Le silence.
Voilà tout ce qui répondit aux remarques précédentes de Nicolas. Son interlocutrice affichait une mine indéchiffrable, complètement neutre. Elle l'avait écouté sans l'interrompre, sans hausser un sourcil durant l'intégralité de son questionnement. La jeune femme resta ensuite de longues secondes à le regarder, semblant parfois indécise, parfois perplexe. Lorsqu'elle voulut enfin briser cette ambiance où seules leur respiration se faisaient entendre, ce ne fut pas des mots qui sortirent de sa bouche, mais un éclat de rire. Elle-même ne l'avait pas prémédité, il était partit tout seul, phénomène plutôt insolite étant donné que son amusement était rare. Lui tournant le dos, elle fit quelques pas dans la pièce afin de reprendre rapidement le contrôle de ses émotions. Son rire n'avait rien de sarcastique, il était léger, cristallin, bien qu'un peu difficile à cesser pour l'ange dans le cas présent. Une fois sa légère euphorie calmée et sa respiration retrouvée, elle tourna de nouveau le visage vers le jeune homme, les joues légèrement rosies, encore souriante.
- Hm, désolé je ne voulais pas me montrer impolie. Mais, vraiment, vos mimiques étaient exagérées!
En fait, elle ne s'était pas moquée de lui, ou, du moins, pas directement. L'objet de sa mince hilarité provenait du "spectacle" qu'il lui avait donné. Depuis leur rencontre de la veille, le visage de Nicolas n'avait été, pour elle, que peu expressif si on mettait de côté le passage avec les Terranides. Elle l'avait souvent vu afficher une expression narquoise dans laquelle des yeux rieurs prenaient un malin plaisir à s'amuser de la situation. Les attitudes secondaires qui lui avait été donné d'apercevoir étaient brèves, peu nombreuses, mais sincères.
Et soudainement, voilà qu'en moins de cinq minutes il avait abordé trois prestances, visiblement bien travaillées, et quasiment à la chaîne! Allons bon, cela relevait du comique. Qu'il recommence à l'occasion, elle ne serait pas contre.
- Bon, passons. Il me semblait que le sujet des Terranides était clos, pourquoi revenez-vous encore là dessus? Je pensais avoir été claire.
La première chose qui l'interpella fut la mention de sa race. Il était vrai qu'elle ne lui avait fourni aucune explication, elle lui avait simplement montré ses attributs divins. Cette démonstration lui avait pourtant semblé bien plus frappante et plus explicite que des mots, mais elle n'avait sans doute pas songé à toutes les éventualités. Qu'elle fasse partie des Terranides à cause de ses attributs? Ce n'était pas absurde comme hypothèse. Elle connaissait les Terranides de la famille des félidés, des canidés voire même des rongeurs. Maintenant l'anatomie exacte d'un potentiel hybride mi-oiseau mi-humain lui était complètement inconnue. Des ailes devaient apparaître sur le tableau, oui sans doute, c'était d'ailleurs le plus logique. Maintenant était-ce vraiment tout? Peut-être une physionomie différente au niveau du visage et des jambes, rappelant plus un bec et des pattes de rapaces? Pffiou, qu'est-ce qu'elle pouvait en savoir bon dieu? Elle n'avait pas étudier les peuples de Terra! Survoler quelques ouvrages les concernant, sans plus.
Elle acquiesa par rapport à son doute. Comment lui prouver qu'elle était vraiment ce qu'elle prétendait être hein? Haha! Heu là ça coincait plutôt en fait.
Rubis prit le temps de réfléchir un moment. Elle ne pouvait pas prétendre être un Seraphin, non seulement il lui manquait deux paires d'ailes pour accéder à ce titre, mais sa faculté était complètement contradictoire avec la leur. Si on surnomait cette catégorie d'anges "les brûlants" ce n'était guère pour rien!
Elle n'avait, non plus, rien de semblable avec un Chérubin, souvent doté d'une couleur bleutée représentant les cieux et, argument non négligeable, ceux-ci étaient ni plus ni moins des angelos!
Dans la hierarchie de la cour Céleste, Rubis était affectée dans la troisième triade, celle chargée au plus près des hommes, dominée, d'une part, par les Archanges. Les anges de cette catégorie étaient tous différents, rien ne pouvait vraiment les distinguer sauf peut-être lors du cas du statut d'ange gardien. Encore une fois, rien ne lui correspondait. Qu'elle plaie! Comment voulez-vous être crédible? Elle tenta néanmoins de donner un brin d'explications à Nicolas en soupirant.
- J'avoue. Rien ne vous juge apte à avoir une confiance totale dans mes dires. Je n'ai, d'ailleurs, pas de preuves à vous donner à ce niveau, j'en suis moi-même affligée. Cependant, même si je le voulais, je pense que cela ne serait pas dans mes moyens. Ce que vous voyez, ce n'est pas moi ou pas tout à fait. Je... J'ai un corps humain. Je ressens la chaleur mordante, la douleur stridente, la faim dévorante, le sommeil pesant... Tout cela était purement irréel pour moi avant. Ce corps est juste un artifice qui me permet de faire ce à quoi je suis vouée ici. Je ne reprendrai ma forme originelle que lorsque j'en aurai terminé.
Elle haussa les épaules, lasse.
- Maintenant, jugez-moi comme bon vous semble. Imaginez-moi ange, terranide colombe ou... ou ce que vous voulez! Peut m'importe. Tout à l'heure, vous m'avez demandé d'être sincère, je l'ai été. Maintenant, tirez les conclusions que vous voulez.
Pour ce point, au moins, c'était clair. Maintenant, elle avait une deuxième et dernière chose à débattre. Elle avait compris que parler des Terranides était surtout le moyen de Nicolas pour la détourner de ses suppositions par rapport à sa "nature". Si, pour lui, il s'agissait d'une conjecture, pour Rubis ce n'était ni plus ni moins une certitude. Elle voulait l'entendre de sa bouche, elle s'était apparemment leurrer. Le jeune homme ne le lui dirait pas. Ce n'était pas un problème. Pourtant, elle avait l'impression d'avoir blesser son hôte dans son amour-propre. Ne voulant pas rester dans de mauvais termes, elle se justifia de nouveau, levant doucement les mains en signe d'apaisement sur le sujet dans lequel elle allait de nouveau entrer.
- Vous savez, il y avait d'autres manières de me dire que vous ne désiriez parler de votre... comment pourrais-je appeler ça sans que vous me jetiez une pierre? Particularité disons. Me mettre sur une autre piste afin de m'embrouiller dans mon raisonnement était inutile. Je ne tenais pas du tout à me plonger dans votre intimité loin de là. J'espère ne pas vous avoir donné cette fausse interpretation de mes intentions.
Elle marqua un léger arrêt.
- Je pense que nous sommes partis du mauvais pied tous les deux.