Les nuages s’amassaient à l’horizon, il pleuvrait d’ici la fin de la journée, le crépuscule tomberait d’ici trois bonnes heures. Enfin, de toute manière il faisait toujours relativement sombre dans cet endroit des landes dévastées. Il devait donc se dépêcher de rejoindre une de ses planques dissimulées à des endroits stratégiques avant que la pluie ne se mette à tomber, et vu les nuages, ce serait carrément un orage, et violent qui plus est.
Le maître des oiseaux jura et talonna sa monture qui accéléra le rythme. Dans une petite heure, il serait à l’abri, parce que si le jour, on pouvait voir pas mal de bestioles dangereuses, la nuit, c’était pire, et être dans une des planques d’Harfang était sans doute le meilleur moyen de se trouver en sécurité.
Ils s’agissaient d’abris dont il était l’auteur, des abris de voyageurs, chacun était une sorte d’abri creusé dans la terre, comme de petites cavernes, juste assez grandes pour abriter deux chevaux et le même nombre de personnes atour d’un feu de camp, ainsi qu’une petite provision de bois. Oh, bien sur, rares étaient les fois ou les voyageurs restauraient la réserve de bois, mais il ne perdait pas espoir en la bonté des voyageurs. Il ne faisait pas toutefois assez confiance pour ne pas cacher une réserve de secours.
Perdu dans ses pensées, confortablement installé sur sa selle, il fut tiré de sa méditation par une sorte de tourbillon localisé et le vol d’une créature, une vouivre sans doute, qui s’en allait à tire d’aile. Mais cela ne l’intéressa pas outre mesure. Ces bestioles n’étaient pas téméraires, et une fois blessées assez gravement, elles fuyaient le combat, mais elles n’abandonnaient pas, elles revenaient généralement à plusieurs, et pour quiconque ne le savait pas et restait un moment sur place, c’était généralement mortel, et ce, autant pour les blessés que pour les biens portant. Pour avoir vu les restes d’un de leur festins, tout et n’importe quoi y passait, tant que ça avait de la chair.
Etant donné la peine que la bête avait à voler, il estimait avoir une bonne heure et demie avant son retour, dans le pire des cas, il avait une bonne demi-heure. Il se dirigea donc vers le lieu de la tornade localisée, il fouilla les décombres, il y avait du sang noirâtre, celui de la vouivre, et un autre sang, il le goutta rapidement avant de le recracher, ce sang là était humain. Mais où était le corps ?
Un oiseau de proie, un faucon blanc, fondit vers un coin de l’endroit et vint se poser sur le bras que l’homme tendait devant lui. Accroché à un des serres de l’animal, un morceau d’étoffe. En voyant cela, il émit une série de cris aigus accompagnés de claquement de langues ressemblant à des claquements de bec auxquels le faucon répondit.
Il y avait bel et bien quelqu’un, mais de l’autre côté des décombres, il dut donc faire le tour, pour trouver une jeune femme étendue sur le sol, sans doute inconsciente, serrant dans sa main un instrument semblable à une grande cithare. Vu la flaque de sang, c’était moche, très moche, sans soin, elle ne passerait sans doute pas la nuit, se vidant de son sang, et même si elle survivait, elle mourrait plus tard d’une infection de la plaie. Il ne pouvait pas la laisser là, ce n’était pas humain.
Cette expression le fit sourire, il n’était pas humain mais l’était plus que certains. La mettre sur le cheval ce serait risqué pour sa santé, il préféra alors créer une sorte de civière que le cheval tirerait. Lui il fermerait la marche pendant que son faucon ouvrirai la marche. Mais des battements se firent entendre. Trop tard. Dans ce langage spécial qu’il utilisait pour lui parler, il glissa la bride dans les serres fermées du faucon et déposa ses vêtements sur la jeune fille, la forçant à lâcher la cithare étrange, pour la garder au chaud, se retrouvant en caleçon dans les plaines pendant que sa jument suivant docilement et aussi vite que possible sans risques pour sa passagère. Il éviterait ainsi de déchirer ses vêtements en se transformant.
Il voyait distinctement les créatures approcher, au nombre de deux, la plus grosse était blessée, l’autre de carrure inférieure venait pour venger le blessé. Ce ne serait pas facile. Il banda son arc et lâcha autant de volée de flèches qu’il put, visant les membranes de leurs ailes pour les déstabiliser. Une fois qu’ils furent trop près pour qu’il puisse décocher plus de deux volées, il posa l’arc et étendit les bras, peu à peu, il se sentit grandir, ses plumes faisant de même, se transformant en une sorte de faucon gerfaut géant. Un oiseau de proie de près de quatre mètres cinquante d’envergure. D’un point de vu taille il semblait plus proche d’un roc que d’un faucon, mais il restait distinctement un faucon, un maitre des cieux, harcelant les deux vouivres réduisant la membrane de leurs ailes en charpie.
Quand les vouivres rompirent le rang, il chercha à crever les yeux de ces saletés avant qu’elles ne fuient. Il récupéra entre des serres son arc et ses flèches, ainsi que l’étrange cithare à laquelle la jeune femme semblait beaucoup tenir, puis se dirigea vers le camp ou il avait envoyé le faucon et sa monture.
Relativement épuisé par la lutte, il prit néanmoins la peine de faire un feu, de faire chauffer de l’eau et y mettre des bandes de tissu qu’il prit dans une sacoche de selle en même temps qu’un petit nécessaire d’herbes dans de toutes petites bourses. Il en mit quelques unes dans l’eau chaude, le tissu désinfecterait ainsi la plaie. Il posa aussi son manteau de voyage à coté de l’âtre pour le réchauffer.
Maintenant, il était en position délicate, il devait nettoyer la plaie et pour ça, étant donné l’emplacement de la blessure, lui retirer le haut, mais dans ce genre de situation, on se retrouve forcé d’agir ainsi. De sa dague, il déchira le vêtement, il ne pouvait pas risquer un mauvais mouvement pour le lui retirer délicatement. A l’aide des bandes de tissu, il désinfecta la plaie et lui banda l’abdomen, remontant volontairement plus haut pour ne pas la mettre mal à l’aise et cacher ses atouts dont la nature l’avait gâtée. Il la rallongea confortablement sur la civière et la couvrit de son manteau bien chaud. Ses plumes et la proximité du feu lui suffirait largement, la fraicheur de la nuit ne le tuerait pas, et au pire, il dirait se caler contre sa monture pour rester au chaud. Mais il préférait rester éveillé, pour surveiller. Il partirait chercher de quoi les nourrir à l’aube.