Faim, faim, si faim... ! Je sentais dans mon sang la répulsion que m'infligeait la présence extérieure du soleil. Enfermée six pieds sous terre, terrée comme un animal, j'arpentais mon espace de vie, tendue par la faim, rendue presque folle par cette attente.
Un coup de pied rageur heurta le mur, faisant choir le miroir. Il manqua se briser au sol, mais je le rattrapais à temps.
_J'ai faim ! Hurlais-je avec force.
Trois jours enfermée dans ma cache, trois jours à ne rien manger. Je savais que j'étais loin de mourir de faim, mais cela m'était tout de même fortement insupportable. Elle me causait des maux de têtes quasi insoutenables, me rendait parfois nauséeuse, j'étais agressive, redoutable, rendue folle par la faim.
Alors qu'en mon esprit l'alarme naturelle associée au soleil se calmait, j'enfilais ma robe la plus affolante et courrais presque dehors. Le soleil n'était pas totalement couché, mais les UV étaient largement soutenables, bien qu'ils me brûlent très légèrement. Comme un petit coup de soleil humain, peut-être.
Je ne cherchais pas à cacher ma nature, tout crocs sortis, je fondis sur la première victime esseulée passant à ma portée. Je la vidais comme je l'avais rarement fait : elle tombait presque en cendre quand je relâchais le corps qui autrefois était animé de vie. J'essuyais de ma manche ma bouche ensanglantée et, un brin calmée, je rétractais mes crocs afin de n’alarmer personne.
Je pris la direction de la rue marchande, étant sûre de passer par la même inaperçue au milieu des voleurs et autres truands, je me faufilais, discrète malgré ma robe rouge pétard, j'évitais les regards et nonobstant ma grande beauté nul ne me remarquait. Des siècles d'entraînement. J'entrais dans quelques maisons et me nourrissais de ses habitants, ou d'un seul, selon mes envies. Sortant d'une ultime cahute, je remarquais alors la plus somptueuse des habitations, outrageusement haute et ouvragée, le fronton était orné de quelques dorures, savamment travaillé et malgré la nuit sombre et basse, on devinait les couleurs chatoyantes qui l'agrémentait. Mes yeux glissèrent sur l'imposante porte de bois à double battants. Son épaisseur n'était sans doute pas à négliger, en effet, en son sein même étaient gravées d'imposantes statues qui semblaient se détacher de la porte et avancer vers les visiteurs. Je grimaçais. La démonstration éhontée de richesses si malhonnêtement gagnées... Quelle faute de goût. Oui, malhonnêtement : mon regard était tombé sur de petits soupiraux d'où s'échappaient des plaintes, des gémissements. Inaudibles pour une oreille humaine, c'était certain, mais pas pour moi. Je grimaçais de nouveau. Un marchand d'esclaves...
Sans bruit, je pénétrais dans la bâtisse et me glissais dans les pièces. J'arrivai enfin face au marchand. Je souriais : il était aussi imposant que sa baraque, gros, gras, ignoble. Un mac do pour vampire. Je laissai filtrer un rire doucereux et me penchais sur lui. La place qu'aurait dû occuper sa femme était vide (j'avais vu ses enfants dans les autres chambres), un tableau reposait contre le mur les représentant. Leur bonheur était factice, elle devait coucher dans une autre chambre, ne pouvant plus supporter l'effroyable emploi de son époux.
Je soufflais avec douceur dans son cou, il ne s'éveillait pas. Avec grande prudence, je sortis mes vampiresques canines et le mordit. La chair couina sous elle, le sang afflua à ma bouche. Il ne remua même pas. Je souriais, aspirant son sang. Il était lourd, gras, pâteux presque. Je fus vite écoeurée. Trottinant jusque dans la cuisine, j'attrapais un gros couteau de boucher, remontais prestement. Lui saisissant la tête, je l’égorgeais comme un porc, effaçant les marques de morsure. Cette fois il s'était éveillé et produisait des gargouillements ignobles. Je le tint jusqu'à ce qu'il s'éteigne, son regard terrorisé braqué sur moi, souriante. J'essuyais le manche du couteau avec un mouchoir richement brodé posé sur la table de nuit afin d'effacer mes empreintes, bien que personne ne pourrait jamais me retrouver.
Un miaulement attira mon attention. Un adorable chat noir. Non.. Pas un chat. Son aura n'était pas celle d'un chat. Il sauta dans mes bras, attendrissant au possible. Je souris. Il était plus qu'un chat. Il était quelque chose d'autre. Jetant un ultime regard à mon œuvre d'art, le lit couvert de sang, le porc ignoble crevé... superbe, je quittais la maison.
Le chat sauta à terre, se transformant en un humanoïde.
_C'était impressionnant, demoiselle. Une discrétion digne d'un roublard félin. Vous pouvez m'appeler Kuroda pour le moment, je fournirai plus d'explications lorsque nous serons dans un lieu plus privé.
Je le regardai, intriguée. Ne disant rien, je me faufilais parmi les ruelles, assommant au passage quelques individus voulant me faire les poches. Nous arrivâmes bientôt sur une petite place que je savais toujours déserte, entourée de belles maisons de marchands de type hongroises, autrefois habitées par des marchands de textile... Quelques siècles auparavant, j'avais massacré tout ce beau monde ici... Je revenais régulièrement afin de maintenir la légende selon laquelle cette place était hantée, elle m'assurait ainsi un point de rendez-vous sûr et isolé.
Je plantais mon regard vers les cieux : aucune étoile ce soir, et point de lune... Quel dommage, j'aimais tant son éclat...
Mais, je me tournai vers ma nouvelle rencontre, que je sentais tout autant intriguée par moi que moi par lui.
_Enchantée Kuroda, et merci pour ce que je pense devoir considérer comme un compliment... je m'appelle Euldexa... Que puis-je faire pour vous ?