"Continuons, chers amis, cette vente exceptionnelle ! Nous entamons les enchères avec un nouveau groupe de belles plantes qui ne demandent qu'à être cueillies, mesdames et messieurs !"
Heureusement qu'elle avait tenue à faire partie de ce bouquet. La fée était de loin la fleur qui avait la meilleure mine. Ses compagnes esclaves étaient toutes presque fanées. Les marchands d'esclaves qui assuraient la vente, peu scrupuleux, avaient le très utile talent d'être d'excellents maquilleurs. Il en fallait parfois peu pour qu'une marchandise paraisse beaucoup mieux. Trente minutes avant le début de la vente, on leur avait strictement ordonné de se tenir bien droite, pour faire ressortir taille et poitrine, et donner fière allure, et elles avaient dû boire énormément d'eau pour éclaircir le teint... Les nombreux bleus sur leurs corps avaient été soignés superficiellement à l'aide de la magie... On les avait toutes mises dans un même bain, pour se laver mutuellement, et elles s'étaient toutes soigneusement recoiffées...
Il y avait quand même quelque chose qui ne changeait pas quoi qu'il arrive, c'était le regard que chacune de ces esclaves lançait au public. Aucun maintien ou maquillage ne pouvait changer cet air de soumission totale. Herzeleid s'efforçait d'effacer cette étincelle qui avait disparu de chaque œil sur l'estrade, et elle y arrivait plutôt bien.
Ce jour-là, son caractère n'avait rien de dominant ou d'imposant : la Fée était aujourd'hui réservée et calme, totalement incompatible avec son important statut. En sortant de sa fleur ce jour-là, elle n'avait cessé de se répéter qu'elle portait un poids beaucoup trop lourd sur ses épaules. Son cruel manque de confiance lui perçait l'esprit comme un million de fines aiguilles. Elle avait quand même réussi à se faire passer pour une simple humaine, sa nature de fée ne se voyait pas. Elle n'avait pas tardé à se faire repérer par une troupe de marchands, et à se retrouver dans une cage au milieu de quelques autres gamines tout aussi perdues. Pour finir sur l'estrade.
La jeune femme se retrouvait en plein milieu de l'estrade de bois sale et terne. En tournant la tête -baissé, bien sûr- vers la droite, elle pouvait voir deux terranides jumelles sur le point d'éclater en sanglots. Sur sa gauche, trois petites humaines d'une dizaine de printemps, un peu sonnées. Elle était bel et bien la mieux portante, car la plus fraîchement capturée. Les autres étaient amaigries, les traits tirés, et transportaient sur leurs passage une odeur de renfermée.
"Allons, messieurs dames, prenez votre temps ! Posez votre œil expert sur nos jolies jeunes esclaves, toutes fraîchement capturées de ce matin ! Je suis persuadé qu'une d'elle saura vous plaire !"
Herzeleid replaça discrètement une mèche de cheveu derrière son oreille, tout en fronçant moins discrètement les sourcils en entendant le mensonge du vendeur. Quelques offres commençaient à s'accumuler du côté des nobles, et apparemment, le petit jeu des marchands marchait bien : les gamines à l'air désespéré subissaient les offres, et se laissaient docilement imprimer un prix sur le visage. Les enchères tournèrent longtemps du côté des deux jumelles, vendues en premières, pour suivre par une minuscule humaine rousse tremblotante, et cela dura l'après-midi entière.
La Gardienne observa le soleil, jugea rapidement qu'il était dés à présent sept heures du soir. Dans une heure, la vente se terminerait, et il ne restait maintenant qu'elle, et trois autres filles derrière, blondes comme les blés. Si elle n'avait pas été encore vendue, c'était parce qu'apparemment, son regard était un peu trop affirmé pour être désirable pour ces nobles libidineux... c'était ce que le vendeur lui avait dit, mais elle n'y pouvait pas grand-chose, si ce n'était baisser davantage la tête.