Je n’hésitai pas à suivre Melisende après qu’elle ait demandé à nos enfants d’aller jouer dans le jardin. Je leur aie adressé un dernier « au revoir » de la main, et je la suivis docilement, le cœur plein de tendresse pour elle. Je n’aurais pas voulu être ailleurs, à ce moment-là. Je voulais être à ses côtés, maintenant et à jamais. J’avais besoin d’elle, et elle était la dernière chose qui me tenait loin de la folie meurtrière qui criait vengeance au fond de mon cœur. J’aurais voulu embrasser la jeune et belle demoiselle, mais elle m’avait trainé avec elle au travers de sa demeure, et donc, elle était impossible à enlacer. Mais alors qu’agilement, démontrant une souplesse de l’habituée, elle se déplaçait au travers d’une jungle ressemblant étrangement à un parcours d’obstacle, je m’amusai à la rattraper, à coller nos corps l’un contre l’autre, un sourire amusé sur les lèvres, essayant d’embrasser les siennes, chose que je parvenais à faire une fois sur deux. Autour de nous, je voyais le décor changer, la jungle laissa place à un énorme jardin de fleurs, où se trouvait un réservoir aquatique. Je détaillai ma compagne d’un regard amoureux alors qu’elle se déshabilla, d’un geste langoureux, son vêtement glissant de son corps soulignant les formes voluptueuses qui étaient les siennes. Son sourire, si charmeur, si tentant, qu’elle m’avait adressé, avant de plonger dans l’eau, ne me laissa aucun choix; il fallait que j’aille la rejoindre. Je défis les boutons de ma tunique, qui tomba sur le sol, puis j’enlevai mes bottes et mon pantalon, ainsi que mon sous-vêtement, puis je lui accordai un sourire. Roi ou dieu, rien n’aurait pu m’ordonner, ou simplement m’empêcher de rejoindre cette nymphe, et d’un bond, je plongeai dans ce liquide revigorant, mais dès que j’entrai en contact avec lui, des souvenirs d’un autre temps, un temps ancien, me revint en mémoire.
Je vis alors une belle jeune femme, oh, moins attirante que Melisende, mais juste à voir son corps, éternellement assoupi, enfermé dans le cristal, je sentais mon cœur battre la chamade, et son visage était doux, tendre, et je savais que si elle me regardait, son regard serait aimant. Qui était cette femme? J’avais son nom au bout de mes lèvres, car je la connaissais, je l’avais placée là moi-même, cette femme qui avait contrôlé mon cœur dans une autre vie, dans cette autre existence qui fut la mienne. Un autre souvenir s’imposa à moi; cette même femme, avec un ventre tout rond, avec un sourire ravissant. « Kamui, regarde! Je suis enceinte! » S’était-elle exclamée, rayonnante. Je tentai de la rejoindre, savoir qui elle était, mais à ma place, c’était un homme blond, aux yeux bleus ciel, qui avait l’air à la fois doux et sage, un homme bon. Il s’était agenouillé devant la jeune femme et lui avait embrassée les mains, l’air heureux, comblé. C’est alors que je compris le temps qui avait passé entre moi et ma dernière immersion dans une grande quantité d’eau. Une vie me séparait depuis cette baignade, et enfin, alors que ce dernier souvenir passa, je pus remonter à la surface, pour voir le visage doré de la belle Melisende. Et les palpitations de mon cœur s’accélérèrent encore une fois. Elle me semblait encore plus belle, encore plus invitante, séduisante. Simplement la serrer dans mes bras était un péché si tentant que Dieu n’aurait rien à me proposer, pas même mon salut, qui aurait pu me pousser à me cesser d’aimer cette créature qui incarnait, à un niveau bien supérieur à celui des succubes, la tentation, la séduction et la tendresse.
À la nage, je me rapprochai d’elle puis je viens lui saisir le bassin pour la rapprocher de moi, et je lui volai un tendre baiser, serrant son jeune et magnifique corps contre le mien, forçant le passage de ses lèvres de ma langue pour caresser la sienne, vibrant de tendresse, même d’amour. Je ne voulais pas être séparé d’elle, et pourtant, je n’arrivais pas à faire taire mes doutes à son égard, même si je ne voulais pas croire à la possibilité qu’elle puisse m’avoir fait un coup monté. J’avais bien trop envie d’être heureux, de vivre dans la paix, pour une fois que je suis loin d’une arme, loin d’un parchemin à remplir, loin d’un monde à gérer, n’ayant besoin de me soucier que du bonheur de ma famille, cette famille que je n’ai pu voir grandir, cette famille que Mélisende avait créée pour moi. Maintenant que j’y pense, que ce soit un coup monté ou non, je n’avais pas envie de le savoir, je voulais simplement me reposer dans ce petit paradis, et m’abandonner à ce rêve illusoire, un moment, juste un petit temps, pour ne vivre que pour moi, juste une fois. Quel mal y avait-il à être heureux après avoir consacré sa vie à s’occuper des petits soucis du quotidien des autres? Oui, c’était égoïste, et il avait un devoir envers ces gens, mais était-ce vraiment tout ce à quoi il devait faire face? Au malheur pour soulager les autres des leurs.
Je caressai la joue de Mélisende puis je posai doucement mon front contre le sien. Méritais-je de vivre à ses côtés, que ce soit pour un temps ou pour toujours? Je ne miserais pas sur l’éternité, car déjà, rares étaient les humains qui supportaient un congénère plus d’une dizaine d’année, et dans notre cas, puisque la haine et la colère étaient des sentiments que nous devions bannir pour éviter la folie, notre couple pourrait durer au moins une trentaine d’année, puisque nous étions à l’abri du temps. La vie des hommes était courte, et ils n’avaient pas le temps pour la haine, alors que nous, nous avions des millénaires pour organiser notre vengeance, et nos vengeances pouvaient être encore plus terribles que celles d’un roi en colère.
Plein de tendresse à l’égard de cette belle demoiselle, je murmurai un léger sort pour que l’eau, sous mes pieds, devienne solide, puis je la pris par les cuisses, souriant.
-« Je ne sais pas combien de temps tu seras dans la capacité de me supporter, moi et mon irascible caractère, mon amour… » Dit-il avec toute la douceur que méritait ce moment d’intimité entre compagnons. « Mais j’espère que tu seras heureuse à mes côtés, même si nous devrons parfois nous disputer pour des raisons qui nous paraîtrons à chacun futile. »