[Introduction]
"Silence."
À la cour du Roi Serenos, le silence règne. Personne, pas même les nobles, n'a le droit de parler sans l'autorisation du Roi.
Le souverain, maître des trois royaumes d'Ayshanra, était accoudé à son trône, la tête appuyée sur son poing. À sa droite, le siège de la Reine, toujours vide, toujours libre.
"Je remercie cette cour pour son intérêt pour mes activités nocturnes et mon statut marital. Cependant, cette fois, comme à toutes les fois, je n'ai pas l'intention, l'envie, l'inclinaison ou le besoin de remplacer Laryë. Seigneur Pelemetho. Quel est le prochain article de l'ordre du jour?"
Pelemetho ajusta sa toge puis ses lunettes sur son nez, avant de fouiller le parchemin roulé devant ses yeux. Le vieil homme aux cheveux gris et à l'œil fatigué marmonna les mots qui défilaient devant lui, à la recherche du prochain article.
"Ah… Votre Majesté, la Cour Impériale des Araniades demande à Sa Majesté si Sa Majesté sera parmi eux pour la fête des Oasis qui se déroulera dans trois mois à compter de… la semaine passée."
"Non."
Un
jaharn, "maître" ou "seigneur" des Araniades, leva alors la main. Le Roi lui adressa le plus bref des regards, et lui fit signe de parler de la main.
"Majesté… pardon d'insister," fit alors l'un des nobles. "Mais en tant qu'Empereur… En tant que pupille du précédent Empereur, vous n'ignorez pas que cette célébration a besoin de la présence du maître pour procéder… ou du moins d'un membre de la famille Impériale… Et comme Sa Majesté, dans son ascension, a fait exécuté ou exiler tous les membres de la fratrie impériale…"
Le visage du Roi se tourna vers l'homme qui parlait beaucoup trop librement, et celui-ci baissa la tête, évitant ce regard froid, les poings serrés.
C'est Pelemetho, ce grand diplomate, qui prit donc la parole, se tournant vers le souverain qui, à ce geste, fit taire le jaharn, et donna le droit de parole au seigneur meisaen.
"Majesté, si vous ne comptez pas vous y présenter vous-même… pourquoi ne pas y envoyer un de vos enfants?"
"Aldericht est aveugle et il est indispensable pour le royaume. Grymauch est en ce moment dans les Terres du Nord, et ne reviendra pas avant des mois, et donc il sera trop tard pour partir. Aurora est une dame de l'Ordre de l'Orchidée, son devoir demande à ce qu'elle reste en Meisa, et Maegera est au Nexus avec ses maris."
"Et… la princesse Laurelian, Majesté?"
Un vent de malaise se répandit dans toute la salle du trône. Tout le monde présent, et même ceux absent, savait que le Roi n'aimait pas que l'on mentionne sa dernière fille. Personne ne savait vraiment pourquoi; était-ce qu'il la détestait à ce point qu'il désirait la garder loin des affaires de la royauté, ou l'aimait-il au point de vouloir la protéger envers et contre tous? Pourquoi est-ce que le Roi semblait toujours se froisser dès le moment que sa jeune fille était mentionnée?
"Votre Majesté, la Princesse ne quitte que si peu souvent le palais," continua Pelemetho, contre les avertissements discrets de l'assemblée. "Cette pauvre fille mérite de pouvoir élargir ses horizons, de voir de belles choses. Pardonnez l'insolence de votre serviteur, mais je crois qu'elle bénéficierait d'un changement d'air."
Le Roi siffla entre ses dents.
"Elle est vulnérable et sans défense. Incapable de même fuir si un danger se présente. Vous me demanderiez de l'envoyer sur les routes?"
"Avec une escorte, sire."
"Elle refusera tout garde royal."
Devant la patience du Roi qui semblait s'effriter au fur et à mesure qu'il parlait, Pelemetho sembla sur le point de faire marche arrière et de reprendre son silence, mais il eut soudainement une idée.
"Sire… j'ai un homme qui pourrait faire l'affaire. Ni un garde royal, ni même un Meisaen, mais un mercenaire. Et pas n'importe lequel; c'est un homme que j'ai vu survivre et protéger ses charges contre les chances les plus improbables. Je l'ai moi-même engagé pour escorter ma femme lors de son voyage annuel chez mes beaux-parents, et…"
[Le départ]
C'était un doux matin d'automne, quelques jours seulement à la suite de la convocation du Roi, que la Princesse Laurelian, ou Shion de son nom d'esclave, quitta enfin sa demeure avec ses quelques bagages transportés jusqu'à la charrette par un groupe de serviteurs. Pas de décoration superflue, pas d'étendards, rien qui puisse laisser savoir que la personne qui voyageait était de sang royal, autre qu'un papier scellé du sceau royal qu'elle conservait dans un cylindre en fer rangé dans son sac.
L'idée de voyager ne lui était pas horrible, mais encore plus important pour elle, c'était de juste avoir un peu de distance avec son père, et donc elle avait presque sauté sur l'opportunité, surtout en sachant qu'elle ne serait pas accompagnée de membres de la Garde du Roi, mais par un groupe de mercenaires. Bien que tous avaient été, évidemment, proposés à grand renforts de recommandations et de garanties d'honneurs. Du groupe de trente mercenaires, seulement six étaient Meisaens ou Meisaennes. Le reste était composé d'étrangers et étrangères qui donnait au groupe davantage l'air d'une bande de brigands de grande route plutôt que l'escorte d'une princesse. Celui à qui avait été confié, cependant, la sécurité et le commandement de ce groupe était un homme qui répondait au nom de Zorro Wolfen, un homme que la princesse avait donc ordre d'obéir en toute chose, tant que cela concernait sa sécurité, un ordre qu'elle avait l'impression de devoir désobéir dès la première occasion, ne serait-ce que pour froisser le sourcil du Roi.
Alors que les serviteurs s'occupaient de charger les charrettes de vivres et d'équipement, la princesse s'avança jusqu'à l'homme et, délicatement, le frôla du bout d'un doigt posé sur son épaule, avant de lui offrir la main.
Devant Zorro se trouvait donc une jeune femme aux cheveux d'argents et aux yeux dont la couleur passait parfois de l'améthyste au saphir interchangeablement, portant une robe de lin autour de la hanche, ses pieds chaussés de sandales de qualité mais d'apparence humble. Son buste était nu, exposant une peau claire comme le sel et une poitrine élégante aux tétons rosés. Sur ses épaules étaient passés un voile tissé à la main protégeant sa peau des rayons du soleil, et contrairement aux princesses étrangères, elle n'arborait aucun artifice lié à sa position; elle était dénué de bijoux et de richesse. La seule chose trahissant son noble titre était le fait qu'elle était simplement trop jolie et soignée pour avoir vécu une vie rude.
"Je crois que c'est à vous que je dois présenter mes remerciements pour ma protection au cours de ce voyage. J'ai cru bon de faire au moins l'effort de me présenter. Je suis ravie de faire votre connaissance, sieur Wolfen. Je me nomme Laurelian, quoi que pour ce voyage, je vous en prie… appelez-moi Shion."
Un sourire fendit ses jolies lèvres vermeilles. Elle semblait vouloir faire bonne impression, ou peut-être endormir la vigilance du mercenaire à son égard. Qui peut le savoir?