, proposa l’un des hommes.
Nous étions en train de charger les pots dans un chariot, pour aller à Flotsam. La route n’est pas très sûre... On vous paiera, bien sûr ! -
Dans ce cas... »
Cahir s’éloigna de ces derniers, allant voir la kitsune, et inspecta sa blessure.
«
Hum... Tu fais ta courageuse, Louane, mais il va quand même falloir te désinfecter... »
Fort heureusement, les ouvriers avaient quelques baumes médicaux, et la blessure de Louane ne tarda pas à être désaffectée. Tandis que les ouvriers s’affairaient à charger les chariots, l’apatride les observait, perdu dans ses pensées. Ayant soudain une idée, il regarda Louane, afin de lui poser une question :
«
Dis-moi... Qu’est-ce qui pourrait forcer des animaux à attaquer des créatures qu’ils considèrent comme leurs prédateurs ? »