« Kof kof kof kof ! »
Les joues rouges, Alice reposa la grosse chope de l’homme qui l’accompagnait, qui se contenta de rire, avant de boire tranquillement une partie du contenu du liquide. Une liqueur de cerise, apparemment. Alice en avait les joues rouges, et éternua à plusieurs reprises, sautillant du coup sur le banc où elle se trouvait.
« Madame l’Altesse préférerait un verre d’eau ? » le nargua l’homme qui l’accompagnait.
Elle le regarda en fronçant les sourcils, mais ne répondit rien, saisie par une nouvelle quinte de toux, ce qui amena le Commandeur à rire de nouveau. Alice se trouvait bien loin de son royaume, Sylvandell, dans un endroit assez dangereux, Nexus. Aux dernières nouvelles, les relations entre Sylvandell et Nexus n’étaient guère amicales, mais cela n’avait pas empêché Alice de désirer accompagner l’un des membres de la Commanderie Noire de Sylvandell quand il avait décidé de rejoindre Nexus, afin d’y accomplir une prime nécessitant la rencontre avec l’un des hommes influents de Nexus, un marchand qui avait son manoir dans les profondeurs de cette ville immense.
Habituellement, Alice se promenait avec son demi-géant, Hodor, mais, en l’occurrence, le Commandeur avait refusé d’emmener autre chose avec lui qu’Alice, affirmant que le demi-géant les ralentirait, et attirerait l’attention. Une autre raison venait tout simplement du fait qu’il aimait sentir Alice avec lui, et lui faisait généralement l’amour à chaque halte dans l’auberge. Ce n’était pas pour déplaire à la Princesse, et elle avait comme ça l’occasion de pouvoir voir les autres grandes villes de Terra. Après Tekhos, il s‘agissait maintenant de Nexus.
« Ce n’est pas drôle, répondit-il. Je n’ai jamais bu une goutte d’alcool avant ce soir ! Tu ne devrais pas essayer de me rendre ivre, Oberyn !
- Et pourquoi pas ? répliqua Oberyn en haussant nonchalamment les épaules. Tu veux t’initier aux plaisirs de la vie, non ? Quoi de mieux que la gnôle pour ça ? »
Elle soupira, et contempla ses doigts. Alice portait une petite cape, des bottes noires en cuir, et même une dague en verredragon. C’était un métal conçu à partir de la roche d’obsidienne des grottes des montagnes de Sylvandell, un métal très efficace, et elle avait une dague de princesse, avec des rubis incrustés dans la lame. Elle regarda Oberyn, qui ne portait pas son armure, mais avait le long de son corps le long fourreau comprenant son épée. Il avait été déposer les bagages dans leur chambre, et, quand il avait vu qu’Alice comptait lire ce soir, il lui avait retiré le livre des doigts, malgré ses protestations, et l’avait, selon ses propres termes, ‘‘confisqué pour la soirée’’.
L’auberge était en tout cas très animée. Ils se tenaient sur une espèce de terrasse à l’étage, avec plusieurs tables, et on pouvait voir, en bas, bien des gens occupés à manger, ou à boire. Dans un coin de l’auberge, des pugilistes s’affrontaient entre eux, des gardes massifs au regard mauvais erraient dans les coins, et l’étage où se trouvait Oberyn et Alice était essentiellement celui des joueurs. On jouait au poker, à celui qui pourrait boire le plus longtemps possible, et l’ambiance était très festive. Des serveurs et des serveuses offraient des poulets grillés, et tous les autres plats dont Nexus disposait, tandis que l’aubergiste discutait avec plaisir avec bien des individus.
« On voit pas une si belle activité à Sylvandell, hein, petite chatte ? »
Alice rougit sous ce surnom, et le regarda.
« Oberyn ! » s’offusqua-t-elle.
Elle avait remarqué qu’Oberyn aimait bien se disputer avec elle, et elle le faisait souvent rire. Il était rare d’avoir un Commandeur aussi enclin à être avec la Princesse. Généralement, on ne voyait en elle qu’un boulet inutile, mais Oberyn était différent… Certes, il faisait surtout ça pour pouvoir coucher avec elle, mais ça ne lui déplaisait pas. Malheureusement, le regard d’Oberyn se porta sur trois hommes qui vinrent vers lui, et elle comprit, à la manière dont la lueur d’amusement disparut de son regard, que ces types-là n’étaient pas les bienvenues.
Sans attendre qu’on les y invite, les trois s’assirent en face d’eux, et elle les regarda. Ils étaient tous moches, et elle sentit un frisson les traverser.
« Ta fille, Ob’ ? demanda l’un d’eux en la désignant.
- On dit que les marmots, y sont jamais chiés très loin du cul, avança l’autre. Elle, à mon avis, vu ta gueule, et vu la sienne, la pute qui l’ amis au monde a du la chier très loin. »
Alice s’empourpra furieusement, et fut tentée de répondre, mais elle sentit l’une des mains d’Oberyn se poser sur elle, l’incitant à se taire. Oberyn les regarda pensivement.
« Jaqen, Morlwill, et… ‘‘Schlingueur’’, ouais, j’crois que c’est comme ça qu’on t’appelait… J’aurais jamais cru r’voir un jour vos sales gueules ailleurs que dans une porcherie. »
Les trois hommes se mirent à rire, révélant des dents pourries et sinistres, et Alice se demanda qui ils étaient. Elle en eut cependant rapidement la confirmation, quand Oberyn reprit.
« Je vous connais trop, vous et votre manque de couilles, pour savoir que vous avez pas quitté la Troupe de la Montagne. Qu’est-ce que vous venez foutre à Nexus ?
- Je te retourne la politesse, répliqua Jaqen. Mais, tu sais, on parle pas très bien quand on a la gorge sèche… »
Esquissant un léger sourire, Oberyn héla un serveur pour apporter de l’hydromel, tandis qu’Alice retenait son souffle. La Troupe de la Montagne… Un regroupement de mercenaires, de violeurs, d’assassins, de criminels sanguinaires, qui étaient sous les ordres d’un ancien Commandeur, Gregor Clegane, un humain massif, un mastodonte de 240 centimètres qu’on surnommait fort à propos la ‘‘Montagne’’. Si trois des hommes de Gregor étaient là, c’était probablement pour une bonne raison. Elle observa le faciès des hommes, et réalisa que Schlingueur avait, et de loin, la tête la moins réussie, ce qui, compte tenu de ces trois faces de rats, n’était pas une mince affaire. Il avait des dents jaunâtres pourries, des cheveux sales, des yeux de fouine, et la première pensée qui lui vint en voyant cette face était de l’écraser. On leur servit la bière, et la conversation se poursuivit.
« Quoi de neuf, à Sylvandell ?
- Pas plus qu’hier, pas moins que demain.
- J’parie que t’es là pour le marchand…
- Ça s’pourrait, ouais… Toutes vos têtes sont mises à prix à Sylvandell, et j’pense que ça doit pas forcément être mieux ici.
- Ça se pourrait, ouais…
- C’est la rançon du succès, ça ! sourit Schlingueur de toutes ses dents défoncées.
- J’vois pas en quoi un simple marchand pourrait intéresser la ‘‘Montagne’’.
- Peut-être qu’on pourrait te conduire là où y se planque, si t’es si curieux que ça, Obé’. Hein, qu’est-ce t’en dis ? P’t’ête même qu’y pourrait te satisfaire à ta requête, avant de t’enfoncer ta tête dans le cul, qu’est-ce t’en dis, hein ? »
Les trois hommes s’esclaffèrent à nouveau, et commencèrent à boire. Oberyn ne dit rien. La Montagne était réputée pour être un guerrier invincible, aussi violent que dangereux, et sa Troupe était pourchassée par Sylvandell, ainsi que par bien d‘autres royaumes pour les razzias et autres actes de cruauté dont ils faisaient généralement preuve.
« Z’allez vous plaire, à Nexus.
- Ouaip ; c’est un genre de chouette bourgade, où on trouve tout ce dont on a besoin… Mais j’sais pas trop si j’aurais encore le goût de toucher aux putes locales, après avoir vu ta gonzesse, là…
- Je ne suis pas…, commença Alice, mais Oberyn l’interrompit.
- On compte pas spécialement s’attarder…
- ’Me semble qu’on a des intérêts communs, dans cet’histoire, nan ? ‘Me semblerait même que ç’serait pas trop con de faire cause commune, non ?
- Sans façon ; voir vos sales gueules m’a coupé l’appétit. Viens, Alice, on remonte. »
Oberyn se retira, et Alice comprit qu’il venait de révéler son identité. Le regard des trois hommes se fixa instantanément sur Alice, et une main grasse se posa sur son poignet. Réagissant au quart de tour, Oberyn fit sortir la lame de son fourreau.
« Putain, j’espérais bien que t’allais faire une connerie », conclut Oberyn.
La lame fila vers l’homme, Jaqen, mais elle fut contrée par la dague de Morlwill. Schlingueur se redressa, visa une chaise à proximité, la récupéra, balançant l’homme se tenant dessus par terre, l’interrompant dans sa partie de cartes, et abattit la chaise sur Oberyn, qui leva son autre bras pour se protéger. La chaise explosa, et Oberyn bondit sur Morlwill. Les deux hommes défoncèrent le parapet protégeant la terrasse, et s’écrasèrent sur la table en contrebas. Oberyn repoussa l’homme du pied, l’envoyant s’écraser sur un énorme plat avec un gros poulet, mais Morlwill se releva, et utilisa ses pouvoirs magiques, envoyant une onde de choc qui souffla Oberyn. Le Commandeur traversa l’auberge, et s’écrasa sur une autre table, glissant tout le long en renversant et en fracassant tous les plats, terminant sa chute sur le sol. Il entreprit, un peu secoué, de se relever, quand un homme, visiblement mécontent d’avoir vu son rôti s’envoler, envoya son poing vers lui. Oberyn évita le coup, attrapa le cou de l’homme, et l’envoya s’écraser tête la première sur la table.
Alice, de son côté, s’était extirpée du banc, tombant par terre, et vit Schlingueur s’approcher d’elle, un sourire aux lèvres. L’un des joueurs de la table d’à côté alla néanmoins le frapper en plein visage, envoyant le malotru s’écraser sur la table. La scène se mit ensuite à dégénérer.