[Désolée pour l'attente, panne d'inspi brutale et un peu longue pour poster ici.]
En fait, si Andrea appréciait les joutes verbales, elle ne trouvait aucun plaisir à se disputer avec quiconque. Cela l’ennuyait profondément de devoir expliquer que selon elle, elle avait raison. De toute façon, qui pouvait bien ouvrir la bouche avec la certitude de dire n’importe quoi ? Andy sentait bien que ses reproches étaient fondés, mais l’ennui était que ceux de l’autre aussi. Et cela virait immanquablement à la dispute, pitoyable, un peu comme deux gamins qui se cherchent des failles et attaquent dès qu’ils croient en avoir trouvé une. Ridicules, Andrea et son interlocuteur discutaient sur un sujet qui n’avait aucune espèce d’importance. Certes, c’était lui qui l’avait apostrophée. Certes, elle était de mauvaise humeur ce soir-là, tout particulièrement. Mais, si elle n’y pouvait rien d’adopter une attitude de repli, de défense et de méfiance, il ne pouvait pas non plus se reprocher de l’avoir simplement abordée. En d’autres circonstances, Andrea lui aurait sans doute gentiment demandé de la laisser seule à son sort et de passer son chemin. Oui, c’est sans doute ce que la jeune fille aurait fait en temps normal.
Mais pas ce soir, parce que ce soir n’était que le prolongement d’une mauvaise journée, n’était que promesse d’une immense solitude dans son lit, les yeux grands ouverts fixés sur le plafond. Elle se voyait déjà, incapable de dormir comme de faire autre chose, attachée moralement à son sommier sans parvenir à mettre à profit ces heurs où le sommeil ne venait pas. Pour faire quoi, de toute façon ? Andrea ne pouvait que passer le temps dans les bras d’autres hommes, se fondre dans une grouillante masse impersonnelle qui lui permettait de ne pas se définir. Qui lui permettait de s’oublier, l’espace d’une soirée. Et finalement, c’est sans doute ce qui allait advenir, encore, aujourd’hui. Aussi la jeune fille ne répondit-elle pas, gardant toute remarque acerbe en son for intérieur et passant avec une diligence un peu forcée sur ses reproches. Après tout, lui aussi semblait s’en détacher. S’il voulait vraiment avoir le dernier mot là-dessus et finir cet échange qui avait pour le moins envenimé les choses entre eux, eh bien soit. Andy était bien au-dessus de cela, et cette maigre victoire ne comptait pas vraiment dans la balance.
Victoire, parce que les relations humaines sont un combat éternel, immensité du champ de bataille prêt à livrer plusieurs affrontements, sans relâche. A celui qui cède du terrain en premier, à celui qui se rend. Et pour cette fois, Andy déposait les armes. Ça ne servait à rien, sinon à l’énerver d’autant plus. Sans doute son interlocuteur la prenait-elle pour une gamine effrontée et têtue, mais c’était un plaisir de le faire mentir, juste par satisfaction de savoir abandonner quand la partie n’en valait plus la peine. Et, alors qu’Andy s’apprêtait à tourner les talons après lui avoir lancé un signe de tête, peut-être une parole, l’homme en face d’elle devança tout mouvement et lui saisit l’avant-bras de façon assez énergique, mais pas brutale, ce qui la convainquit de ne pas se dégager immédiatement. Histoire de voir ce qu’il lui voulait, tout à coup. L’explication arriva d’ailleurs bien vite, et il lui intima de rester calme et de regarder derrière elle. Ce qu’elle fit, dans un geste assez évident de remettage de cheveux en place. Un mouvement de tête ample, pourtant naturel chez une fille à la longue tignasse, qui lui permit d’apercevoir du coin de l’œil un groupe peu avenant qui les suivait.
Ainsi donc, il tentait de la protéger. Andrea lui aurait bien répondu qu’elle n’avait strictement rien à faire de ce qui lui arrivait, mais sans doute était-ce un concept un peu compliqué à comprendre. Sans réticence, elle se calqua donc sur le rythme de son accompagnateur et ne répondit pas à son avertissement. Que dire ? Le remercier de l’avoir prévenue ? Ce ne serait que pure politesse et Andy n’en était pas une amatrice des plus dévouées. Ils longèrent le bâtiment en silence, seul le vent qui soufflait dans les allées étant responsable du bruit qui les entourait. Puis, après quelques instants, il reprit la parole.
- Bon, pour en revenir à ta question, enfin celle que tu voulais me poser. Serait-ce vraiment à propos d’un logement pour la nuit ?
Andy faillit décliner la proposition qu’elle voyait venir à quelques kilomètres à la ronde, pourtant ce n’était pas dans ses habitudes. Elle avait trois solutions : aller à la rencontre du groupe qui les suivait et passer une soirée au moins inhabituelle, bien qu’elle ne soit sans doute pas agréable. Sans doute, puisque la jeune femme n’en aurait aucun retour émotionnel. Mais bon, ce n’était pas forcément une bonne idée de se jeter dans la gueule du loup affamé simplement pour ressentir quelque chose, tenter de réveiller une peur ou un dégoût trop longtemps oubliés. La seconde, rentrer chez elle et voir encore le même cinéma. Son père se lamentant de son inactivité, sa belle-mère gloussant et piaillant en préparant un diner qu’elle avait fait livrer. Et son frère, ou plutôt demi-frère Seiji qui la regarderait tendrement, n’attendant qu’une chose : que cela cesse. Eh bien ce soir, Andy n’avait pas envie. Cela lui était indifférent, mais de temps à autre survenait un sursaut de lucidité qui la faisait préférer l’inconnu et le hasard à tout autre chose. La jeune femme, laissant son bras épouser celui de son guide, fit mine de ne pas remarquer la proéminence sur le côté du buste de ce dernier. Il avait ses raisons, ses affaires, elle ne voulait pas savoir. Tout comme elle ne comptait pas parler d’elle-même à un inconnu. Et puis, ce n’est pas comme si elle craignait quoi que ce soit, bien que son corps frissonne sous le coup de l’adrénaline que son organisme produisait suite au groupe qui leur emboitait le pas. Andy finit par soupirer et lâcher le morceau, après tout c’était la décision qu’elle venait de prendre, impulsivement.
- C’est ça, j’allais me résoudre à dormir sous un pont mais manifestement ce n’est pas la meilleure idée qu’on pourrait avoir vu ce qui traîne dehors. Bon, allons-y. Je ne sais pas où, mais allons-y.
Voilà, c’était dit. Et s’il fallait que le destin décide de l’emmener bien plus loin, eh bien Andrea suivrait avec obéissance. Après tout, son corps commandait tandis que son esprit était en état de veille la plupart du temps, la laissant errer dans les rues ou dans les bras de divers inconnus. Un de plus, un de moins, ce n’était rien.