3, 2, 1... FIGHT ! [Kamishini]

Passer les grillages du lycée a 23h passées un samedi soir n'avait pas été une difficulté en soi. Personne ne traînait par là habituellement et l'administration ne faisait pas surveiller outre mesure la clôture qui longeait le gymnase de plein air, aussi même une masse aussi peu discrète que Kiichi lorsqu'il se déplacait avait elle pû se faufiler à l'endroit prévu pour son rendez-nocturne, soit sur la partie la plus à l'écart du gymnase, le terrain de base-ball.
Le lieu était parfait, en vérité : les gêneurs n'y seraient pas présents et seraient facilement repérables si ils venaient à se pointer à l'improviste, les proportions metriques étaient larges et permettaient de se déplacer dans un grand périmètre et enfin un éclairage tombait sur la pelouse jusqu'au lever du jour, assurant une visibilité tout à fait correcte.

Se plantant au beau milieu du terrain, droit comme un "i" et les bras croisés, Kiichi attendait, son air sévère gravé sur le visage, ses imposants muscles semblant prêts à déchirer le tissu de son indécrottable uniforme bleuâtre. Il avait rendez-vous, oui... Et avec une fille ! Mais la rencontre n'avait rien de romantique, en vérité.
Celle qu'il attendait se nommait Kamishini et il était là non pas pour la peloter en lui roulant quelques patins baveux, mais pour lui briser quelques os.
Purement et simplement.

Tout avait commencé au début de la semaine, quand un élève d'origine américaine avait reconnu en Kii' le "Mohammed Ali Jaune" des combats underground sans règles en Amérique. L'élève était un fan de ces affrontements et l'avait fait savoir à grands renforts d'exclamations sonores, d'email et autres coups de téléphone. La nouvelle avait fait rapidement le tour et une sorte de fièvre avait embrasé tout Seikusu High School.
Oh, Kiichi n'y était pas si populaire, non. En vérité, la majeure partie des élèves n'avait même jamais entendu un mot sur lui, mais un élément capital avait déclenché ce mouvement remuant qui occupait toutes les conversations : une autre élève du lycée, une certaine Kamishini Kurayari, autrement connue comme "Flying Blow", dernière championne mondiale en titre du monde du street fight. Encore invaincue, celle qui signait ses victoires de sa Sinistra Bomber devait forcément percevoir l'arrivée de Kiichi comme une menace directe, un affront même !

Kiichi n'avait jamais eu l'intention de venir titiller Kami sur son terrain, pour tout dire. Il ignorait même sa présence dans ce lycée et ne comptait pas faire de vagues. Mais l'affaire avait été envenimée par l'imagination des autres élèves et vite, bien trop vite, Kiichi comprit qu'il ne pouvait pas se soustraire à une rencontre avec celle qui était la star du lycée. Après tout, lui aussi avait une réputation à défendre et il avait entendu parler de Flying Blow. Et son sang de combattant avait immanquablement fini par bouillir, rendant à ses yeux la situation excitante. Par un effort immense de volonté, notre homme n'avait pourtant pas donné corps aux rumeurs jusqu'a ce que par le plus grand des hasards il ne croise Kurayari à l'intercours au détour d'un couloir, devant une masse importante d'autres élèves. Les deux street-fighters avaient été observés dans un silence presque religieux et Kiichi avait dû réagir pour ne pas perdre publiquement la face.
Alors, devant tout ce monde, il la pointa du doigt avant de lever son poing fermé en sa direction. Un défi simple et efficace qui avait été suivi d'exclamations diverses.

La journée avait suivi son cours, temps profitable à Kiichi pour laisser un mot dans le casier de son adversaire, mot qui portait ce message :

Toi é moi, mais pas en publique je ve pas d'ennui je vien d'arriver et je veu pas faire de vaggues.
Samedi soir, terrain 2 baisebase-balle, 23h15 ?

Le reste de la semaine avait filé à une vitesse folle et avait amener Kiichi à se planter sur ce foutu terrain comme si il avait été le dernier homme sur Terre.
Viendrait, viendrait pas ?

Elle en avait entendu parler dans la matinée. En fait c'est Jody qui l'a mise au courant, en cours de sport. Jody, une camarade de classe, un peu salope sur les bords, mais elle était gentille. Elle était toujours au courant de tout cette fille, même de ce qui ne la regardait pas.
C'était en cours d'athlétisme, au moment de l'échauffement. Kamishini mettait déjà trois tours de piste dans la vue du reste de la classe, parce qu'elle peinait déjà moins que ceux qui n'en foutent pas une et qui faisaient mine d'être essoufflés en se massant leurs côtes. Ridicule, pour Kamishini, le sport était la matière la plus importante. Jody l'interpellait, et elle ralentit pour que sa camarade se mette à sa hauteur:

- T'es au courant? Il parait que le champion d'Amérique vient de débarquer au lycée!

Kamishini ricana: On lui avait déjà dit que le champion du monde de Kenjutsu était en ville, et résultat il avait été désarmé et battu avant même qu'elle ne commence à forcer. Elle ne se fiait plus aux "il parait". Jody continua en s'exprimant directement et brièvement, pour réguler son souffle.

- C'est Maxou qui me l'a dit, il l'avait déjà vu quand il habitait en Amérique. Kiichi Yamachin, je sais plus...

La jeune fille fut surprise. Quand on appartient au haut rang du Street Fight, on se tient au courant sur ceux qui pourraient prendre notre place.

- Yamato? Kiichi Yamato?
- Voilà, c'est ça!

Le cours continua et Kamishini se creusait la tête. Kiichi était ici? Alors il avait décidé de laisser son territoire pour affronter la championne du monde? Ou c'était le hasard? A peine revenait-elle dans les couloirs à la pause de 10h que des élèves accouraient vers elle. La même question revenait, sous diverses formes: "Tu vas faire quoi?".
A vrai dire, rien, laisser faire. Tout le monde attendait cette confrontation, mais c'était au challenger de la provoquer, pas à la championne. Donc, attendre. Pas longtemps. Le voilà arrivé au détour d'un couloir, et le silence s'abat soudain. Kamishini avait compris à voir son air résolu, Kiichi n'était pas venu lui demander un autographe. Il la pointa du doigt, brandit son poing, puis se détourna. Un sourire étira les lèvres de Flying Blow, à ce moment précis. Il disparut d'où il était venu, et la championne murmura à l'intention du nouveau, comme s'il pouvait l'entendre:

- Alors tu veux qu'on le fasse, hein?

La journée passa, et Kamishini trouva un message dans son casier. Le lieu et l'heure, avec la demande de n'amener personne. Elle grimaça, parce que c'était mal orthographié, puis jeta le petit mot à la poubelle. Elle passa un coup de fil, mais tomba sur le répondeur.

- Papa, c'est moi. J'te laisse un message, juste pour te prévenir que je passe la soirée chez Jody. Bisous!

Les cours terminèrent, et elle alla en effet chez Jody, lui expliquant qu'elle allait devoir affronter Kiichi sur le terrain de base-ball, seul à seul. Il lui fallut un quart d'heure pour lui faire entrer dans la tête que non, elle ne pourrait pas venir.
Elle arriva en avance, pour ne pas faire tache, et attendit, assise dans les petits gradins qui bordaient le terrain. Il se planta en plein milieu, là, et commença à attendre. Elle resta à l'observer un petit moment.
Nul doute que Kiichi n'était pas un amateur, il avait choisi un terrain dégagé car la plupart des combattants, dont Flying Blow, utilisent plus ou moins leur environnement lors d'un combat. Il devait donc beaucoup compter sur sa technique, et ne pas "bourriner" comme le dernier des amateurs. S'il en était devenu champion national, il devait allier, tout comme elle, les quatre qualités du combattant, à savoir technique, vitesse, force et endurance. Bien que pour le dernier, il s’agissait plus de sa volonté hors du commun qui lui permettait de puiser dans ses dernières réserves pour tenir debout. Au sujet de la force, sa réputation en disait déjà long.
Elle descendit les marches des gradins, attirant ainsi l'attention vers elle. Elle s'approcha avec un air enjoué de son adversaire, et lui lança:

- Salut! Fait frais hein?

Pour elle, combat n'avait jamais été synonyme de haine, à vrai dire elle dépréciait rarement ses adversaires, en particulier s'ils étaient champions. Dash, le vice-champion du monde, était d'ailleurs son meilleur ami et son plus grand rival.

Le bruit grinçant des gradins avait fait tourner la tête du champion américain. Enfin, de l'ex-champion... Son inactivité lui avait valu d'être évincé du dernier tournoi mais Kiichi ne s'en était pas soucié. Son voyage au Japon était bien plus important à ses yeux, car il saisissait bien qu'il s'agissait là d'une chance incroyable qu'il se devait d'attraper au vol.
Mais il avait toujours cette flamme brûlante au fond des tripes, flamme attisée par sa très rapide rencontre avec Flying Blow dans les couloirs. Le coeur d'un combattant est un braiser toujours animé par quelques cendres rougeoyantes, après tout...

Kiichi la regarda descendre, son regard scrutant le corps de Kamishini. Il n'y avait pas là de sous-entendus coquins où autres grivoiseries, non. En expert, le street-fighter estimait la corpulence de son adversaire, son gabarit. Un peu aussi estimait-il la puissance de ses coups, par rapport aux mouvements qu'il lui connaissait après le visionnage de quelques vidéos clandestines. En "vrai", il la trouvait moins impressionnante que sur petit écran, mais cela importait peu. Après tout, Kiichi devait sa défaite la plus cuisante à une autre demoiselle, morphologiquement très proche de Kamishini. Non, l'américain ne ferait pas l'erreur de partir d'office vainqueur parce qu'elle était une femme.

En guise de salut, le jeune homme se contenta d'un geste de tête. Ce n'était pas une question qu'elle soit son adversaire où non, cette froideur... Kiichi n'était simplement ni très aimable ni très démonstratif. Et même si il jouait les gros-bras, il ne ressentait ni haine ni ressentiment pour celle qui lui faisait face. Simplement l'envie d'échanger des coups et de tester leurs arts respectifs.

- Mouais, m'enfin on est pas là pour prendre l'air non plus, hein.

Kiichi resterait Kiichi, quoi qu'il arrive... Avec pour cette fois une petite exception. Alors qu'en temps normal l'héritier du Nadashinkage aurait déjà décroché un retentissant direct dans l'estomac, il se contenta de décroiser les bras pour ouvrir sa veste d'uniforme, dévoilant un tee-shirt près du corps.
La veste vola dans un morceau d'herbe tandis qu'il continuait.

- T'sais, j'ai vu que'qu'uns d'tes combats. T'a foutrement bien éclaté ce russe, Draganoff. Pour sûr. J'veux que les choses soient claires avant qu'on s'foute gentimment dessus : j'suis pas là pour ton titre où une connerie de territoire. J'voulais pas spécialement m'fritter avec toi, j'suis plus dans l'circuit. Maintenant, je peux pas rester à rien faire devant tout les clowns de l'école... Et puis j'ai bien envie de voir c'que t'a dans les tripes, j'avoue. Alors c'est entre nous, mais bien à fond. En tout cas, j'vais pas me ret'nir, justement parce que j'te respecte.

Le jeune homme n'ajouta rien, s'éloigna deux de pas pour laisser une courte distance entre eux avant de se mettre en position, bras en garde haute.
C'était une invitation presque galante à l'attention de Kamishini, qui avait le plaisir d'ouvrir le bal.

Kamishini avait sorti sa moue boudeuse dès sa première phrase, on aurait dit qu'elle était à deux doigts de lui lâcher "pas bô!" et de faire la grimace. Le type retira sa veste et l'envoya valser, et essaya de ne pas paraître trop fermé.

- T'sais, j'ai vu que'qu'uns d'tes combats. T'a foutrement bien éclaté ce russe, Draganoff. Pour sûr. J'veux que les choses soient claires avant qu'on s'foute gentiment dessus : j'suis pas là pour ton titre où une connerie de territoire. J'voulais pas spécialement m'fritter avec toi, j'suis plus dans l'circuit. Maintenant, je peux pas rester à rien faire devant tout les clowns de l'école... Et puis j'ai bien envie de voir c'que t'a dans les tripes, j'avoue. Alors c'est entre nous, mais bien à fond. En tout cas, j'vais pas me ret'nir, justement parce que j'te respecte.

Elle se perdit dans ses pensées un instant: Draganoff, Draganoff... Oui, une minute vingt-deux de combat fini à la Sinistra Bomber. Le type n'arrêtait pas d'avoir la langue pendante depuis qu'il avait déchiré le T-shirt de la championne au couteau de chasse. Très irritant, il s'était bien démerdé, mais faisait un peu peur, dans sa manière de se comporter. Néanmoins, la dernière phrase de Kiichi avait plu à Flying Blow. Il avait la bonne mentalité. Il avait pris une garde haute comme les boxeurs, ce qui rappela un détail à la championne: le jour où elle avait affronté Draganoff, elle avait un claquage à la cuisse. Il ne devait pas savoir que ses coups de pieds démolissaient le béton avec facilité. Mais bon, ce n'était pas un combat d'amateurs.

- Ok, j'arrive!

De sa posture décontractée, difficile de prévoir ce qu'elle allait faire. Elle avait soudain fléchit les jambes et bondit à plusieurs mètres au-dessus du sol, démontrant la puissance de ses jambes. Elle débuta avec un classique coup de pied en piqué facilement évitable en reculant. C'est seulement lorsque son adversaire eut évité qu'elle lança le vrai coup: le premier coup de pied était destiné à laisser l'ennemi sur sa garde haute, pour lancer son autre jambe dans le côté gauche de son adversaire. Elle fit deux sauts en arrière et prit la garde du style Kurayari: un arc de cercle de la jambe droite pour la placer en retrait, la jambe gauche fléchie en avant, le bras gauche en oblique pour bloquer, les épaules de profil et la main droite au niveau de sa hanche, qu'elle secouait pour y augmenter l'afflux sanguin. Cette garde prévenait les coups de front, et une grande partie des coups latéraux, tout en favorisant les contres. Elle sourit:

- En fait, je me fiche qu'on m'affronte pour mon titre ou pas. Quand on me propose un combat intéressant, je ne peux qu'accepter, j'ai eu mon titre en m'amusant. Ce serait dommage de le perdre, mais si jamais ça arrive, tant pis, je m'entraînerai, et je le reprendrai.

On était d'accord sur un point. Match amical, vraiment pour l'éclate. Elle l'aimait bien, ce gars.

- Je fais pas ça pour amuser la galerie. Si je n'avais pas eu envie de me battre avec toi, j'aurais simplement annulé. Mais enfin, un champion quoi, j'allais quand même pas rater ça!