Quand un clodo rencontre une nana. [PV : BlueDream]

« Une chanson qui va te rendre dingue, dingue, dingue, dingue, dingue, dingue, dingue, dingue, dingue, dingue avec des paroles dingue, dingue, dingue  ♫ »

C’est avec un brin d’insouciance non dissimulé que Yasumasa poussait la chansonnette au beau milieu d’un endroit pourtant peu propice à ce genre d’activité. En effet, sans en avoir vraiment conscience, l’instinct de notre clochard l’avait poussé à emprunter le chemin des bas fonds. Devenu tristement connu comme étant le théâtre des ignominies les plus infâmes, ces terres accueillaient en leur sein des monstres de la pire espèce. Anthophages, sociopathes, assassins, autant de criminels que l’obscurité ambiante de ce lieu attirait. On ne pouvait pas descendre plus bas que les bas-fonds. C’était une certitude. La décadence de l’endroit était telle que l’on prétendait que l’air que l’on y respirait n’était que poussière. L’odeur des quelques cadavres en putréfaction venait se mêler à un étrange sentiment de désespoir à la vue des bâtisses insalubres qui composaient le quartier de la ville par lequel Yasumasa était arrivé.

« Bordel ça schlingue par ici ! »

En parlant du pauvre, voilà que l’on en voyait la tignasse. L’air presque incrédule, c’est avec une pointe de scepticisme que ses yeux fixèrent la ruelle fantôme dans laquelle il se trouvait. Pas un chat, si ce n’est un amas de sacs poubelle entreposés de-ci et là. Très certainement n’allait-t-il pas emprunter ce cul de sac, l’homme entreprit tout de même de subtiliser les sacs qu’il fixa par la suite au-dessus de son épaule. Peut-être trouverait-il en ceux-ci de quoi faire son bonheur, il n’en avait aucune idée et se contentait machinalement d’en transporter la charge. Pareillement au père noël, c’est en pleine nuit que Yasumasa jugea bon de mettre fin à son périple. S’arrêtant vers le point d’eau le plus proche, il y passerait la nuit avant de poursuivre son chemin lorsque l’envie lui en prendrait.

« Alors alors j’espère que y’a du bon dans ces sacs, m’ferait chier d’avoir porté tout ça pour des pin’s… »

C’est vulgaire et rustre, c’est du Yasumasa.

Il n'existe aucun refuge dans un monde comme celui-ci, même si elle continuait de chercher son havre de paix. Perdue, sans souvenirs ni but, elle ne faisait que vivre comme une animale, à se servir de ce qu'elle trouvait et ne pas savoir quoi en faire, ou du moins pourquoi l'utiliser, sinon vivre ? Une vie sans destin, elle commençait à sentir que c'était trop... Vide pour elle. Vivre seule, recluse, ce n'était pas comme ça qu'elle avait été crée.

Sa vie devait être plus entourée, pas seule. Elle savait que si elle continuait à vivre dans cette solitude elle ne survivrait pas longtemps mais... En qui offrir sa confiance ? Vers qui se tourner ? Tout ici était source d'angoisse, de méfiance. L'espace ouvert n'était pas pour elle, elle était seule dans sa quête d'eau et d'une communauté qui l'accepterai... Mais comment trouver ? Où aller ?

Des questions qui ne pourraient être répondues qu'en tâtonnant, en se mettant au risque... Il fallait qu'elle se lance, un jour, si elle voulait survivre de toute manière. Cachée dans les plus pires endroits sur cette planète, elle était sûre au moins que personne ne la remarquerais dans un décor aussi lugubre. Personne n'avait envie d'y rester, et ça arrangeait ses affaires: elle pouvait se consacrer à la collecte d'eau et l'observation des communautés humaines en toute tranquilité... Mais ça, c'était sans compter les périodes de reproduction. Car comme tout être vivant, elle en était dotée et y était bien plus sensible qu'un être humain quelconque, plus comme un instinct primaire irrépréssible...

- ...

Cachée dans un tonneau en plastique, elle y avait élu "domicile" car l'objet servait comme récipient à l'eau de pluie. Evidemment pas de la plus haute qualité, y faire trempette lui suffisait amplement à ses besoins quotidiens. Une véritable aubaine pour elle... Qui regardait l'être humain, d'énormes sacs noirs sur le dos, elle la tête sortie de son récipient en plastique opaque. Son visage turquoise et ses cheveux bleus ne devaient peut-être pas passer inaperçu dans ce décor noir...

- ... ?

Yasumasa s’attela à ouvrir les nouveaux sacs qu’il venait d’acquérir honnêtement. Dans l’espoir d’y trouver la perle rare, il zieutait minutieusement leur contenu et commença un tri sélectif. Ce qui avait de la valeur à ses yeux était entreposé non loin de sa personne. Nourriture, vêtements, boisson, montre etc.… tout ce qu’i l décrétait comme utile à sa propre survie était conservé dans l’espoir d’une utilisation future. Les gens n’avaient pas toujours conscience des trésors qu’ils avaient en leur possession et se contentait de les jeter purement et simplement. Du gros gâchis en somme pour notre héros qui tirait profit de l’imbécilité de certain pour pouvoir vivre en autarcie, pour ne dépendre de personne. En revanche, ce dont il jugeait comme inutile ne quittait jamais le sac que Yasumasa remettrait à sa place au petit matin soit environ vers quatorze heures trente du matin. Hé oui, la journée appartient à ceux qui se lèvent tôt.

Bref, fort était de reconnaître que la solitude avait un certain poids. Cela impliquait qu’il ne fallait compter que sur vous pour espérer survivre, n’accorder sa confiance à personne, se parler à soi-même et passer pour un demeuré auprès des autres afin d’éviter d’avoir à sombrer dans la folie qui n’est jamais quelque chose de positif. Sauf cette contrainte, il n’y avait que du bon à emprunter la voie du clochard. Eviter au maximum d’entretenir des relations durables avec les autres évite la déception quand celle-ci vient à frapper à votre porte. Et pourtant, derrière ce semblant de réflexion, Yasumasa se sentait comme épié.  Il avait la désagréable impression que quelqu’un le scrutait, tapis dans l’ombre de ce qui semblait être en cette nuit noire, un parc délabré.

Ses yeux en amandes firent d’ostensibles mouvements de gauche à droite comme pour rechercher la source de cette soudaine impression. C’est durant ce geste qu’il répéta bon nombres de fois qu’il l’a vit. Bien dissimulé dans un tonneau, deux yeux le scrutaient dans l’obscurité noire de la nuit. Ce n’était pas le genre de regard qui vous voulait du mal et perforait de l’intérieur, non. C’était  le genre de regard inquisiteur qui transcrivait une certaine curiosité à l’égard du clochard. Il n’avait rien à craindre pensa-t-il alors qu’il posa quelques brindilles sur le sol et commença à se déplacer comme-ci de rien était autour de son cercle de bois.

« Hey t’sais je vais rien te faire… »

Dit-il sur un ton qui se voulait neutre alors que mégot à la bouche, il essayait désespérément de faire du feu.

« Tu fais quoi dans les parages ? »

Toujours dans le monologue, l’homme s’accroupit alors qu’une faible étincelle fit acte de présence au beau milieu du cercle de bois. L’air agar, il ne s’attendait pas à une réponse immédiate en dépit du fait qu’il sentait pertinemment que son interlocuteur était timide. Pourtant, malgré ce fait indéniable, il poursuivit son acte d’éloquence :

« Moi, je cherchais un coin tranquille pour passer la nuit et bah putain j’peux te dire que c’était pas facile à trouver. J’ai des crampes plein les gambettes et mon slip qui m’serre le bassin. Mais bon on s’en fiche en fait »

A ces mots, Yasumasa préleva du second sac, des restes d’un copieux dîner qu’il commença à contempler alors que depuis le début de la conversation, il faisait dos à ces deux yeux d’un blanc immaculé.

La voix de l'homme retentit dans la petite ruelle aussitôt avait-elle sorti sa tête de l'eau, provoquant une réaction craintive qui la fit rentrer la tête dans son tonneau, et passa quelques instant enfoncée dans son récipient, se demandant quand relever la tête pour observer.

Une fois sa frayeur passée, elle sortit à nouveau la tête de l'eau, se tenant sur les bords du récipient pour observer l'humain qui se tenait dos à elle maintenant, comme si il ne l'avait pas vue. D'un coté, elle était rassurée, de l'autre elle était déçue... Que faire ? Elle ne voulait pas se faire remarquer et en même temps qu'il la voie...

Elle s'étendit, sa poitrine dépassant un peu du tonneau de plastique, et put mieux observer l'homme grâce au feu qu'il venait de faire en plaçant du bois par terre. Elle n'avait jamais vu de feu d'aussi près, du coup elle se retrouvait absorbée à la contemplation de cette source de lumière toujours inconnue...

- ...

Les bras se tenant sur les bords du tonneau, la créature bleue était déjà plus à découvert, pouvant ainsi observer l'homme et son feu sous un meilleur angle, mais toujours sans prononcer un mot... Elle n'en était pas capable de toute manière.

Notre clochard avait eu de la chance, ce soir il mangerait à sa faim. Ses yeux étaient rivés en direction des succulents mets qu’il venait de s’approprier en fouillant une des poubelles au point qu’il en oublia la présence de ces deux yeux qui pourtant le fixaient et semblaient êtres avide de curiosité. Il y’en avait pour tout les goûts, des restes de côtelettes mal rognées, du poisson, des épluchures de fruits et légumes ainsi qu’un truc flasque qui ressemblait à du fromage. Seule la présence d’un laitage était à déplorée pour le chanceux Yasumasa qui trouva bon de rapprocher ses mains du feu afin de les préserver de cette nuit fraîche.

Une fois revigorées, ses mains se placèrent en direction du poisson qu’il planta en bout de d’un pique de bois. Il le ferait griller avant de le saler et de le déguster comme il se devait. De la nourriture était de la nourriture, peu importait que l’on aille déjà goûter à celle-ci, le SDF ne faisait guère la fine bouche. Et puis, il n’avait pas vraiment le choix, s’il mettait en exècre les déchets des autres, il ne pourrait survivre comme il l’a toujours fait auparavant. Toujours absorbé par le festin qu’il préparait, la présence de ces deux yeux d’un blanc nacré lui revinrent à l’esprit au même moment que le poisson venait de finir de griller.

Il y’avait toujours ce même silence qui régnait malgré le fait que lui clochard lui ait adressé la parole, l’individu tapis dans l’obscurité de la nuit ne semblait donner aucun signe de vie si ce n’est des battements de cils. Yasumasa était intrigué et décida en conséquence de s’approcher  le plus près qu’il pouvait de l’individu caché. Il n’avait pas peur mais on était jamais trop prudent des fois qu’il tomberait sur un détraqué mental, il serait à bonne distance de celui-ci pour fuir ou y faire face.
Les pas de l’homme étaient étrangement graciles et silencieux. Quasiment inaudibles, il tenait dans ses mains deux brochettes de poisson. L’une finit son périple dans sa bouche alors que l’autre pointait en direction de son interlocuteur silencieux. Nul doute que dans son extrême bonté, il lui proposait de se joindre à lui le temps d’un repas.

« Euh… t’as faim ? Allez fais pas le timide ! »

Nulle réaction n’était observable depuis la position du clochard. Il décida alors de se rapprocher, prenant son courage à deux mains il était fermement décidé à voir à quoi ressemblait ce fameux espion. D’un pas lent mais sûr, il fut tellement surpris parce qu’il vit que Yasumasa tomba à la renverse :

« Qué.. que que que ? T’es t’es t’es une nana ?!! Bah merde ! »

La surprise de l'homme la fit se recroqueviller une nouvelle fois dans l'eau, le regardant de ses yeux craintifs, incapable d'interpréter correctement les émotions humaines. Elle recula dans le tonneau, atteignant le bord, elle n'arrivait pas à défaire son regard de celui du sans abri...

- ...

En se collant au bord, elle put faire une espèce de pirouette arrière sans pourtant éclabousser, le mouvement ayant la fluidité de celle d'un serpent, son corps bleu et nu était à présent debout face à Yasumasa, qu'elle dévisageait de ses yeux dépourvus de pupilles.