Les journées étaient affreuses, c’était habituel désormais. Il faisait si froid que les doigts de la jeune fille devenaient blancs et semblaient agonisants. Et pourtant, même si elle n’aimait point la neige, elle se plaisait à admirer le paysage, de la fenêtre de sa salle de cours. En cet instant précis, dans cette classe surchauffée, elle ne souhaitait que vagabonder dehors, et se nourrir de cette fraîcheur et de ce froid assassin. Elle continua doucement de regarder la neige tomber, avec une certaine grâce, tandis que sa professeur d’anglais tentait tant bien que mal de leur inculquer ce qu’était les verbes irréguliers, et qui ils étaient. Elles devaient toutes les connaître sur le bout des doigts. Ludmilla fit aller les siens sur la table, dans un rythme calme, ignorant ce qu’osait dire cette femme. Ici, il n’y avait que des femmes, et des filles. On parlait de l’homme comme d’un des pires démons de la création. Assoiffés de violence et de sexe, il était caricaturé à l’extrême, et tout le monde s’en méfiait. Ludmilla était la seule, sans doute, à s’en moquer prodigieusement. Elle conservait un intérêt violent pour tout ce qui concernait les choses étranges, répudiées et effrayantes.
Dehors, la neige tombait plus violemment, et l’envie de courir monta en elle. Elle se leva prestement, calant sa main contre son ventre, regardant la professeur avec un air rempli de douleur. Absorbée par son cours, celle-ci accepta que la jeune fille sorte un peu pour aller se rafraîchir, et aussitôt, Ludmilla se retrouva dans le couloir, à enfiler par-dessus sa tenue d’écolière modèle un grand manteau noir. Elle enfila prestement sa longue écharpe en mailles épaisses, son gros bonnet, réajusta sa queue de cheval et s’enfuit dans la rue, évitant soigneusement la fenêtre de sa classe. Elle savoura alors le spectacle, se moquant du froid qui s’insinuait contre ses jambes fines, où de longues chaussettes noires se tenaient sagement. Ses ballerines vernies tambourinaient la neige, et sa jupe noire et blanche, au motif quelque peu psychédélique – elle n’aimait point le motif écossais habituel – volait à chacun de ses sauts. Elle avait certes froid avec sa chemise d’un blanc éclatant et son veston d’un noir profond, mais l’agitation et l’excitation la réchauffait. Aussitôt, la jeune fille se permit de courir un peu n’importe où, même dans les ruelles sombres, toujours souriante, et quand elle reçut ce fichu coup sur la tête, elle ne comprit pas ce qu’il lui arrivait. Arrivé comme ça, de but en blanc, elle resta surprise et s’écroula dans la neige, inerte.
Inertie qui disparut ensuite. Les paupières lourdes de Ludmilla daignèrent enfin se lever. Elle ne se souvenait que du noir et de la neige. Elle sentait que sa queue de cheval, même si elle était encore attachée, avait laissée des mèches tomber sur ses épaules. Rapidement, elle analysa les lieux, avec un regard neutre et une certaine fatigue. Et retint un cri. Un minuscule cri, qui mourut dans les tréfonds de sa gorge. Aussitôt, tout bascula. Les souvenirs remontèrent à la surface. Elle regarda, affolée, autour d’elle, cherchant où elle pouvait bien être. Et quand elle comprit qu’elle ne savait pas où elle se trouvait, elle sentit un malaise, une peur, l’envahir. Elle n’osait même pas demander s’il y avait quelqu’un, apeurée et tremblotante. Elle regarda sa tenue – toujours présente, dieu merci – et quand elle voulut porter ses mains à son front pour remettre en place son bonnet décidément trop grand, elle remarqua qu’un de ses poignets était habillé d’un peu élégant bracelet de métal, relié on se sait où. Elle paniqua aussitôt, cherchant autour d’elle, frénétiquement, une issue, mais le silence, plus assassin que les pires paroles, régnait autour d’elle. Elle renifla, relevant tout de même son bonnet, tandis qu’elle sentait le sol qui lui refroidissait les jambes.
Par souci d’esthétique, elle remit en place ses chaussettes qui étaient mal mise.