Dans les vapes, Rayne émergeait lentement du sommeil, de ce coma dans laquelle on l’avait plongé. Elle entendait au loin une espèce d’horrible bête rugir, et se mit à craindre qu’on l’ait jeté dans une espèce de fosse aux lions. C’est ce qui la força à ouvrir les yeux. Elle vit une énorme arène, un bûcher sur lequel elle se trouvait, attachée à une croix en bois, et, devant elle, sur le sable, le Dernier Inquisiteur, armé d’une lance, face à une bête colossale qui se ruait sur lui. La foule scandait, hurlait, et, en secouant la tête, Rayne vit le Cardinal, debout, le duc, mais pas sa femme. La mémoire lui revint alors, et Rayne essaya de se concentrer, observant Reikus. L’immense lion bondit sur lui, et la foule retint son souffle. Le sang gicla lorsque le lion avait bondi sur Reikus.
*
La bête est trop massive… songea Rayne.
La lance va se briser sous son poids, et ne l’effleurera qu’à peine…*
La Dhampir était alors convaincue que Reikus était mort, mais ce dernier parvint cependant à se relever, poussant la carcasse de la bête. Muette de stupeur, la foule se mit à l’applaudir. Il était partiellement recouvert du sang de l’immense lion, et Rayne, incrédule, fixait cette scène.
*
Soit la lance était plus solide que ce que je croyais, soit… Non… Non, c’est ridicule, ça ne pouvait être que ça. Les Dieux se moquent des humains ! Ça ne peut être que ça !*
Le Cardinal s’avoua vaincu, confirmant encore une fois la théorie de la duchesse. Rayne ignorait toujours si cette dernière disait la vérité, mais, plus elle y pensait, et plus elle ne savait quoi croire. Tout était possible… Mais les sorts magiques du Cardinal étaient indiscutablement
non-élémentaires. Ce n’était pas des éclairs normaux, et ce n’était pas non plus de la magie noire. Et il avait bel et bien soigné quelqu’un hier… Seul quelqu’un ayant une âme pure pouvait le faire. Mais alors…
Qui ? Qui pouvait être l’Antéchrist ?
Elle n’eut pas le temps de se poser la question, car le Cardinal ordonna immédiatement qu’on la brûle. A cette idée, Reikus s’y opposa, brandissant sa lance, et Rayne continua à reprendre ses esprits. Outre des fantassins, il y avait aussi des archers, des arbalétriers, sans parler des Commodores du Cardinal, et de son pouvoir magique. Rayne se racla la gorge, et parla d’une voix forte :
«
Il suffit, Reikus ! N’allez pas sacrifier votre vie pour moi ! Je n’en ai pas besoin ! -
Brûlez-là ! Que la justice divine s’accomplisse ! -
La justice divine s’accomplira, Cardinal, mais je ne suis pas celle que vous recherchez ! Des gens, j’en ai déjà tué, mais tous l’avaient mérité ! -
La langue du Serpent résonne sous de mélodieux accords dans les oreilles de l’Incroyant et du Maladroit, mais le Juste sait y discerner les accents de la peur et du mensonge. Tu ne duperas personne ! »
Les flammes s’allumèrent alors. Tout autour de la croix, il y avait d’énormes rondins de bois, des brindilles qui s’enflammèrent, et les flammes ne tardèrent pas à monter rapidement, piégeant Rayne dans un cercle de feu. Cette dernière sentit naturellement la panique monter, mais essaya de se contrôler, de se dire que tout avait été calculé.
«
J’en implore aux Dieux justes ! A Ius ! A Forseti ! Aux Dieux qui veillent tant bien que mal à l’administration de la justice ! Ils me protègeront des flammes, Cardinal ! -
Nous verrons bien, païenne ! »
Rayne eut un léger sourire, et vit les flammes se rapprocher. Elles se mirent bientôt à la lécher, et le «
miracle » se produisit alors. Au début, on croyait qu’elle allait brûler, et les commentaires allaient bon train, fusant dans tous les sens :
«
Sorcière ! Démone ! Brûle en Enfer ! -
Loué soit l’Ordre Immaculé ! »
Et puis, quand ils virent ce qui se passait, les cris et les indignations changèrent. Il y eut des soupirs, et Rayne eut alors une image qui, en d’autres circonstances, l’aurait probablement fait jouir, et qui, dans tous les cas, marquerait durablement son esprit. Elle vit un homme de foi se décomposer. Elle vit l’inébranlable, l’invincible foi du croyant, se fissurer. Elle vit la montagne chavirer, elle vit le ciel s’écrouler, elle vit, elle lut l’
incertitude. Elle lut le doute, la remise en cause, elle lut la chute du Titan. Le Cardinal vacilla, remua faiblement les lèvres, comme s’il essayait de parler, de dire quelque chose.
Les flammes léchaient Rayne, mais aucune ne l’attaquait, comme si une espèce de force invisible les repoussait.
«
Un… Un miracle, c’est un miracle ! Regardez, regardez ! Le feu ne la touche pas ! -
C’est une Sainte ! »
Rayne soupira intérieurement.
*
Pauvres cons de culs-terreux…*
La réponse était bien plus simple, pourtant.
*
* *
« Vous irez sur le bûcher, mais vous ne brûlerez pas.
- Ah oui ? La magie ne me protègera pas, pourtant… Je suis sûre que le Cardinal utilisera des sorts pour empêcher la magie blanche de remplir son office. »
Elle s’était contentée de sourire.
« Il existe des méthodes bien plus subtiles… Des méthodes que certaines sorcières ont développé quand elles étaient sur un bûcher… »
La duchesse s’empara d’une petite fiole orangée, et la montra devant Rayne.
« Connaissez-vous le brome ? C’est un halogène qui a la particularité d’être un produit ignifugeant. Il est notamment utilisé dans les usines tekhanes pour protéger certains matériaux du feu. Cela fait bien longtemps que certains alchimistes ont, à partir du brome, développé une solution protégeant pendant un court moment le corps humain contre la combustion. » *
* *
Rayne avait été enduite de ce produit, et les flammes la léchaient, s’éteignant instantanément au contact du produit ignifugeant. Mais le produit ne serait pas efficace très longtemps, et le bois, lui, brûlait, la faisant souffrir. Elle força donc un peu sur les cordes retenant ses mains. La duchesse avait veillé à ce qu’on l’attache avec de simples cordes, qui brûlèrent rapidement, plutôt qu’avec des chaînes. Rayne sortit ensuite du brasier, et toussa légèrement, le teint légèrement noirci, ses vêtements en loques. Déconfit, le Cardinal ne savait plus quoi dire, se raccrochant faiblement à son bâton. Rayne brandit un doigt vers lui.
«
Cardinal ! »
Ce dernier sursauta, et un silence de plomb s’abattit dans l’arène.
«
Je ne suis pas une vampire ! Je suis une Dhampir ! -
Ce… Cela ne se peut… bredouilla ce dernier.
-
Votre arrogance, vos préjugés, vous ont empêché d’écouter la voix d’Ius, la voix de vos Dieux ! Vous avez trahi tous vos préceptes, Cardinal ! »
Déconfit, le Cardinal essaya de retrouver sa prestance.
«
Tu mens ! Traîtresse ! C’est sûrement l’une de tes propriétés de vampire ! Vous êtes les créatures du Malin, les rejetons de l’Enfer ! Si le feu ne peut pas te tuer, alors, que les sorts sacrés le fassent ! »
Et, levant à nouveau son sceptre, le Cardinal abattit sur Rayne sa foudre sacrée. Rayne poussa un hurlement de douleur et s’é&croula sur le sol, traversée par des éclairs lumineux. C’était tout simplement horrible ! La douleur était inimaginable !
«
Voyez ! Voyez ! Elle aura utilisé un sort, rien de plus ! La magie sacrée pourfend le crime, et voit au-delà du mensonge ! Ius m’a mis à l’épreuve, mais je sais discerner le Vrai du Faux ! Meurs, traînée ! »
Le sort sembla redoubler d’intensité, et Rayne poussa un nouvel hurlement, se tortillant sur le sol. Tout son talent était impuissant. La magie sacrée était en place… Elle crut sa fin venir…
*
Pas… Pas maintenant, non… J’ai… J’ai encore tant à faire…*
La foule s’agitait, ne comprenant pas ce qui se passait, et on entendit soudain une voix rugir.
«
Assez ! Vous n’avez pas le droit ! »
Un simple paysan… Rayne ne pouvait pas le voir, mais il s’agissait du fermier qui l’avait conduit au Château-Lerouge. Le Cardinal le regarda. Ses yeux brûlaient d’une intense lueur immaculée.
«
C’est toi qui as amené cette femme ici ! Qui aide le Démon pactise avec le Démon ! »
Le Cardinal envoya alors sa magie sacrée sur le simple paysan. Dès que son éclair atteignit la poitrine du paysan, et que ce dernier sentit une terrifiante douleur s’emparer de lui, le cristal magique du Cardinal explosa. Une violente explosion. Les morceaux de cristaux s’envolèrent, et un éclair frappa les yeux du Cardinal, lui faisant pousser un hurlement de douleur.
«
Aaaaaaaaaaaaaaaah !!! » s’époumona ce dernier.
Sentant la douleur s’en alla, Rayne resta prostrée sur le sol, prenant difficilement pied avec la réalité. Le bâton du Cardinal tomba sur le sol, glissa, et atterrit dans le sable, tandis que le Cardinal, yeux clos, tomba à terre. Il se rattrapa maladroitement sur le sol avec une main tremblante. Le sang s’échappait de ses yeux, et les Commodores se penchèrent vers lui. Le Cardinal était devenu aveugle. Il y avait sans doute à tout cela une portée symbolique puissante. Le Cardinal perdant ses yeux, le cristal ne se brisant pas en frappant Rayne ou le Dernier Inquisiteur, mais explosant instantanément au contact du torse d’un simple quidam… Mais c’était peut-être aussi le hasard… Le Cardinal avait intensivement utilisé son cristal contre Rayne, et, de toute façon, la Dhampir n’était pas en état de réfléchir. Se relevant, elle soupira longuement, et adressa un délicat sourire vers Reikus.
«
Ça va, vous ? » lâcha-t-elle alors avec un léger sourire.