Echappée belle ( Bayushi )

Une cigarette blanche au bout des doigts, Alys gambadait. Comme à son habitude, elle s'était tirée d'Olympe afin de squatter la Terre. C'était le cas de bien des gens, là-haut, d'ailleurs ... Olympe n'était qu'un squatt' de luxe sans wifi, après tout. La Terre, c'était l'endroit parfait pour faire une myriade de conneries, avant de retourner se cacher dans le royaume des dieux antiques. Et c'était donc ce qu'Alys faisait la plupart du temps. Soit elle dormait, soit elle foutait la pagaille partout autour d'elle, dans un éclat de rire ravageur.

Ce matin-là, l'idée lui vint de jouer à être une lycéenne. Les régles étaient simples : attraper une de ces gamines, l'endormir avec un peu de nectar piqué en douce à Héra, piquer son uniforme et ses affaires. Ce qu'elle fit, donc. La pauvre petite s'appelait Koharu Mitsi, et la jeune prêtresse inscrivit ce prénom sur son bras, histoire de ne pas l'oublier. Elle savait à quel point sa mémoire pouvait être défaillante ... Une fois l'uniforme enfilé et la petite endormie planquée dans un vestiaire, elle se mit en marche vers l'école. Alys se foutait pas mal, à vrai dire, qu'on découvre qui elle était. Etant résidente d'Olympe, la justice terrienne ne lui causait pas trop de torts. Elle planta une cigarette entre ses dents, noua son épaisse chevelure en une queue de cheval approximative, et entra dans le bâtiment.

Elle y resta une matinée.

A la fin de cette matinée, on déplora le fait qu'une personne ait repeint avec des arc-en-ciel six des tableaux, qu'elle ait ensuite trempé ses semelles dans cette même peinture afin de couvrir le sol de traces des pas rose flamboyant, vert piquant, bleu de prusse ou jaune poussin, et qu'elle se soit permise de fumer un peu partout, puis de s'être enfilée deux flasques de tequila, avant d'en distribuer une dizaine à d'autres éléves, avant de remplacer l'habituelle sonnerie par une toute autre musique. Dés midi, le chaos régnait dans le lycée, et elle ... On n'osait même pas la soupçonner. Entre temps, elle était passée aux douches, retirant de son corps toute trace de peinture rose. Sauf une, dans sa nuque, qu'elle ne vit même pas, mais que beaucoup pouvaient apercevoir, s'ils s'intéressaient à cette énerguméne que personne n'avait jamais vu ici. Elle retourna ensuite dans le bâtiment, souriante. C'est là que sa mémoire lui fit faux bond ... A l'heure actuelle, Alys ne se souvenait même plus de tout les ravages qu'elle venait de causer à ce lycée, au point de ne même pas se soucier du fait que des tubes de peintures et des flasques vides demeuraient dans le fond de son sac.

La petite s'installa, avec d'autres éléves, sur une table, décidée à jouer le rôle de l'éléve parfaite. Elle avait totalement oubliée ses frasques, au point de demeurer surprise face aux traces colorées qui jonchaient le sol et les murs, à cette odeur de tabac et de marijuana qui stagnait dans l'air, à ces bouteilles de tequila vides qui étaient brisées sur le sol, se demandant qui avait pu commettre une telle chose ... Puis elle entra dans "sa" classe et, un chewing-gum calé entre les dents, elle attendit patiemment qu'un quelconque professeur fasse son apparition, tout en entendant les remarques des autres éléves, horrifiés ou amusés par ce tapage haut en couleur.

Elle ne se permit que de pousser un long soupir.

     Takahashi, bien loin de certains de ses airs poupins, grommelait à n'en plus finir. Une journée où il fallait travailler était fondamentalement une mauvaise journée. 

     Tandis qu'il prenait son habituelle pause de trois heures d'avant midi, dans la salle du personnel, l'un des responsables de l'établissement - dont l'étudiant jobiste ignorait tant le visage que le nom - fit irruption dans la pièce de repos, tout fulminant. L'employé aigri dont le teint carmin était déjà ostensible, rougeoya de plus belle en voyant l'oisif Bayushi-san, les pieds sur une table, se balançant nonchalamment sur sa chaise. " - QUE FAITES-VOUS ENCORE LÀ, FOUTREBLEU?

     - Voyons, euh... Monsieur, surveillez votre langage, nous sommes dans une école, pas à une petite fête.

     - Comment... Je? Hé bien ! on dirait que cette école est devenue une petite fête, et tous les vulgaires pions partageant votre engeance sont introuvables. C'est le chaos. LE CHAOS ! Alors vous allez me faire le plaisir de bouger votre auguste postérieur et trouver qui sont les instigateurs de la pagaille ambiante ou je vous fais virer, moi. VI-RER ! "

     C'est donc sans trop comprendre, mais contraint et forcé, au moins pour garder son travail, que Bayushi-san se mit à arpenter les couloirs du lycée, découvrant ainsi l'origine de tant de colère chez son supérieur. Le bâtiment était sans dessus dessous ; saccage, vandalisme et débauche. Le jeune étudiant en droit se hâta donc de débusquer les coupables, non pas tant par souci du devoir que pour retrouver un emploi du temps plus habituel, entendez pour glander.

     Il passait donc sa tête dans toutes les classes, jetant un coup d'oeil rapide, afin de repérer un quelconque suspect, se formalisant peu des visages qui, dans chaque local de cours, se retournaient à l'unisson tandis qu'il y furetait.

     Au bout d'une dizaine de minutes, il se considéra déjà comme chanceux. Tandis qu'il entrait dans une nouvelle classe, il repéra sur la nuque d'une jeune élève à l'air las une trace de peinture rose. Ni une, ni deux, Takahashi la saisit par le bras avec entrain d'une main, ramassant son sac de l'autre. Les sourcils froncés mais la voix calme, il ordonna posément :

     "- On dirait que vous allez devoir me suivre, mademoiselle. "

     Sans autre forme de procès, il l’entraîna, de force si nécessaire, sans lâcher son bras, vers la salle du personnel, toujours vide quand l'étudiant n'y était pas, se moquant pas mal des regards surpris, voire accusateurs, qui se braquaient sur lui lors de son passage. Il força sans diligence la lycéenne à s'asseoir sur l'une des chaises de la pièce déserte, les sourcils toujours froncés pour se donner, qui sait, un semblant d'air d'autorité auquel il n'était guère habitué.

     " - Il va falloir me dire comment vous expliquez ça, dit il en pointant de l'index la tache de peinture voyante sur le cou de la belle. Et j'aimerais aussi que vous ouvriez votre sac..."

     Et Takahashi d'attendre une réponse prompte, l'air plutôt sévère.

Foudres de Zeus ! L'adolescente se laissa embarquer sans comprendre, ébahie et complétement perdue. Quoi, où, quand ? De quoi l'accusait-on encore ? Son bras lui faisait mal, tandis qu'il la trainait sans vraiment de délicatesse vers une salle déserte. Alys tomba sur la chaise, qui grinça sous son poids plume. Elle arborait l'air paumé qu'ont les chatons, aux yeux grands ouverts et à la bouche close. Nerveuse, elle ne pouvait s'empêcher de triturer ses doigts fins, où quelques éclats de peintures demeuraient, comme des paillettes chamarrées. Quand il lui demanda d'expliquer quelque chose qui semblait niché dans sa nuque, et d'ouvrir son sac, elle frissonna.

- Ce doit être une erreur ... lâcha t'elle d'un ton désolé.

Mais le regard de ce surveillant ne semblait pas enclin à la croire sur parole ... Pleine de bonne foi, elle ouvrit son sac, et ... Un tube rose, suivi d'un jaune, tomba sur le sol, en maquillant les dalles. Une bouteille vide les suivit, et une à moitiée pleine manqua de s'exploser par terre. Alys la rattrapa de justesse, bredouillant quelques paroles incompréhensibles.

- Je ... Je ne ...

Elle porta sa main à sa nuque, et son doigt se retrouva taché de rose. Ce même rose qui inondait les couloirs de ce lycée. Merde. La jeune fille toussa, regardant autour d'elle sans vraiment oser croiser le regard de ce surveillant.

- Je vous assure ... Que ce n'est pas moi.

Comme pour appuyer ses mots, un sachet de cannabis à demi-entamé tomba de son sac, rebondissant sur les bouteilles et les tubes pour venir se coucher aux pieds de l'adolescente. Qui n'y comprenait rien. Mais alors rien du tout. Elle se remit à se triturer les doigts, nerveuse comme jamais.

Sa mémoire, décidemment, ne lui offrait aucun répit.

     Décidément, Takahashi semblait avoir fait une bonne pioche et découvert l'une des instigatrices de ce carnage scolaire. Il ne savait pas si la lycéenne avait agi seule ou pas, et il faudrait peut-être légèrement travailler ce point, mais ce n'était sans doute plus du ressort du surveillant. Ce dernier se frotta d'ailleurs la tempe, hésitant sur la marche à suivre à présent.

     Si la demoiselle était bel et bien responsable du désordre, elle se ferait sans aucun doute renvoyer après tant d'extravagance. Et trop de preuves étaient là, rendant la culpabilité de la jeune femme accablante. Une certaine forme de pitié naquit chez l'étudiant. Tout était tellement flagrant qu'il s'était radouci. Il fléchit les genoux face à la chaise sur laquelle était assise l'accusée, pour qu'une fois accroupi il puisse la regarder dans les yeux.

     - C'était une farce qui a mal tourné, c'est ça? Un défi ridicule, peut-être? De toute façon, il va sans doute falloir trouver une meilleure défense que "ce n'est pas moi" pour s'en sortir face à mes supérieurs. J'aimerais te croire, en ce qui me concerne, et c'est vrai que cette école était un peu terne, mais là...

     Après un regard en coin sur le sac éventré non loin, Bayushi-san saisit le pax de beuh entre son pouce et son index et le porta à son nez. Après un haussement d'épaule il le glissa dans la poche arrière de son jeans, comme si c'était la chose la plus naturelle à faire. Si lui ne fumait pas, ce serait un beau cadeau pour certains amis et un chef d'accusation en moins pour la donzelle.

     Le surveillant attendait une réaction un peu plus consistante de son interlocutrice, avant de se décider sur la marche à suivre.

     - Je ne sais pas ce que je vais faire de toi... Quel est ton nom, au fait?

Quand il empocha son keps, elle failit le réclamer. Mais le soupçon de raison qui subsistait dans l'océan de sa folie lui ordonna de se tenir tranquille, aussi fit-elle le choix de se taire. Elle ne parvenait même plus à se souvenir les effets procurés par cette herbe verte et séche. Quant à son prénom ... Elle ne le connaissait plus. Plus du tout. Il était comme un vague souvenir, effacé, dont on devine la silhouette mais pas la figure. A cet instant, son regard tomba sur son bras, où elle lut une inscription. Koharu Mitsi. Le nom était écrit au bic, sur sa peau. Alors, dans un élan, oubliant qu'en disant cela elle sacrifierait la scolarité d'une pauvre éléve encore endormie et ligotée dans les vestiaires du gymnase, elle répondit :

- Koharu Mitsi. Je m'appelle ... ainsi. Koharu Mitsi.

On ne sentait pas dans son ton que cette déclaration relevait d'un parfait mensonge. L'adolescente remit une méche derrière son oreille, reprenant lentement sa respiration. Il lui semblait que son coeur allait s'extraire violemment de sa poitrine.

- Je ne me souviens pas avoir fait cela. Sans doute ai-je ramassé un sac qui n'est pas le mien ... Je n'en ai aucune idée.

C'était la stricte vérité : elle ne se souvenait plus de rien. Ni d'Olympe, ni de la véritable Koharu Mitsi, ni même de la ville où elle était, à l'instant même. Haaa, quelle galére. Elle tritura nerveusement un de ses bracelets, doré. Puis releva les yeux vers lui. Dans son esprit, tout semblait si vide ... Il n'y avait qu'une immense abîme, une crevasse, dont elle ne pouvait pas discerner le fond. La jeune prêtresse poussa, à nouveau, un lent soupir.

- Vous devez me prendre pour une folle ... admit-elle dans un sourire.

Takahashi réfléchissait rapidement. Allait-il vraiment jeter la mignonne dans la fosse aux lions de la direction et ses sbires zélés? Il était troublé par la sincérité de cette Koharu Mitsi, sincérité aussi évidente que ses mensonges. Il était dès lors perdu.

- Il n'est pas impossible que je vous prenne pour une folle ou que je devienne moi-même fou.

Continuant sa razzia tandis qu'il restait pensif, Bayushi-san s'empara de la bouteille de tequila et en but une longue rasade, pour se donner de l'entrain.

- Très bien, Koharu-san. Admettons que je te croies, et que tu es étrangère à ce capharnaüm, qui, dès lors, en est l'auteur? De cela au moins tu dois avoir une idée? Ou m'aider à découvrir le fauteur de trouble.

Quand il s'enfila une rasade de tequila, elle n'osa rien dire. Les surveillants, habituellement, rangeaient ce genre de choses dans un casier, comme une sorte de relique qu'il ne fallait pas approcher. Mais là ... Le fait qu'il empoche son keps de cannabis, puis qu'il boive une gorgée de tequila, la laissait interdite. Limite, elle se sentait prête à réclamer son dû, même en sachant obstinément qu'elle ne devait pas la ramener. Alys poussa un soupir, toussant doucement. Elle ne cessait de lorgner sur cette bouteille.

La tequila, elle en rêvait. C'était un alcool sucré, ensoleillé, qu'elle adorait boire en cachette. Et puis, ça lui montait vite à la tête, ça la rendait hilare, alors ... elle ne pouvait qu'aimer. Mais bref, elle devait répondre à cette question, là, qu'il lui posait. Elle se massa la nuque nerveusement.

- Mais ... Je n'en sais rien. Du tout.

L'adolescente tapa dans ses mains, comme pour appuyer ses propos.

- Je ne sais pas du tout ce qu'il se passe, dans ce lycée.

Elle haussa les épaules. En réalité, ce qu'il risquait de constater, c'est qu'elle n'était aucunement éléve de ce lycée, qu'elle avait pris l'identité d'une gamine pour foutre le bordel et tout mettre sur son dos, et que personne ne la connaissait ici. Ce qui était relativement amusant pour elle, mais grave selon les autres.

- Je viens tout juste d'arriver, mentit-elle. Je ne connais personne, et je n'aurais eu aucun intêrét à venir commettre ce genre de délits.