Il n’y rien de pire qu’un clochard vous dira-t-on. Sauf peut-être un clochard ivre mort qui entend bien vous faire part de ses déboires. Il avait franchit le palier de la taverne tôt dans la journée et quoique ses poches eussent été aussi à sec que son gosier, lorsqu’il se présenta au tavernier du bar «A la bonne Vautre » on lui servit de quoi étancher sa soif. Pourtant ce n’était pas un habitué, seulement un type de passage que l’appel de l’alcool avait attiré. Puis, un canon en amenant un autre, les minutes défilèrent à un rythme effréné sur le pendule et le clochard, car il en était un c’est sûr, se retrouva attablé au comptoir et assit sur un tabouret de fortune sans s’en rendre réellement compte. Bientôt il fut rejoint par deux autres ivrognes du coin que la présence d’un étranger intriguait. Ils taillèrent un bout de discussion tout les trois où il fut question « du-bien-fondé-du-port-des-mini-jupes-pour-les-femmes-militaires-mignonnes » et autres propos machistes du genre. Au même titre que ses deux « convives », Yasumasa participa activement au débat, peut-être même avec trop d’entrain puisque le tout déboucha sur ses expériences avec les femmes. Avec la verve qu’on lui reconnaissait d’ordinaire, il s’exprima en ces mots tout en mimant d’amples mouvements qui en disaient long sur le taux d’alcoolémie présent dans son sang :
« Et là ! Vous savez c’que je lui ai dis ?! Hein ? Vous savez c’que je lui ai dis ? Hein! Et bah rien, je lui ai foutu mon poing dans la gueule Hahaha ! »
La grande classe. Ses camarades de comptoir s’esclaffèrent à l’entente du discours, même le barman qui s’afférait jusque là à rincer le gosier de ses clients fit la même chose. Il fallait dire que le clochard y mettait du cœur et quoi que les mouvements rocambolesques auxquels il se prêtait aient grandement contribués à ces éclats de rire, on retenait surtout du personnage sa pétulance naturelle. Cependant, sans nul doute que cette histoire, aussi désopilante soit-elle, fut un tissu de mensonge. En effet, quand on connaissait un temps soit peu le gaillard on savait pertinemment que son expérience des femmes était aussi vierge qu’il ne l’était lui-même. Seulement, les badauds qui s’amassaient peu à peu autour de lui semblaient accorder du crédit à ces racontars. Il était alors le centre d’attention de la pièce, le centre de gravité vers qui tout les regards convergent ; on l’aimait, on l’admirait, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
« Vous savez, une fois j’ai couché avec une Noxienne, p’tain j’peux vous dire qu’elles sont sacrément vilaines celles-là ! »
« Hey ! J’viens de Noxe moi ! »
« Ha…ah ouais ? Hips ! »
« Ouais alors retire c’que t’as dit s’tu veux pas que j’te marave la tête »
Se dressait dès à présent, devant les yeux du clochard, un grand gaillard qui devait aisément caresser les deux mètres de hauteur. Il avait une apparence patibulaire et pouvait se targuer d’être en mesure de pouvoir compresser la tête de notre malchanceux héros entre ses deux paluches. Yasumasa, pas impressionné pour un sous, tentait tant bien que mal de soutenir le regard renfrogné de son interlocuteur ; passablement éméché, sa vision était légèrement floutée et il ne fallut pas attendre longtemps pour que le clochard ne se mette à décuver sur les chaussures du géant sans même avoir eut le temps de s’excuser. Derrière on entendit des gloussements de quelques clients tandis que d’autres étaient pris de stupeur et appréhendaient avec frayeur ce qu’il adviendrait de l’étranger suite à cela. Il fallut une bonne minute pour que Yasumasa ne relève la tête. Malgré le vomi qui garnissait encore les commissures de ses lèvres et son tee-shirt, il fut lourdement soulevé par son ennemi du jour qui le fit passer de la position assise à levée avec une facilité déconcertante. Autour d’eux, la foule s’était amassée en cercle malgré les réticences du barman, prêt à assister à la bagarre qui semblait désormais inévitable.
« J’vais te faire la fête l’étranger ! »
Yasumasa, encore sujet à l’ivresse, se livrait à des mouvements dégingander, il balayait du regard la foule en quête d’un allié. Seulement, ceux qui riaient avec lui quelques minutes plus tôt étaient très certainement, à en juger par leur expression, les plus excités à l’idée du combat. Le clochard leva alors les yeux au ciel comme attiré par la lumière des lampes puis rabattit mollement son regard sur le géant prêt à en découdre. Le désignant du doigt fébrilement il tint à peu près se langage :
« Hips oh..ok ! Vous voulez du combat tout le monde ! »
« OUAIS »
« Voouuuuus voulez vraiment du combat !!! »
« OUAIIIS »
Alors que la foule hurlait, Yasumasa jugea bon d’en profiter pour s’extirper de la masse humaine et se tirer en vitesse. Manque de bol, il trébucha lamentablement sur une chaise que l’alcool ne lui avait pas fait voir. La foule se tut alors. Yasumasa quant à lui ravala sa salive et se releva en s’appuyant lourdement sur ses genoux.
« Hahaha nan j’déconne haha vous y avez cru hein ! »
La foule se mit alors à rire de plus belle -ce qui, au passage, avait le don d’énerver passablement l’adversaire du clochard-. Notre héros se tourna de nouveau vers la foule.
« Mais avant ! Il faut établir les règles … et les règles sont… »
Aussi sec, Yasumasa qui jusqu’ici donnait l’impression d’être aussi fébrile qu’une feuille en automne, se retourna brusquement direction de son adversaire et sans prendre la peine de terminer sa phrase, il décocha une droite monumentale à un type qui s’effondra sous la violence de l’impact.
« Qu’il n’y pas de règles haha ! »
« Putain abruti…ca fait mal, t’as frappé le mauvais gars couillon…aiie »
// Effectivement, il avait frappé un spectateur//
« Hu ? Ou-ou Ah ouais ?! Bah c’est ta faute ! T’avais qu’à être un bon gars, ce serait jamais arrivé autrement, Hips ! »
Au même moment et sans crier gare, ce fut au tour du géant d’assener un coup de poing sur la joue du malheureux clochard. Celui-ci fut contraint dans un premier de plier le genou. Sa tête lui faisait alors l’effet d’une cloche, il était sonné. Et tandis que ses pensées se perdaient dans les limbes de son esprit étriqué, un vulgaire coup de coude finit par le faire coucher au sol. Croyant sa victoire acquise, « l’ogre » tourna le dos à Yasumasa durant une fraction. Fraction de seconde qui fut amplement suffisante pour permettre au clochard de se relever furtivement et de s’emparer d’une chaise qu’il éclata violemment au niveau de la nuque de son adversaire. Le géant courba l’échine avant de se redresser à son tour et dans un excès de fureur, décocher une droite qui manqua de peu sa cible. En effet, le clochard avait eut la présence d’esprit de se baisser parce que ses lacets étaient défaits. Lors qu’il se releva tout de suite après, sans s’en rendre compte, le sommet de son crâne heurta violement le menton de son assaillant qui, emporté dans son élan, tomba net à la renverse, out. Voici ce qui, curieusement, venait de mettre fin à un des combats les plus épiques qu’ait jamais connu la taverne « A la bonne Vautre ».
Peu de temps après l’incident –soit dans la minute qui suivit-, Yasumasa fut chassé du bar par le tavernier lui-même. Sans réellement réaliser ce qui venait de passer, Yasumasa rejoignit nuitamment et en titubant, la grande route. A moitié ivre et perdu dans ses pensées, il tendait son pouce pour faire de l’auto-stop sans réellement s’attendre à ce que l’on s’arrête pour lui, au plein cœur d’une lande déserte et qui plus est, la nuit.
« Elleuuuh m’a dit d’aller siffler là hauuuut sur la collineuuuh Hips ! … ♫ »