Alice ressentit cette envie désagréable que n’importe qui avait ressenti au moins une fois dans sa vie : celle de revenir en arrière, de ne pas être là, de se transformer en petite souris pour se cacher. Son père fut projeté contre le sol, au milieu de ses troupes. Surpris, les gardes regardèrent la scène, sortant leurs épées. On ne touchait normalement pas impunément au Roi de Sylvandell, mais l’altercation ne dura pas assez longtemps pour que les gardes se ruent au combat, évitant ainsi un massacre. Restée dans la tente, Alice regarda le marteau. Les runes s’étaient éteintes. Le marteau traînait là, et elle fut tentée d’aller le ramener à son père. Tandis qu’Enyo mettait les choses au point avec son père, elle posa la main sur le manche du marteau, et les runes se mirent soudain à luire d’une intense lueur. Le marteau lui sembla alors aussi léger qu’une plume, comme si une force ancestrale l’envahissait. Ce fut si inattendu qu’Alice sursauta. A peine relâcha-t-elle le marteau que l’aura dorée qui avait enveloppé l’arme disparut, le marteau redevenant alors une simple arme. Enyo le prit, et le balança sans plus d’intérêt pour cette arme, et la Princesse vit que l’arme, ou, plutôt, les runes la ornant, n’avaient pas lui.
En revanche, quand son père mit la main sur l’arme, il y eut une nouvelle lueur, mais qui semblait moins forte que quand elle l’avait touché.
*La légende affirme que le Marteau de Sylvandell ne révèle sa force qu’à ceux qui en sont dignes... Les dignes héritiers d’Erwan Korvander... Un Dieu n’y verrait qu’un vulgaire marteau, mais cette sensation que j’ai ressenti en le touchant...*
Tywill, de son côté, avait entrepris de se redresser. Plusieurs gardes l’entouraient, lui demandant ce qu’il fallait faire. Il cracha alors une giclée de sang, et eut un sourire amusé sur les lèvres.
« Vous pouvez aller essayer de la forcer à appliquer nos lois, mais, si vous avez envie de conserver vos têtes, je vous conseille de vous abstenir.
- Que voulez-vous dire, Sire ?
- Que cette salope est une putain de Déesse ! »
Rougissant, Alice regarda Enyo, parlant d’une toute petite voix :
« Par... Pardon... Pardonne l’attitude de mon père, il... Il n’a jamais été très po... »
Le Roi retourna à nouveau dans la tente, et regarda gravement sa fille. Rougissant jusqu’à la pointe des cheveux, cette dernière baissa la tête, s’attendant à se recevoir une gifle.
« L’Omniprêtre se chargera de te rappeler ce en quoi nous croyons, à Sylvandell. »
Cette simple phrase sonnait comme une sentence qui fit se serrer le cœur d’Alice. A Sylvandell, on n’avait pas besoin de l’assistance d’autres divinités ; le dragon d’Or suffisait. Du moins, selon les croyances. Alice savait qu’il était inutile de débattre, et se contenta d’acquiescer, par un simple :
« Oui, Père. »
Tywill regarda alors à nouveau Enyo, et lâcha rapidement :
« Bienvenue en enfer. »
Le Roi se retira alors. Ayant très chaud, Alice alla s’asseoir sur une chaise, triturant nerveusement entre ses doigts l’extrémité de son collier : une petite croix ayant la forme effilée d’un dragon. Prenant conscience que baisser les yeux pourrait agacer Enyo, Alice releva la tête. Elle avait déplu à Père, et ceci attristait la Princesse, qui avait l’impression d’être stupide, et se sermonnait dans sa tête d’avoir étendu ses prières. L’Omniprêtre n’affirmait-il pas qu’invoquer plusieurs Dieux, c’était croire qu’ils étaient interchangeables ? Sylvandell ne louait ses prières qu’à un seul Dieu, et, même si les Dieux olympiens ne devaient pas reconnaître le dragon d’Or comme une divinité, pour les Sylvandins, il n’était rien de plus et rien de moins qu’une divinité. Leur divinité. Celle dont le souffle de feu avait forgé les armes et les maisons de Sylvandell.
*Je n’aime pas me faire rappeler que je suis une mauvaise fille... Mais bon, Enyo est là, et je ne peux pas la congédier comme une simple domestique, alors, autant essayer de mettre sa présence à profit...*
Se reprenant, Alice plongea alors son regard dans celui d’Enyo, et consentit à parler :
« Nous... Nous sommes supposées rejoindre le campement principal de nos armées. Il est tenu par le Maréchal Coehoorn, mais, pour cela, il nous faut passer le château qui se trouve à proximité. Ce château se trouve dans le seul passage le long d’une chaîne de montagnes. Il y a bien d’autres gués, des petits sentiers, mais ils sont trop étroits pour permettre de faire passer toutes nos armées. »
Alice reprenait peu à peu le contrôle, et poursuivit :
« C’est un château solide, comme tu as peut-être du le remarquer. Le gros de nos armées s’efforce de détruire les successions de murs qui protègent l’accès au fort. »
Alice n’en dit pas plus, car elle ignorait la stratégie qui était actuellement employée pour prendre le fort. Elle avait juste entendu parler de « trébuchets », et avait vu des successions d’immenses tours de siège. Le camp avait été bâti près d’une forêt, afin de pouvoir couper du bois, et construire rapidement des armes de siège.
« Je... Ne soyez pas... Ne sois pas formalisée par le comportement de mon père, il est comme ça envers tout le monde, même avec l’Empereur... C’est un soldat, et il n’est guère diplomate... »
Elle se racla la gorge, avant de poursuivre, toujours un peu gênée :
« Nous espérons prendre ce fort en une semaine ou deux, en escomptant perdre le moins d’hommes possibles, mais ce sera difficile à réaliser. En réalité, nous avons d’autres armées en arrière, qui remplaceront les troupes que nous venons de perdre. L’armée que mon Père dirige comporte essentiellement des soldats humains. D’autres armées ashnardiennes ont des régiments de démons. Des rampants, des chauves-souris géantes, des diablotins... Mais nous ne pourrons pas compter sur eux. »
Alice avait plus ou moins terminé ce qu’elle avait à dire. Elle rajouta alors, en rougissant :
« P-P-Par contre... Vous... Tu... Enfin, j’ignore comment tu te comportes, mais je sais que bien des Dieux aiment avoir une tente à eux... Malheureusement, je ne crois pas que... Euh... »
Rouge, Alice n’arriva pas à achever ce qu’elle avait à dire. Elle se voyait mal dire à une Déesse qu’elle risquait de dormir dans les tentes communes, aussi se rattrapa-t-elle en se mordillant les lèvres :
« Il... Il se peut que tu... Que tu puisses dormir dans... Enfin, ici... »