Érogène Jones, qui n'a pas d'avis particulier concernant la vie, la mort et un nombre vertigineux d'autres choses, se contente d'un hochement de tête reconnaissant.
-Je ne parle pas de conception, mais de besoin.
Son ton est neutre, badin, et son sourire étrangement immobile. Il lève son bras, et Sibylle pense sans doute qu'il va encore la toucher, mais il pointe en réalité quelque chose dans la nuit
-Vous voyez cette forme sombre, là bas? Entre la mer et ce rocher. En réalité, c'est une épave. Un bateau carcéral portugais qui s'est échoué il y a environ deux siècle. La municipalité le rénove régulièrement, patrimoine historique à la gloire de la décadence occidentale.
Il soupire, et frissonne dans le froid. Un instructeur de Seikoku, sur le toit de l'école. Décontracte-toi, Jones, on a froid seulement si on est contracté. Bien monsieur. Et il lui verse encore un seau d'eau glacé.
-Quand j'ai besoin de me sentir vivant, je me promène. Je marche, j'observe, et je trouve quelqu'un. Une femme. Belle, désirable, parfois seule, parfois dangereuse... Et je la contemple, je l'admire. De temps en temps, j'ai besoin d'en savoir plus. Je vous parle de besoin, vous comprenez.
Il ramassa machinalement un bout de bois rejeté par la mer, et se mit à trasser des motifs dans le sable. Probablement inspiré par la fumée de Sibylle.
-...Alors je la suis. Je parle au gens, je leur demande où elle peut bien habiter, quelle genre de personnes elle fréquente. Parfois...
Sans quiter des yeux le sable, il imprime un masque de pure candeur sur son visage, avant de le retirer aussitôt.
-Parfois je demande son nom. Et ensuite, généralement, j'ai besoin de lui parler.
A cet instant, Érogène Jones n'est pas très à l'aise de savoir sa jugulaire à si peu de distance de poignard qu'il a repéré plus tôt, et qu'il n'est pas sûr de pouvoir bloquer à temps. Naturellement, le prédateur en chasse n'en laisse rien paraître.
-Alors j'attends le bon moment. Quand elle rentre seule de chez son amant, quand elle noie son chagrin dans un bar... quand elle quitte sa pension pendant une pause, et se met à déambuler sans but, et finit sur un rocher, à regarder la mer... Puis je l'interpelle d'une manière ou du autre. Je lui demande ce qui la rend triste, je lui propose une cigarette... Je lui rend un objet qu'elle a perdu. N'importe quoi pour entamer une conversation.
Un rond parfait. Le jeune homme sait dessiner, il est adroit de ses mains. Prends-en note, je l'ai fait pour toi.
-Après lui avoir parler, ou plutôt pendant, je la séduit. Avec des mensonges, des regards, des caresses... Avec une promenade sur le sable, au clair de lune, ou je lui invente un nom pour toute les étoiles... Je l'ai fait de nombreuse fois pour le Dieu Profit, mais ce n'est pas pareil. Vous comprenez : je vous parle de besoin...
Il trace soigneusement une bouche, puis deux yeux.
-Et une fois que je l'ai séduite, je lui fait l'amour. Je la possède, aussi fort, aussi longtemps que nécessaire. Parfois, j'attends qu'elle soit dans une épave, et je lui met des chaînes aux poignets. Parfois, je la caresse pendant des heures sans jamais la laisser jouir... Puis je la prend comme le monstre que je suis, et elle menace de me tuer si jamais je m'arrête. Parfois, elle me lacère le dos avec une dague, et mon sang trace des arabesque sur le sable mouillé. Parfois, la lune elle même se cache de honte, lorsque ma proie lui hurle son plaisir...
D'un geste sec, précis, il plante le bâton au milieu du front. Son beau visage se tourne vers Sibylle. Expression détendue, indéchiffrable. Puis il se fend d'un sourire.
-Ou alors, je me rappelle que les navire carcéraux portugais n'ont jamais croisé dans ces eaux. Et que les rocher ne sont pas des épaves.... Et dans ce cas, il y a deux possibilités. Soit je suis celui qui doit prendre la jolie femme dans un creux du sable, la poitrine contre les rochers et les mains attachées avec une ceinture, faute de chaines, soit...
Il lève les sourcils en toute innocence.
-... Soit je ne suis qu'un promeneur qui aime raconter des bêtises.
Il se relève, toujours souriant.
-Au fait, je m'appelle Jones. Ça vous dit une promenade au bord de l'eau? Les étoiles sont belles, ce soir...