" Ouais. Il a ce talent là. Quand il chante, ça fait remonter les émotions qu'on croyait enfouies à jamais. "
Des larmes coulaient des yeux d'Atheo, qu'il tentait tant bien que mal de cacher avec un sourire. Même lui était sensible aux émotions qui s'échappent des chants de son frère. Et lui aussi, il avait repensé à un évènement triste. Les mains dans les poches, il laissa les larmes perler de son visage, prétextant que " c'est la pluie ".
Quand, enfin, son jumeau avec laissé les dernières paroles s'échapper de ses lèvres, celui-ci resta à se balancer quelques secondes du mur. Lui même se rendait nostalgique quand il chantait. Et lui aussi dissimulait les larmes et les émotions qui s'en émanaient.
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" Dites moi, je vous en prie, qu'avons nous fait pour mériter des enfants tels que vous? "
Les paroles résonnaient encore dans l'esprit des deux jumeaux. Depuis la naissance, ils ne pouvaient compter que sur eux même. A leur naissance, les nurses de l'hôpital étaient trop occupées avec les autres bébés pour prendre soin d'eux. A la maison, ils jouaient tous les deux pendant que leur père se noyait dans des litres de bière et que leur mère se pliait à ses quatres volonté. A l'école, les autres enfants ne jouaient jamais avec eux, parce qu'Ade avait des cheveux bizarres, et que son frère refusait de l'abandonner tout seul.
Rien d'étonnant alors qu'un lien plus fort que tout se lie entre les deux frères. Ils étaient presque devenus télépathes, et pouvaient dire à n'importe quel moment ce que l'autre pensait. Quand l'un souffrait, l'autre aussi. Quand l'un était heureux, l'autre également. Jamais ils n'étaient l'un sans l'autre. Jamais ils ne se quittaient. Ils mangeaient ensemble, dormaient ensemble, se lavait ensemble, et se battait contre les grosses brutes ensemble.
L'unique signe d'attention à leur égard de leurs parents fu de leur faire consulter un psychiatre, car ils les trouvaient anormaux. Ils avaient peur qu'ils n'aient des relations incestueuses entre eux. Mais ils se fichaient des sentiments de leurs enfants. Tout ce qu'ils voulaient, la seule chose pour laquelle ils priaient...
" Pourvu qu'ils ne nous fassent pas honte. Pourvu que nous ne soyons pas " les parents des deux anormaux ". "
Alors ils subirent. Et quand leurs parents divorcèrent, chacun emportant l'un des enfants, de peur d'être séparés pour toujours, les jumeaux fuguèrent ensemble. Ils passèrent plusieurs nuits à la rue, mendiant pour un maigre repas qu'ils partageaient entre eux. Ils étaient pauvres, mais ils étaient ensemble. Et c'est tout ce qui leur importait.
Et un jour, ils moururent. C'était une froide journée d'hiver. Un clochard qui avait trop bu s'était approché d'eux pour les dépouiller, et voyant qu'ils n'avaient rien sur eux, décida de prendre la seule chose qui leur restait: leur dignité. Ils se réchauffa en les violant, son rire gras et son haleine pestilentielle hantant encore aujourd'hui les sombres recoins de la ruelle où, le lendemain, on trouva les corps de deux enfants égorgés.
Et ainsi prit fin leur histoire... Ou plutôt, le premier chapitre de leur histoire. Car, au nez et à la barbe de tout le monde, quelqu'un décida de mettre son grain de sel, de tenir à ces deux enfants dont personne ne se préoccupait. Alors que les spectres des jumeaux se tenaient par la main, attendant la faucheuse, c'est un être tout autre qui s'approcha d'eux. Et il leur demanda...
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" Alors. Qu'est-ce que vous attendez, tous les deux? "
Alors que d'un même geste, les jumeaux se tournèrent vers la source de la voix, les larmes qui tombaient sur leurs visages s'envolèrent et formèrent de magnifiques lumières éphémères, reflétant la lumière du manoir qui rebondissait à l'intérieur des larmes sur toute la ruelle. Les deux fripouilles bondirent, l'un de son mur, l'autre de la rue, pour aller enlacer leur maître, la journée ayant été trop chargée en émotion à leur goût.
Mais, arrêtons nous une seconde. Même si pour les deux gamins, cette situation était tout à fait normal, et ne nécessitait donc pas de plus ample information, que s'est-il passé?
Et bien, alors que les dernières notes cristallines terminaient de mourir dans la rue sombre et froide, une porte s'ouvrit, au milieu du mur sur lequel se tenait Adeus, c'est à dire au milieu de nul part. La porte était apparue, comme ça, et s'était ouverte dans une gerbe de lumière qui éblouit toute personne présente dans la ruelle, révélant un paysage pour le moins insolite. Un jardin vert, ensoleillé, vision impossible dans un tel endroit, où gambadaient de petits mammifères et quelques insectes comme des abeilles ou des papillons.
Pour en rajouter une couche, un individu étrange, aux oreilles longues comme un avant bras et aux yeux pétillants de flammèches bleutées, avait maintenant traversé le seuil de la porte, et serrait dans ses bras les deux jumeaux qui l'avaient attendu pendant si longtemps. Alors qu'il prenait des nouvelles et commençait à ramasser les sacs de provision, ils remarqua soudain les deux jeunes filles, à qui il sourit après un petit moment à les regarder.
Il allait leur adresser la parole, quand il fut dépassé par Ate et Ade, qui bondirent tous les deux pour délivrer un baiser sur les lèvres des jumelles, Ate sur Malin, Ade sur Kalin, avant de s'engouffrer en quatrième vitesse à l'intérieur de la porte, leur laissant une impression pour le moins étrange, enfoncée par un rire franc et enjoué de la part de Daclusia.
Celui-ci, les bras toujours pleins, se reprit avant de dire aux jumelles, une petite larme de rire au coin de l’œil:
" Et bien et bien... Je vois que mes petits protégés se sont fait de nouvelles amies... Hehehe. Merci d'avoir joué avec eux le temps que je vienne les chercher. Ils ont tendance à être tristounets quand ils s'ennuient. "
Il marqua une pause, sachant très bien qu'il fallait laisser du temps aux humains lorsque quelque chose d'aussi inattendu leur arrivait, avant de poursuivre:
" Permettez moi de vous inviter à diner au manoir. C'est la moindre des choses pour vous remercier d'avoir supporté ces deux petits diables; surtout Ate. Alors? "