Ca fait du mal ... [ Pv ]

Il se sentait con, la main toujours tendue alors qu'elle n'avait visiblement pas envie de se lever. Il se tournait vers la porte. La chambre en face, hein? Il n'avait même pas remarqué cette porte, comme elle ne l'avait même pas signalée. C'était l'ancienne chambre de son époux? C'est chiant ça, le divorce. Il était content que ça n'existe pas chez les Dieux, au fond, parce que sinon, il n'aurait pas été marié à Aphrodite plus de deux jours. Ça lui ruinait le moral, d'y penser.

"J'ai laissé tout le butin sur le palier, et j'ai rien abimé."

Il regarda la table à bijoux, à laquelle il manquait un pied, et qui gardait de belles traces de brûlures. Il pensait aussi à la fenêtre qu'il avait forcée, et au vase qu'il avait fait tomber.

"Enfin, presque rien!"

Mieux valait lui parler de Pierre aussi, c'était la personne qu'elle connaissait le moins. Amusant n'est-ce pas? L'identité qui d'ordinaire lui servait de masque était la moins connue des trois:

"Je suis Pierre Listan, je travaille au lycée en tant qu'assistant biologiste. J'suis un mec sans histoire, et officiellement, je fuis le feu comme la peste."

Il se déplaça jusqu'au pas de la porte, et claqua des doigts pour en dégager une longue et fine flamme. Il souriait de toutes ses dents.

"C'est pourquoi je t'éviterai quand tu auras une clope en bouche, et que j'éviterai le salon quand il y aura du feu dans l'âtre."

Il regardait trois petites boules de feu tournoyer au-dessus de sa paume. C'était tellement beau, le feu, ces petites billes lumineuses! Il s'égarait dans ses pensées. Le mieux, pour un déménagement réussi, serait de prendre le strict nécessaire, de le planquer ici, d'incendier l'appart' en étant X-SMYLE, pour toucher l'assurance sur un incendie criminel. Un mois plus tard il rendait officielle sa colocation, comme ça il gagnait un magot, se présentait comme victime du terroriste, ce qui éloigne d'éventuels soupçons, et vit tranquille au manoir. Le crime parfait n'existe pas, mais la fraude parfaite oui. L'alibi de Pierre? Il était parti s'acheter du saké.

"Ma petite famille? Il n'y a que ma femme que j'aimerais amener, et c'est pas gagné."

Shin hocha docilement la tête à chacune de ses phrases, signifiant son accord. Elle était prête à jouer le jeu ... Même s'il semblait sacrément dangereux. Il jouait, comme ça, avec les flammes, avec ce feu vivace et incontrôlable pour les humains dits "normaux". Et elle, elle ne pouvait rien contrôler, pas même elle. Elle écrasa le bout de sa cigarette, à moitié entamée, décidée à la savourer un autre jour. Et elle abandonna la recherche de sa bouteille. Intérieurement, elle décida de se lancer le défi d'être sobre pendant plusieurs heures.
Elle chercha, par contre, un support du lit, pour se relever, se voulant aussi gracieuse que possible. Elle manqua de glisser, mais se rattrapa, se calant sur se deux longues jambes, ajustant sa tenue pour être aussi présentable que possible.
Un autre défi qui serait amusant à relever, pour elle qui traînait dans des tenues dignes des bordels de Moscou.

- Votre femme vous déteste ?

Elle toussa. Ah, oui. Elle venait de parler à voix haute. Autant continuer ...

- Mon ancien époux, je ne l'aimais pas. 'fin, si, je l'ai aimé pendant quatre-cinq mois ... Et puis, un jour, il a glissé dans les escaliers. Et il est mort.

Elle prit un air amusé. Elle l'avait poussée, elle s'en souvenait. Mais elle ignorait la raison, encore ...  Une vague de mélancolie passa devant ses yeux.

- Il va falloir trouver une raison valable ... Pour qu'un assistant biologique puisse habiter avec une femme qui gère une boîte de parfums renommée.

Un sourire, encore. Là, ce serait marrant à trouver ... Elle se posa sur le lit, les jambes décidément bien fatiguées par ces talons aiguilles.

- Mais je veux bien jouer le jeu ...

Elle le regarda, puis détourna les yeux.

- Tout n'est que folie ...

Elle se demandait comment elle avait pû en arriver là, à cohabiter avec un criminel. L'idée lui plaisait, sur le coup ... Demain matin, peut-être moins.

- Il va falloir que tu supportes mes crises de folies, et mes habitudes de "dépravée", par contre ...

Elle eut un nouveau sourire, pour le prévenir ... Ce genre de cohabitation risquait d'être amusante, et dangereuse ... Un nouveau jeu, en somme.

"Je l'ai pas aimé, et il est mort"? De la part d'une femme qui venait de le menacer avec un couteau, dur de penser que sa chute fut accidentelle. Enfin bon, c'était pas à lui de juger, il devait avoir son quota de plus de mille victimes, déjà. Maintenant, il fallait lui exposer le plan. Un petit serpent de feu zigzaguait entre ses doigts.

"Mon apart' va cramer demain soir, et je vais passer une annonce dans le journal, comme quoi je cherche une colocation. J'aurais juste à rejeter les appels en disant que tu as déjà sauté sur l'occasion. Pauvre petit Pierre victime parmi tant d'autres du terroriste X-SMYLE... Heureusement pour lui qu'il sera au café, au coin de la rue."

Il fut attentif, à sa révélation sur ses crises de folie. Et alors? X-SMYLE en était lui aussi un beau spécimen.

"Je tue des gens sans raison très chère. Tu as même le profil type des femmes que je viole dans les ruelles de la Toussaint. Je ne crains pas ta folie, ta folie m'amuse. Je ne veux même pas savoir pourquoi ton mari a subitement chuté dans l'escalier alors que tu ne voulais plus le voir, et tu ne veux pas savoir pourquoi des gens sont brûlés vifs totalement au hasard."

Son bras s'embrasa, et il le contemplait, dans toute la splendeur de ses flammes dansantes:

"Pour ma femme, non, elle ne me déteste pas. Je la révulse, c'est tout."

Et c'était pour ça aussi qu'il était X-SMYLE. Il avait besoin de son attention, de ses yeux posés sur lui, pour une fois, s'attirer un regard de fascination de la part d'Aphrodite, qu'enfin il voit autre chose sur son visage que de la pitié ou du dégout. Il voulait qu'elle l'aime, que sa femme l'aime! Était-ce trop demander? Non, et pourtant, c'était difficile à obtenir, si difficile...
Il se gratta le menton, fronçant les sourcils:

"Ton mari ne partageait même pas ta chambre? Là, tu me rappelles vraiment beaucoup ma femme. T'es sûre d'être athée, toi?"

Il ricana, et fit disparaître toutes flammes. Il ôta son chapeau, et le fit tourner sur son index:

"Tu me montres ma piaule?"

Au moins, elle avait ça de moins sur la conscience. S'ils étaient fous tous les deux, leur quotidien serait digne d'un " Fight Club" remixé. Elle ne savait pas si cette l'idée lui plaisait ou l'effrayait ... Tout est-il qu'elle se leva, dans le but de lui montrer sa demeure. Elle plongea sa main dans son décolleté, y retirant une clé qu'elle gardait toujours autour du cou. Elle la fit, elle aussi, tournoyer entre ses doigts. Mais son adresse ne lui attira qu'une chose : se claquer un doigt avec ladite clé. Elle retint sa douleur - minime - et avança le long du palier.
Cette porte lui rappelait bien des souvenirs ...

Elle soupira.

- Je tiens à ma solitude, dit-elle. Et lui aussi y tenait ... Nous avions donc chacun notre chambre. Ce qui n'empêche qu'on se retrouvait parfois dans la même.

Elle se remémora la nuit où elle s'était barricadée dans sa chambre. Trop saoul, il menaçait de la tabasser à coup de reliquaire. Oui, elle aimait sa solitude, bien souvent.
Elle entra la clé dans la serrure, et la porte grinça. En s'ouvrant, elle dévoila un immense lit - volé chez un antiquaire - à baldaquin noir. De la dentelle, du tissu ... On aurait cru une gigantesque toile d'araignée. Une armoire se tenait, non loin de là. Il y avait quelques cartons, un bureau, et une porte sur le côté. Le mot " Salle de bains " était à moitié griffé. Elle eut un maigre souvenir de leurs ébats ... La seule chose qu'elle regrettait, finalement.

- Il faudra faire un peu de ménage ... J'utilisais la baignoire pour des plants de cannabis, vous pourrez les enlever de là. Il y a 5 salles de bains dans cette demeure, de toute façon.

En effet, il demeurait un autre étage, identique à celui-ci : 5 pièces, un palier. Et encore, au-dessus, un grenier miteux.

- Cela fait trois années que personne n'est entrée ici, se justifia t'elle.

Elle lui adressa un sourire.

- J'ai beau vous rappeler votre femme, vous ne me révulsez pas ... Et je ne compte pas vous poignarder dans votre sommeil.

Elle déposa la clé sur le lit, et inspecta les environs. Une araignée qui se baladait sur le mur, deux fenêtres aux rideaux en assez bon état ... Elle remarqua plusieurs vêtements et sous-vêtements à elle, sous le lit, mais les ignora. Elle les récupérerait plus tard.

- En espérant que cela vous plaise ...

Shin lui souriait? La drogue devait vite lui monter à la tête, il emménageait quand même parce qu'il l'avait menacée. Pierre passait le doigt sur un meuble, et le regarda: Noir. La pièce avait pris la poussière, c'était sombre et ça puait le renfermé.

"En espérant que cela vous plaise..."

Il se retint de rire, et répondit du tac-au-tac:

"En fait non, c'est dégueulasse, c'est sombre et ça pue. J'aime pas du tout le mobilier et il y a des bestioles partout. Mais..."

Il sauta sur le lit, et rebondit sur le sommier grinçant. Au moins, le matelas et les couvertures étaient confortables, il suffirait de les laver.

"Avec la thune que je vais me faire, moi, pauvre victime d'X-SMYLE, je vais pouvoir refaire la déco."

Rien à cirer qu'elle ne soit attachée à certains aspects de la pièce, qu'elle ait l'habitude de la trouver ainsi, ou que le changement dans sa propre demeure la choque. Elle ne lui avait pas lassé la piaule pour un soir ou une semaine, elle le lui avait donnée. Et si elle lui cédait la pièce, c'est qu'elle lui déléguait aussi les responsabilités qui allaient avec. Il était libre de tout bazarder par la fenêtre si ça lui plaisait.

"En fait, il n'y a que les dimensions de la pièce qui me vont, mais ça me suffit. De toute façon, je compte pas passer mon temps à la maison, j'étais déjà quasiment assigné à résidence, sur l'Olympe. Dieux ou mortels, les gens ne sont pas nés pour rester enfermés."

Il s'assit et releva les genoux. Il y posa ses coudes, et mit la tête entre ses mains, regardant la jeune femme en souriant:

"Et puis, comment tu veux que j'emballe dans une pièce aussi délabrée? J'me vois mal amener une nana ici!"

Plutôt vrai, quand on est Pierre Listan, le type qui paye des restos tous les week-end à des filles et leur offre des bijoux à un prix exorbitant, on ne conclut pas dans une vieille pièce sombre qui sent le rat crevé. D'ailleurs, si vous passez au lycée de Seikusu et que vous voyez une élève ou une jeune prof avec un ornement hors de prix, vous pouvez être sûr qu'elle a couché avec le Pierrot.

"Donc donc donc... Demain, après les cours, je ramène deux trois affaires ici, discrètement. Juste quelques vêtements, la brosse à dent, tout ça. Pas besoin de plus. Je fais ma jolie signature quelque part, puis j'ouvre le gaz avant de descendre au café du coin. Là, j'aurais une vue sur chez moi, il me suffira alors de tout faire flamber sur ce que je vois, et le gaz fera le reste. J'accours, horrifié, et je gueule en bas de l'immeuble parce que ça craint, ensuite de quoi j'appelerai les pompiers si personne ne s'en charge. Il vont voir la signature, appeler les flics qui vont recueillir mon témoignage et celui des passants, qui me blanchiront de tout soupçon de fraude, ou même d'être X-SMYLE. J'appelle mon assureur, je dis que j'ai été victime d'un incendie criminel, à moi le jackpot."

Ça avait l'air si simple, dans sa bouche. Mais ça voulait surtout dire qu'il savait parfaitement quoi faire et aussi que Shin n'aurait rien à faire. Il avait parfaitement le contrôle de la situation.

Elle poussa un long soupir ... La cohabitation ne serait sans doute pas de tout repos. Elle sentit une vague de fatigue passer le long de son échine, et envisagea de ne pas s'acharner à faire souffrir le petit corps qu'elle avait. Elle l'écouta d'une oreille, hochant la tête. Son plan semblait tenir debout ... Elle n'aurait sans doute pas trop de soucis à se faire. Il avait l'air doué pour ce genre de magouilles. Au moins tout aussi doué que pour les compliments. Voilà qu'elle l'accueillait, et qu'il rechignait ? ... Enfin, elle devait avouer qu'elle n'avait pas vraiment le choix. Elle cligna violemment des yeux, espérant se réveiller, et vit qu'il était toujours là.
Non, elle ne rêvait pas. Décidément ...

- De toute façon, ce lieu t'appartient ... lança t'elle comme seule réponse.

D'un pas las, elle se posa sur le lit, qui l'accueillit avec un grincement glauque, et entreprit de défaire le nœud de ses chaussures. Chaussures hautes de 12 centimètres, elle se fermait avec un lacet autour du mollet. Les pieds endoloris, elle se décida donc à retirer ses chaussures ... Elle sentait déjà que la plante de ses pieds lui en serait redevable. Un soupir de satisfaction s'échappa d'entre ses lèvres, tandis qu'elle ébouriffait ses cheveux, à nouveau. Ses bracelets tapèrent les uns sur les autres, dans une disharmonie qui lui semblait bien habituelle.

- Mais ne jette pas tout, s'il te plaît ... Je voudrais récupérer le lit. Et deux-trois affaires, ici et là.

Elle inspecta les lieux des yeux. Tout était mort. Aucun souvenir ne revint ranimer sa mémoire. Elle dormirait sûrement en paix ... Elle passa ses mains sur ses joues. Quelle heure était-il ? Elle l'ignorait et s'en fichait. Elle vivait hors du temps, depuis toujours.
Elle se décida à se tourner vers lui, massant d'une main ses talons.

- Tu as vraiment envie de vivre ici ?

Elle avait un ton étonné, presque blasé. Comme si tout ceci n'était qu'une immense blague. Elle qui n'imaginait aucun être humain doué de raison vivre avec elle, alors un dieu ! Elle était tout de même sceptique sur cette idée ... Certaines personnes maitrisaient l'hypnose avec facilité et puissance ... Peut-être mentait-il ?
Étrangement, elle ne voulut pas vérifier.

- Tu ne tiendras pas un mois, souffla t'elle avec un bref sourire, tout en analysant à nouveau les lieux.

Il soupira un instant:

"A croire que tu ne m'écoutes pas, je suis un criminel. Si j'emménage dès maintenant, je serai suspecté d'être X-SMYLE."

Il bondit un peu sur le lit et vint s'asseoir à côté de Shin, son regard pensif se perdant de façon hasardeuse sur le pied qu'elle massait:

"D'ici-là, chacun a le temps de mettre de l'ordre dans ses affaires. Et oui, je veux vraiment vivre ici. Mon apart', il n'y a que trois pièces, et ce manoir est même plus classe que ma forge, sur l'Olympe."

Officiellement, c'était un temple. Mais l'atrium ne possédait qu'une cuve de magma, on ne voyait chez lui que du matériel de forgeron de toute façon: marteaux, enclumes, râteliers, blocs de minerais, pierres précieuses grossièrement entreposées, aiguisoirs, moules et autres. Sa chambre, c'était qu'une petite pièce avec certes un grand lit, mais pas assez pour accueillir plus que sa personne. Ce qu'il haïssait cette couche, on l'avait faite en sachant pertinemment que jamais il ne pourrait la partager. Bon, il y avait cette grande statue à son effigie au fond de la grande salle, pour ses fidèles, mais en général, on venait le voir pour passer ou récupérer une commande, et les quelques fidèles artisans s'attardaient plus sur son matos et sa façon de faire que sur la contemplation de sa sale gueule représentée en statue.

"Tu ne tiendras pas un mois..."

Son sourire se fit carnassier, il penchait la tête sur le côté avant de répondre, les yeux brillants de malice:

"Parce que je ne supporterais pas ta folie? Non, parce que tu cuisines mal? Ne joue pas ce petit jeu avec moi, je suis aussi criminel et aussi cinglé que toi. Je suis même sûrement plus dangereux. Le fait est que tu ne m'aimes pas Shin, et que comme tu n'as pas pu me tuer, tu veux me décourager, pour que je partes, pensant désespérément que le cas échéant, je te laisserai vivre. Si jamais je dois quitter ce manoir, c'est parce que... Parce que..."

Il simula les sanglots, mima quelques sursauts soi-disant dus à des haut-les-cœurs:

"Parce que je ne supporterai pas... de rester dans la demeure où ma chère colocataire est... morte à cause d'un fichu accident domestique!"

Son sourire reprit sa place, mais il avait une larme à l’œil, tellement il se retenait de rire. Jamais il ne l'avait mise sur un pied d'égalité avec lui, et il tenait à le lui rappeler.

Shin roula des yeux. Voilà qu'il la menaçait de mort ! Elle ne trouvait bizarrement pas cette menace dangereuse. Cela fit même revivre son coeur détraqué. Étrangement, les menaces de mort l'excitait à faire davantage la folle. C'était un miracle qu'à 22 ans, elle soit toujours debout, avec tous ses membres présents. Juste un cerveau noyé de fumée et un foie miraculé venait casser cette image d'immortelle qu'elle se donnait. Elle se contenta de ne pas lui répondre, lui jetant juste un regard blasé. Elle cessa aussitôt de se masser la cheville, pour venir frictionner son mollet. Ses jambes, en ce moment, la faisait souffrir facilement. Elle était pourtant robuste ... Les imprévus de l'opération, songea t'elle. J'irais voir l'herboriste demain.
Elle regarda autour d'elle, et entrevit une photo, au pied du lit. Elle se pencha - sa nuque craqua - et l'attrapa entre les doigts.

Une photo d'elle au stade "neko", avant son opération. On la voyait jeune, plus petite et plus menue, avec un air davantage fragile, enfantin, mais malgré tout beaucoup pus vivant qu'elle ne l'était aujourd'hui, les jambes plus courtes, avec des oreilles et une queue de renard. Elle portait son uniforme d'écoliére. Un sourire pointa sur ses lèvres, et elle se retourna vers l'homme à ses côtés.

- Regarde ! C'était moi, il y a 4 ans !

Elle se stoppa dans son élan, maintenant tout de même la photo dans sa main. Diable, voilà qu'elle sympathisait avec son "assaillant". Un haut-le-coeur la remua un moment. Que cette période était enfouie dans sa mémoire ! Elle n'en avait presque aucun souvenir. Elle envoya la photo valser dans les airs, et celle-ci retomba sur le sol.

Elle se tourna vers X-SMYLE.

- Et ce soir, tu rentres chez toi, alors ?

Elle s'empourpra. Même si elle se sentait nettement apaisée par cette idée, elle devait l'avouer ...

- Non pas que je veuille te dégager de là, cela ne servirait à rien, j'en suis consciente ... Mais c'était une simple interrogation.

Elle s'efforça de sourire.

- Je tiens trop à mon semblant de vie pour me comporter comme une conne, ajouta t'elle.

Alors qu'elle venait d'accepter sous son toit un criminel ... Décidement, l'âge ne l'arrangeait pas.

C'était quoi ça, une ruse? Il venait de dire qu'il comptait toujours la tuer si elle le gênait, et sa seule réaction était de lui montrer une vieille photo comme si elle était une des nombreuses copines de Pierre! En plus, la fille sur la photo lui ressemblait, mais c'était une terranide chat, pas une humaine. Il se contenta de soupirer, se montrant un peu exaspéré, alors qu'elle jetait tout bêtement la photographie, qu'elle avait ramassée pour une quelconque raison.
Elle lui demanda alors, de façon détournée, s'il allait coucher là, ce soir. Elle rougissait comme une jouvencelle, et lui, ça l'amusait. Il souriait pour ne pas rire, et écoutait ses étranges excuses. A croire qu'elle ne pouvait plus s’exprimer qu'en tournant autour du pot.
C'est alors qu'elle prononça les termes de "semblant de vie", qu'il eut une expression interloquée. Pour le Dieu forgeron, ce qu'elle vivait était la belle vie.

"Un semblant de vie? T'as un manoir qui en jette, et tu fais tout ce que tu veux quand tu veux. Pas de boulot, tu bois, tu chantes et tu dors quand bon te semble!"

Il avait du mal à comprendre pourquoi elle parlait de semblant de vie, alors que son éternité se résumait à "Fais moi telle arme", "Sertis moi tel bijou", "Fabrique moi une nana dans l'argile et appelle-la Pandore". Sa vie sur l'Olympe était tellement merdique qu'il rêvait même qu'un jour, un autre Dieu se pointe et lui dise "On va se boire un coup chez Dyonisos, tu viens?". Il avait eu un Dieu, venu le voir pour se faire forger une épée, susceptible de changer les choses, mais non. Rien, depuis des millénaires, rien d'autre que du boulot, ou du rejet.

"Après, tu peux t'en prendre qu'à toi-même, si tu t'emmerdes toute seule, les choses ne bougeront pas si tu fais rien pour, c'est la raison pour laquelle je suis là."

Il se laissa tomber en arrière pour s'allonger à nouveau, mais sa tête heurta quelque chose de dur, sous l'oreiller. Il y glissa la main et en sortit quelque chose de froid: Une bouteille de vin blanc était restée cachée ici.

"L'alcool est vraiment caché n'importe où, dans cette baraque..."

La bouteille de verre en question n'avait été que légèrement entamée, il retira le bouchon avec son pouce et se mit à boire au goulot:

"Bien conservé. Nan mais c'est cool hein, si y a à boire dans n'importe quelle recoin, je vais me plaire ici!"

Il se remit à boire, en fixant Shin. Il avait déjà siphonné un quart de la bouteille avant de la lui tendre:

"T'auras pas le plaisir de vivre éternellement jeune, alors profites-en. On est nettement moins attirant à l'âge où nos mains se font usées et qu'on commence à se vouter!"

Ses mains étaient disproportionnées dès sa naissance, et il se voutait depuis qu'il marchait. Pas le choix, quand on est un bébé qui a dévalé une montagne, on en souffre les séquelles, pour le restant de nos jours. C'est pour cette raison qu'il n'appréciait pas vraiment Héra, mais Zeus lui avait demandé de fermer sa gueule et d'obéir, alors il lui arrivait de forger des bijoux pour cette mère indigne.

Du bout des doigts, la jeune femme attrapa la bouteille, prête à lui répondre ... Mais lui répondre quoi ? Elle-même ne savait même pas quoi dire ... Il était vrai qu'elle possédait une riche demeure, une vie fortunée, avec un métier qui était passionnant et qui lui attirait une renommée qu'elle chérissait. Elle était belle, pouvant passer de mignonne à fatale en un clin d'oeil, avec une garde-robe ahurissante.
Mais étrangement, énoncer ce genre de choses lui semblait cynique. Elle n'était que matérialiste, et, si elle ne voyait pas le temps passer, c'était parce qu'elle ne se rendait compte de rien. Elle but une gorgée de vin blanc, et constata que l'alcool n'entamait même plus son esprit. Bon. Elle était immortelle, lui semblait-il. Elle ne souffrait même plus de ses excès. Dommage ... Même ses échappatoires lui tournaient le dos. Elle ne se sentait même pas triste en disant cela, juste cynique, presque d'une passivité étonnante.

Elle le regarda.

- Je ne sais même pas quand je vieillirais. Pour devenir comme je suis, sans mon corps mi-femme mi-renard, juste humaine, j'ai dû ...

Elle soupira.

- On m'a claqué un sortilège. Qui a comme excellent effet secondaire et permanent de me rendre résistante à énormément de choses, lança t'elle d'un ton amer.

Elle lui retendit la bouteille.

- Et je stagne, limite passivement. Je ne parviens même pas à éprouver ce plaisir qu'on a en s'envolant grâce à la drogue, l'hilarité que procure l'alcool m'est devenue inconnue. Je ne ressens que des bribes de plaisir, par moment, que je chéris.

Elle lui adressa un grand sourire, ironique.

- C'est ça que j'appelle un semblant de vie.

Ne vivre une vie qu'à moitié, ne ressentir qu'une fois par mois ... Charmant programme. se dit-elle en passant une main dans ses cheveux, lu faisant dos à nouveau. Un semblant de vie, c'est être spectateur, mais jamais acteur ... Tout ça parce qu'on a voulu changer de corps. Bim ! Si un dieu existait, elle le saluerait bien bas. Parce que, de là-haut, il devait bien se marrer ...
Cette idée le rappela à son "invité". Elle se retourna prestement vers lui.

- Et pourquoi un dieu comme toi a décidé de ... venir semer la pagaille sur Terre, dis-moi ? L'immortalité est-elle si pénible que ça ? Ou est-ce juste ton statut qui te ronge et fait de toi un névrosé profond ?

Sourire. Qu'elle remballa aussitôt. Pas question qu'il se sente agressé et lui brûle le visage qu'elle avait payée si cher.

- Je veux dire ... Qu'est ce que la Terre a de plus attrayant ?

Et il l'écoutait sans rien dire. Son expression restait passive, il ne voulait pas réagir avant qu'elle n'ait fini, si bien qu'on aurait dit qu'il n'en avait rien à faire. Elle lui disait qu'elle ne pouvait plus rien aimer, mais ses gouts n'étaient que purement et simplement matérialistes. Donc tout ça n'était rien d'autre que du matérialisme pur et simple. Il se mit à la réprimander comme un grand frère, ignorant sa dernière question:

"Et sinon, t'as essayé d'avoir d'autres amis que William Peel et Label 5? C'est pas le fruit d'un mauvais sort, ni du fait de ton étrange transformation en humaine qui t'ont mise dans cet état, c'est juste la lassitude. La monotonie c'est chiant, et j'en sais quelque chose!"

Il avait peut-être été un peu dur sur ce coup-là. Il se sentait l'envie de la réconforter, et bien qu'il portait le costume d'X-SMYLE, il agissait plus comme Pierre. Il alla s'assoir à ses côtés, posa la bouteille au pied du lit et passa son bras derrière la tête de Shin pour mettre sa main sur son épaule.

"Allez, désespère pas, c'est la boisson qui te fais déprimer. Si ta vie était si nulle que ça, tu m'aurais laissé y mettre un terme tout à l'heure, sans résister. Et pourtant tu continues de t'accrocher!"

Il repensa à la question qu'elle avait posée, et qu'il avait complètement zappée. Il s'éclaircit la gorge et continua:

"La Terre n'a rien de plus attrayant que l'Olympe, ou même Terra, à vrai dire, je suis arrivé à Seikusu totalement par hasard. Je fous la merde uniquement parce que le feu c'est mon élément, et qu'X-SMYLE arrondit mes fins de mois."

Sa réponse soulevait donc une autre question. Mais il répondait avant même que Shin ne l'ait formulée.

"L'humanité, ça c'est intéressant. J'ai une vie sociale, un physique assez avantageux, j'ai même appris la peur de la mort, à un autre degrés que les humains, quand même. Tu vois, en fait, j'ai beau avoir des centaines de milliers d'années d'existence, ma vie n'a commencé qu'il y a dix-neuf ans de cela."

Il bougea le bras qu'il avait posé autour de son coup, pour lui montrer son index incandescent, très près de son visage.

"Tu veux pas mourir. Donc, tu veux vivre. Mais pour l'instant, tu ne vis pas vraiment."

" Je m'accroche pour le soupçon de sentiments que je peux avoir. " aurait-elle voulue répondre. Mais non. Elle ne répondit pas cela, elle ne répondit même pas. Névrosée qu'elle était, elle préférait attendre qu'un événement arrive à elle ... Quand on a l'habitude que tout arrive rapidement, on finissait par se lasser. Évidemment. Selon ses chers amis cultivés, dit " de la Haute ", cela serait dû à un événement arrivé pendant son enfance, qui se serait transformé en névrose, et je connais un très bon psy, tu verras, il est plutôt freudien que youngien, et je préfère. Parce que.

Bin voyons. Elle sursauta vaguement quand il posa sa main sur son épaule , un peu sur la défensive. Mais elle ne se sentait pas l'envie de l'envoyer paître. Elle l'écouta longuement, le regard un peu bovin, sans pour autant perdre une miette de ce qu'il lui disait. C'était dingue. Il ne correspondait pas à l'image qu'elle se faisait d'un dieu, quel qu'il soit. Elle imaginait plus un mec cultivé, éphèbe, avec un regard qui imposait respect et autorité, et avec la voix pleine de sagesse. Un messie, en quelque sorte.
Eh bien pas du tout. Elle allait se préparer à répondre, quand elle distingua l'index incandescent, prés d'elle. Ses yeux s'ouvrirent, brillant de crainte, tandis qu'elle détournait le regard vers lui.

- Je ...

Elle faillit grimacer, mais resta un tant soit peu digne.

- L'instinct de conservation, n'est ce pas ? Tu pourrais retirer ton doigt de ... le reculer, quoi. Je ne suis pas rassurée.

Bien qu'elle doutait qu'il veuille lui cramer le visage.

- Au moins, tu profites bien de ton éternité, mh ?

Un sourire vague.

- Héphaïstos ... J'ai peu de connaissances en mythologie, mais ... Tu n'es pas marié à Aphrodite ?

Elle fronça les sourcils, cherchant dans ses souvenirs.

- Fils d'Hera, non ? Hum, je n'en suis pas sûre ... Mais si c'est le cas, je peux comprendre que tu préfères la Terre.  Entre la mère caractérielle et limite-sadique, et la blondasse dédaigneuse ... Sûr, il y a plus de choix ici-bas.

Elle en parlait sans être connaisseuse, juste en ayant quelques idées, ici et là. Elle avait peu lu, sinon des vieux Barbara Cartland ou Maxime Chattam, de quoi trahir ses envies de sexe, de trucs glauques et d'amours imaginaires. Mais jamais elle n'avait lu de livres mythologique ... Elle poussa un soupir d'exaspération.

- Quant à ma vie ... On en reparlera après quelques mois de vie ensemble, veux-tu ?

Un sourire, mais un vrai. Pas de sens caché, ni de cynisme. Juste un sourire franc. Oui, ça lui arrivait. L'alcool retombait. Et sa crainte aussi.

Il s'était exécuté quand elle lui avait demandé de retirer son doigt, retirant aussi son accolade pour contempler de lui même ses mains qu'il rendait incandescentes. Non pas qu'il se fichait éperdument de ce que Shin racontait, mais il avait une grande admiration pour son élément depuis qu'il avait découvert qu'il pouvait s'en servir pour des choses bien plus amusantes que la forge. Immoler des gens, par exemple. D'ailleurs, il portait le costume d'X-SMYLE, et il n'avait fait flamber personne pour le moment. Il croisa ses mains:

"Aphrodite n'est pas dédaigneuse, je ne l'aime pas que pour son physique au-delà des perfections humaines. N'importe quelle femme en ferait autant devant ma forme céleste."

Il tendit les mains en coupe devant lui et des flammes s'en élevèrent. Dans ces flammes aux couleurs changeantes, on distinguait peu à peu l'image d'Héphaïstos, comme une petite modélisation en 3D. Puis il referma ses mains et tout s'éteint, sa peau avait gardé le même teint et n'avait pas rougit d'avoir été enflammée à l'instant, et ses yeux redevinrent sombres comme la nuit.

"Tu vois? Pas beau gosse le tonton forgeron!"

Il se leva en riant jaune, et soupira. Il était très tard, et il aurait beaucoup de choses à faire demain. Il salua sa nouvelle colocataire d'une bise, et quitta discrètement le manoir en ressortant par la fenêtre qu'il avait empruntée pour entrer. Ce soir là, il tua un dealer, deux violeurs et leur victime, qui avait vu son visage.

Une semaine passa...

Le plan s'était déroulé sans accroc. Le lendemain de sa petite visite au manoir, Pierre était sorti du lycée à 15h. De 15h30 à 16h45, il avait empaqueté quelques affaires importantes, c'est à dire sa console, ses jeux, son pc, son téléphone et les divers accessoires, et aussi quelques babioles. Le truc était surtout de sortir le tout sans éveiller les soupçons, aussi il répartit le tout dans trois sacs poubelle, qu'il descendit en bas de l'immeuble. Il avait marqué les sacs de petits traits sur la ficelle de fermeture, et les avait placés dans la benne avec les autres. Le ramassage était dans trois jours.
A 16h55, il observait chaque endroit de son appartement pour savoir à quel endroit poser sa marque. Il opta pour la porte du frigo, qu'il brûla pour marquer son X avec le smiley, puis il le coucha, porte contre terre de sorte à ce qu'on croit que l'explosion de flammes l'avait propulsé au sol. Vu le soin qu'apportait X-SMYLE a chacun de ses incendies, ce détail ne surprendrait plus les autorités. Il enfila ses gants de cuisine, ouvrit le gaz et les rangea soigneusement, ensuite de quoi à 17h02, il quittait l'immeuble pour aller au café où il avait donné rencard ce midi à Claire, une élève de première. Il s'était placé de telle sorte à avoir une vue sur la fenêtre de son appartement.
17h29, continuant de discuter avec son amie, il leva discrètement les yeux vers l'appartement alors qu'elle crispait le visage car son café était un peu chaud. Des flammes apparurent soudainement à la fenêtre, et une explosion gronda dans le quartier, brisant les vitres. Le pauvre Pierre bondit de sa chaise et traversa la rue en courant, pour se retrouver en train de crier que c'était son appart', en proie à la panique. Claire l'avait rejoint, et il s'était effondré en larmes dans ses bras.
Six minutes plus tard, les pompiers étaient arrivés pour éteindre l'incendie. Les dégâts étaient trop graves pour sauver quoi que ce soit, et la police arriva à 17h38 devant l'immeuble. Un officier prit le témoignage du jeune homme paniqué. Celui-ci ne comprenait absolument rien de ce qui s'était passé, et ne cessait de se plaindre qu'il n'avait nulle part où aller. Claire se proposa, mais Pierre refusait de la déranger, en disant qu'il pourrait sûrement se démerder. En haut, les agents de police avaient déterminé l'accident par fuite de gaz, jusqu'à ce que l'un d'entre eux voit le réfrigérateur portant la marque du célèbre terroriste. Les agents vinrent faire leur rapport à l'officier, devant Pierre qui se demanda pourquoi il avait fallu que ça tombe sur lui. Il passa la soirée à se morfondre dans la chambre de Claire, qui décida de le consoler: d'une pierre deux coups.
Il était 23h42 quand il quitta la maison de la jeune fille sous prétexte de ne pas la déranger, et aussi le fait que ses parents la tueraient s'ils la voyaient le lendemain avec un homme dans son lit. A partir de 23h55 jusqu'à 00h25, X-SMYLE avait amené trois sacs poubelle au manoir, en empruntant des ruelles désertes pour éviter les témoins.
Le lendemain matin, il déclara le sinistre à son assureur, qui entama une procédure de dédommagement. En début d'après-midi, il passa une petite annonce dans le journal pour rechercher une colocation,puis termina son après-midi jusqu'à 19h20 au lycée, parce qu'il n'avait rien d'autre à faire que de bosser.
Le jour d'après fut tout à fait normal, boulot, boulot, drague. Il avait juste acheté un journal le midi, pour vérifier que son annonce y était. Il l'entoura au feutre. A 23h50, Pierre se baladait dans la banlieue, et rôda aux alentours du manoir jusqu'à ce qu'il n'y ait aucun témoin. Il posa le journal sur le pas de la porte et disparut dans la nuit.
Quatre jours après, le voilà sur le pas de la porte, avec des vêtements que lui ont prêté des copains du lycée. Nous sommes en milieu d'après-midi.

Vêtu d'un jean et d'une chemise, il frappe à la porte du manoir. Il s'exprimait fort pour appeler Shin, et aussi faire en sorte que les voisins l'entendent:

"Excusez moi! Mademoiselle? Je suis Pierre, le type de l'annonce, on s'est téléphoné, vous vous souvenez? Je peux entrer?"

Un plan décidément sans accroc. L'assurance l'avait contacté pour lui dire que demain, ses indemnités lui seraient reversées. Et en plus, il pourrait toujours se faire du blé en plus grâce à X-SMYLE, qui n'avait tué que quelques personnes hier ou avant-hier, en vidant leurs portefeuilles. Ca faisait un moment qu'il n'avait pas réalisé un gros coup, depuis l'appartement de Pierre.

   Elle l’avait regardée partir, puis avait dormie comme une masse. Dans la chambre qu’il était censé habiter, d’ailleurs … Et le lendemain, totalement amorphe, elle était partie travailler. Les vapeurs de l’alcool ne lui permettaient pas de bosser correctement, elle se fit donc vomir. On la jugea malade, et elle attrapa un congé maladie qui lui promettait une semaine pour se remettre de son avortement. C’était dingue ce que c’était simple de passer pour une victime … une fois rentrée chez elle, elle avait alignée les cocktails doliprane-advil-aspirine-dafalgan. Elle le vivait relativement bien, d’ailleurs, cet état de déchet constant. Mais elle se jura, avant de s’endormir, qu’elle se mettrait au jus d’orange.
Parole qu’elle tint deux jours. Elle savait que son colocataire débarquerait, un jour. Elle mit un jour à récupérer ce qui était à elle dans l’ancienne chambre de feu son époux. Le lendemain, elle passa 4 heures dans son bain, le reste de la journée à commander des fringues, des bijoux, et la nuit à rêvasser dans son cabinet de curiosités. Le surlendemain, elle se remit à boire, et regarda des quantités de films où elle pouvait croiser Edward Norton et Ed Harris, et des films d’horreurs asiatiques, enfoncée dans son canapé. Elle ne dormit pas de la nuit. Elle dormit ensuite une journée entière. Elle n’avait plus aucune notion du temps. La nuit suivant cette journée, elle sortie en boîte, s’envoya deux filles, charma un homme qu’elle se fit la nuit d’après. Et le 6e jour, elle remit tout en ordre dans son cerveau, à coup de chants d’opéra qu’elle s’efforça d’imiter … Elle adopta 2 rats, Herpès et LSD, qu’elle installa confortablement dans sa chambre, dans une cage immense, jouant avec eux. Elle alla en boîte, ramena une fille.
Le 7e jour, quand elle ouvrit la porte à Pierre, elle se souvenait à peine de qui il était. A peine réveillée, elle portait un peignoir rouge et noir, et tenait à la main un verre où une aspirine effervescente se décomposait. Elle se massa une tempe de sa main, et s’efforça de sourire. Elle n’était pas maquillée, sans bijoux, les cheveux attachés négligemment. Elle mit 10 secondes à se souvenir de qui il était.

-   Ah, oui …

Elle le dévisagea, rentrant dans son jeu.

-   Je t’en prie, entre, je vais te montrer où tu pourras ranger toutes tes affaires. Pauvre petit …

Elle parlait comme une trentenaire gentille, attentionnée et naïve. Ses voisins, qui la connaissait, devait se demander bien des choses … Elle le fit entrer, et ferma la porte. Le temps était frais. Trop pour elle. Et elle but cul-sec son verre de solution miracle contre les migraines. Quand elle était comme ça, le moindre son, la moindre voix l’énervait. Elle scruta l’heure. 15h ? Elle grogna. Elle n’avait vraiment plus aucune notion du temps. Pour elle, il était 10h du matin. Elle songea à la naïade endormie dans son lit, qu’elle devrait bien éjecter de sa demeure. Elle se retourna vers le nouveau venu, le saluant d’un mouvement de tête.

-   « Home sweet home »

Récita t’elle d’une voix remplie d’un joie ironique. Elle pria pour que sa migraine déguerpisse vite-fait-bien-fait. Elle entendit un bruit, à l'étage, mais fit comme si de rien n'était. Elle lui indiqua l'escalier d'un geste de la main, dévoilant son poignet fin et pâle.

- Tu connais le chemin ...

Il patienta devant la porte un moment. Quand Shin vint l'accueillir, il lui laça un petit "Yo!", puis resta figé sur place. Avec son verre d'aspirine à la main et son air déconfit, elle faisait presque peur. Elle le fixait comme s'il avait porté une tenue moulante rose fluo et un chapeau en forme de banane qui lui tournait sur la tête. Puis elle lâcha mollement:

"Ah, oui …"

Il était médusé. Comment elle avait pu oublier le type qui avait failli la buter il y a une semaine, et qui avait fait des allers et venues jusque chez elle pendant toute cette même semaine pour y déposer discrètement ses affaires? Héphaïstos déprimait: c'était la première fois que Pierre avait aussi peu d'impact sur une jolie femme. Elle l'invita à entrer, et il s'exécuta, s'essuyant aimablement les pieds sur le paillasson. Il regarda sans la direction du salon: ses affaires étaient restées dans un coin et n'avaient pas bougé. Il ricana légèrement: un plan sans accroc. Il entendit un bruit à l'étage, qui le fit déchanter. Lorsqu'il se tourna vers Shin, elle lui indiqua l'escalier:

"Tu connais le chemin ..."

Il se fit soudain soupçonneux. Son comportement était assez bizarre, elle avait eu du mal à se le remémorer?  Lui? Elle savait quand même qu'il était un Dieu! Peut-être voulait-elle se débarrasser de l'avatar gênant. Alors cette personne là-haut serait venue pour lui? Il gravit les marches en soupirant:

"Ouais, mais je ne savais pas qu'on avait des invités..."

Il redressait la tête, ses yeux noirs avaient viré au orange vif. Sa main gauche commençait à rougir légèrement. Mais arrivé au palier, il haussa les sourcils en découvrant une jeune fille en peignoir. Ses yeux reprirent leur teint sombre habituel, et il la dévisagea d'un air grave.

"T'es qui, toi?"

X-SMYLE était très agacé de voir son plan sans accroc se faire compliquer au dernier moment par une invitée gênante. Avait-elle vu les affaires dans le salon? Se doutait-elle de son petit manège? Qu'est ce qu'elle foutait là? Pierre revint à la charge, reprenant ses bonnes manières et son air aimable:

"Désolé, c'est impoli! Mon nom est Pierre Listan, j'emménage ici en tant que colocataire, enchanté de vous connaître!"

Il n'avait pas abordé le sujet de la politesse pour rien. L'inconnue allait être embarrassée de se trouver ainsi en petite tenue devant lui, et allait se présenter. Les connaissances en informatique de Pierre pourront ainsi la retrouver en la pistant à partir de son nom, puis d'aller chez elle, et là... X-SMYLE se débarrasserait du témoin potentiel. C'était injuste de faire ça, mais le Dieu du feu ne souhaitait pas écourter ses vacances par galanterie envers une Mortelle.