Quand guerre rime avec discorde (Pv Eris)

Le ténébreux cavalier s’était rendu sur l’un de ces lieux de passages où il pouvait entrer en contact avec la divine. Une ville détruite, il se rendit jusqu’à l’église  en ruines. Sa haute silhouette avait sillonné dans les rues mal pavées, ombre ténébreuse qui s’était risquée dans le bâtiment plus par devoir que par un réel désir de piété.
 Il gagna la lourde porte d’entrée sans mal. Grincement sonore, arrivée triomphante, l’entrée céda sous son initiative et il put pénétrer dans ce lieu de culte, emblème de la foi ardente de la région. Ses yeux vifs et blancs détaillèrent l’architecture grandiloquente, hauts plafonds peints, colonnes imposantes, vanités des fresques, l’hommes’avança plus profondément dans cette grotte emplie d’un profond silence.
Franchissant une à une les rangées de bancs qui prenaient place devant lui, il remontait le cours de cette nef, cette rivière incessante qui s’étalait devant lui pour arriver à l’autel synonyme de chutes, son pas se faisait leste et élancé, tintant dans une douce cadence propre à sa personne son arrivée en ces terres saintes. Sa stature fière et orgueilleuse drapée du plus élégant des costumes écarlates lui donnait des allures d’ange, à moins qu’il ne soit rien d’autre qu’un démon ? L’avait-on remarqué ? Avait-t-on aperçu cet ange à la crinière fauve, ce monstre d’orgueil qui se laissait aller à son bon plaisir du moment ?
Ses pas le menèrent tout près de l’autel, ses menottes se saisirent d’un cierge et bientôt une flamme dansante des plus virevoltantes se présentait devant le petit édifice de pierre.

"Reine du carnage, de la fureur et de la passion. Une ville de plus est tombée sous ton nom. Je t’invoque, moi, ton fidèle serviteur… »

Un genou à terre, l’indocile se plia à la venue de la délicieuse dans ce monde qui n’était plus que carnage et sang. Lui ferait-elle l’honneur de se montrer et de lui apparaître ?

Le tartare... LE royaume de Chaos d'Eris. Entièrement à son image, fluctuant et instable, aux plaines de sable infinies, aux tornades jamais interrompues, aux secrets encore jamais percés à jour... Sauf par la maîtresse des lieux, bien évidemment.
S'aventurer dans le tartare sans moyen d'en sortir est... Insensé. On ne peut pas dire que c'est suicidaire puisqu'Eris ne s'abaissera jamais à tuer de sang froid un être humain, voyons, mais si vous veniez à passer les portes de son royaume, il est certain que votre raison y resterait s'il vous était offert la chance d'en repartir.
Sous les sables, ruines de citées détruites et armées d'outre-tombe au repos dorment, parfois révélés par les aléas de la mer de sable qui tient lieu de sol. Et chaque destruction, chaque armée vaincue grossi ce patrimoine dont la déesse du Chaos se repaît avec délectation. Rien n'est plus amusant pour elle que de voir son royaume garnit d'un nouvel édifice.

Et la déesse, elle, "vit" ailleurs. Elle, elle vit dans les étoiles. Au coeur des constellations du scorpion et de ses soeurs, qu'elle peut modéliser en monstres pour répandre la terreur et le chaos à son bon vouloir. Tout comme elle ne manque pas de ressources pour déchaîner les forces de la nature. C'est une déesse majeure après tout, la discorde ayant lieu partout, dans le coeur de chacun, à tout instant. Que ce soit dans celui d'une femme bafouée, dans celle d'un enfant jaloux... La discorde était partenaire de colère et de haine, mère même. Ses enfants, qui lui apportaient tant de joie... Elle allait d'ailleurs sur le point de se pencher sur le cas des mortels lorsque l'appel de son valet retentit dans son royaume. La question se posa de lui apparaître ou pas... Les yeux blancs de la déesse se levèrent au ciel et elle disparu de son royaume...

... Pour reprendre consistance à partir de la fumée de la bougie. Elle fut soufflée et les deux créatures mythiques furent plongées dans l'obscurité, Eris acceptant de faire l'honneur au chevalier de lui apparaître sous sa forme "naturelle", celle humanoïde. Un sourire étira ses lèvres charnues.

"Guerre... Combien de fois devrais-je te répéter de ne pas m'invoquer?"

Elle se dressa de toute sa superbe devant son valet et toute trace de sourire disparu.

"Je ne suis PAS à ta disposition..."

Sa voix retentit, puissante et dure, menaçante, faisant trembler les murs de l'édifice dans lequel ils se trouvaient à même ses fondations. Elle s'adoucit cependant par la suite, ses orbites vides se vrillant que le cavalier.

"Cependant... Tu as fait un travail tout à fait remarquable avec cette ville... De ce fait, je crois que je pourrai peut-être t'accorder une faveur."

Elle avait bien dit "peut-être". Et il fallait se méfier des "faveurs" d'Eris, car si elles n'étaient pas de son goût, elles pouvaient vite se retourner contre le demandeur...

Une volute de fumée, une arabesque de chimère et la divine fut bientôt devant lui. N’était-elle pas superbe ? N’était-elle pas la plus grande ? Les pupilles blanches toutes aussi opaques que celles de la déesse s’ouvrirent en grand alors que la capricieuse lui faisait l’honneur d’apparaître devant lui. L’étonnement passé, il demeura agenouillé devant elle, ne croisant le regard étincelant sans la permission de sa dame. Il était son chevalier, son cavalier qui répandait le chaos sur terre et sur les flots.  Bientôt la voix caverneuse de sa bête se fit entendre pour répondre à ses dires.

« Discorde…Je suis las de ces combats dans le Nexus, il n’y a aucun défi, aucun challenge… Les mortels sont faibles, d’une faiblesse sans commune mesure. Il suffit de fermer la paume de ma main pour que je broie leur os et que le sang coule. Les villes tombent l’une après l’autre et le chaos insufflé n’est plus que désespoir et perte. Il n’y a aucun plaisir, s’il n’y a aucune résistance…. Ne pouvons-nous pas aller défier les autres dieux… Ton frère Arès, par exemple ! Ou encore les enfers ! »

Sous ces dernières paroles, une vague de colère l’avait envahi à la prononciation du dieu de la guerre.  N’était-il pas le maître d’un autre cavalier de l’apocalypse, l’un de ces semblables ? Et doucement, la silhouette encapuchonnée se releva pour faire face à sa maîtresse.  Les prunelles luisantes se rencontrèrent, s’affrontèrent pour se sonder et comprendre le rouage de leurs pensées.

« Je suis ton épée… Ordonne moi… et je m’exécuterai…Mais tu m’as demandé une faveur… La voici… Je veux que tu combattes à mes côtés dans le sang et le carnage comme autrefois lors de mes premières batailles… »

Subrepticement la main du mâle s’avança vers le visage de poupée de la délicieuse. Les doigts effleurèrent ce visage d’ivoire avant de se retirer et l’homme détourna le regard, vaincu dans sa dignité et blessé dans son orgueil par son simple geste.

Quelle impudence de la part d'un cavalier! Quelle ignominie que d'oser proférer de telles paroles! Eris était outrée... Et écœurée. Ses yeux virèrent au noir, signe avant-coureur d'une intense colère. Elle s'évapora en une volute de fumée pour mieux réapparaître dans le dos du malheureux cavalier, le bras armé d'un fouet. Fouet qu'elle fit claquer sans la moindre espèce de remords sur le dos de son valet. Les murs de la chapelle en ruines s'écroulèrent, une tornade de sable encercla les fondations et avant même que le pauvre erre n'ait eu le temps d'esquisser le moindre mouvement, ils étaient au cœur du Tartare, soumis aux règles établies par l'unique déesse de la discorde.

"Mais pour qui te prends-tu?"

Plus puissante et plus menaçante que jamais, la voix de la déesse résonna de toutes parts, agressant les oreilles du cavalier. Froide, incisive, colérique.

"Te crois-tu donc si supérieur à mon propre frère? Me crois-tu si indigne de mon propre sang? Arès t'a engendré, créature! Un peu de respect pour la personnification de ta fonction!"

Le fouet claqua de nouveau, aussi dur et douloureux que sa première manifestation, et puis la tempête se calma. Le sable retomba en petites particules dorées, et les dunes reprirent leurs lentes crues et décrues. Quant à Eris, elle n'était plus derrière son fidèle cavalier. Elle lui reparut de face, arborant toujours ces vêtements de cuir si indécents. Une main sur la taille, apparue à quelques pas de lui seulement, c'est d'une démarche féline qu'elle l'approcha. Sa main se hissa négligemment et le corps de War fut soulevé afin qu'il lui fasse face, l'index de la déesse près du menton relevé du cavalier.

"Je ne combats pas... Je laisse ce soin à mon frère. J'aime que les hommes s'autodétruisent d'eux-mêmes et engendrent la force de mon frère. Si tu n'as pas compris cela, c'est que tu n'as rien compris aux moeurs qui me plaisent et m'animent."

La furie avait éclaté et voilà qu’il se trouvait au cœur du Tartare en compagnie de Discorde. Ce n’était pas la première fois qu’ils se chamaillaient  même si ces gamineries avaient souvent raison du cavalier de l’apocalypse. Tremblant, elle le redressa tel un pantin, il n’était qu’une marionnette entre ses mains, un jouet entre ses doigts. Son corps était mutilé de ces simples coups de fouet. Du sang s’écoulait d’entailles profondes au niveau de son torse délicieusement sculpté.  Puis l’odieux, l’orgueilleux se permit une nouvelle intercale qui la mettrait sûrement plus en colère encore qu’elle ne l’était. Alors qu’elle était proche en cet instant, les lèvres de l’homme se saisirent des siennes, sa bouche s’empara avec force de la sienne, sa langue venant chercher celle de sa consœur pour jouer avec elle. Pitoyable technique que voilà ! Depuis combien de temps, ne l’avait-on pas embrassé ?! Quel homme avait réellement osé faire cela ?! Puis la bouche se retira comme elle fut venue…

« Mes propos t’ont offensé et mes actes risquent de te faire entrer dans une rage folle… Pourtant… Pourtant, je n’ai que faire d’Arès, je n’ai que faire des autres dieux, je suis à ton service… Depuis la nuit des temps, j’ai besoin de toi… Discorde… »

Occultant ses paupières, il s’attendait à recevoir le coup de grâce, à se faire tuer et déchiqueter par l’infâme ! Il était résolu à son destin, ce n’était que fatalité, il ne se réincarnerait pas comme il était une créature de l’ombre. La mort était proche, son frère devait rigoler… Le tuerait-elle, prendrait-elle sa vie ?

Elle qui croyait que son cavalier n'oserait jamais pousser son fanatisme plus que de raison... Voilà qu'il dépassait les limites du raisonnable, avec une totale impunité! La langue qui s'immisça dans la bouche de la déesse, ô combien intrusive, fut durement mordue. A sang, Eris n'y alla pas de main morte, et il y avait fort à parier que si le cavalier n'avait pas eu l'ingénieuse idée de la lui retirer, une nouvelle attaque des dents de la déesse l'aurait sectionnée sans pitié. Mais contrairement à ce qu'il supposait, son visage n'exprimait pas la moindre colère. Le mouvement de sa main s'inversa par rapport à son geste précédent, et le cavalier se retira attiré vers le sol, comme si son armure pesait bien trop lourd pour lui. Certes, il y avait longtemps qu'on ne l'avait pas embrassé, que personne ne s'était risqué à cela, et Eris comptait bien récompenser l'audace du cavalier. Mais pas avec ses propres charmes.

Les confessions du mâle ne semblèrent lui faire aucun effet. Elle continuait de le fixer, avec une expression insondable du fait que ses yeux étaient dénués d'orbites.

"Je vais remédier à cela très vite..."

Toujours aussi indifférente en apparence, elle passa sa main au-dessus du cavalier d'un geste nonchalant.

"Je viens de rompre l'engagement qui te liait à moi. Tu es libre de tes mouvements, fais ce que tu souhaites, j'en ai fini avec toi."

Cela dit, ses doigts s'ouvrirent et le corps du cavalier ne fut plus dans le Tartare, mais dans les temples de sa soeur, la déesse Aphrodite. Il prendrait du plaisir avec ses prêtresses et laisserait la déesse en paix. Avait-elle l'air d'être une peluche de laquelle on peut disposer? D'une femme comme une autre peut-être, que l'audace seule suffit à conquérir? Eris était un défi, un défi que même les Dieux ne parvenaient à relever. Alors un cavalier de l'apocalypse...? Soyons sérieux. La déesse aime bien trop son indépendance pour la compromettre avec de vénaux et inutiles sentiments... Un coeur de pierre? Plutôt dénuée de coeur... Voilà pourquoi il était si difficile de stimuler son intérêt...