Tekhos faisait face à un problème de taille avec l’infiltration de l’EVHive. Pourtant, le sujet n’avait toujours pas été rendu public. Le risque de panique était très clair, et le nombre limité d’unités et la réaction rapide des forces armées avaient aidé à garder les faits sous silence. En règle générale, seuls quelques morts étaient à déplorer et l’affaire était assez facile à étouffer. Au pire, on mettait les disparitions sur le dos d’un mâle jaloux ; classique.. Le pire avait été une fête nocturne entre jeunes qui avait tourné au carnage. Cette fois-là, il avait fallu prétendre à une erreur humaine et à l’incendie tragique et involontaire de la villa infestée.
Mais les cas se multipliaient. Des questions commençaient à se soulever et les militaires envoyées pour répondre à toute suspicion commençaient à craquer. Et ce n’était pas que le manque de sommeil, qu’il soit dû au rythme des interventions ou à ce qu’elles voyaient. Certaines étaient clairement épuisées mentalement, traumatisées, victimes de stress post-traumatique. On songeait à envoyer des engagées moins expérimentées, mais le risque était grand. Récemment, la fréquence des infestations avait baissé, mais, en l’absence de destruction d’une EVA contaminée, les spéculations allaient bon ton, et on se doutait, en haut lieu, qu’elles commençaient à se disperser. Si le problème dépassait Tekhos, les matriarches ne parviendraient pas à surveiller la planète entière, et encore moins au-delà. Elles risquaient de se faire déborder par le nombre si des ruches se développaient ailleurs, dans les bourgs et villages moins développés et défendus de Terra.
Alors, tout le monde était à cran. Quand le signal radar avait été perdu, Strepkova avait réagi à l’instinct, comprenant pertinemment ce qui arrivait. Ces saletés avaient encore frappé, et elle devait se sentir si impuissante ! Elle ne savait pas si les unités venaient par ici ou non, mais elle ne pouvait se permettre de négliger tout scénario. Ces entraînements en orbite et sur les lunes et astéroïdes voisins étaient censés être sûrs, mais une part d’elle sentait bien que personne n’était à l’abri, nulle part.
Les secondes s’égrenèrent, silencieuses, tendues. Les cadettes faisaient de leur mieux, mais, derrière leur façade professionnelle, la situation les angoissait au plus haut point. Des mouvements saccadés de certains méchas trahissaient des tremblements nerveux.
Puis, elles le virent approcher.
Quelques instants plus tôt, le transport Horny Jerry avait décollé du territoire de Tekhos avec pour mission de ravitailler un laboratoire de recherche en orbite ultrahaute. Ils ignoraient qu’à leur cargaison s’étaient ajoutées trois unités de l’EVHive, et que celles-ci n’appréciaient pas spécialement de s’éloigner de leurs congénères. Elles étaient vite devenues agressives, se dévoilant pour tailler en pièces le petit équipage civil totalement désarmé. Heureusement, ce genre de basse besogne était laissée aux hommes, aussi n’y avait-il eu aucun risque d’insémination. Mais l’appareil, à la dérive et en pleine accélération, avait évidemment continué sur sa course. Une minute plus tôt, il avait percuté le satellite de radiodétection transmettant à l’unité de Strepkova, lui donnant l’alerte et, à présent, voilà l’engin, un appareil de taille moyenne, qui fonçait droit vers elles.
La silhouette grossit rapidement. Très rapidement. De plus en plus rapidement. A ce genre de vitesses, les réactions doivent être instantanées. Le major se dégagea en entraînant une cadette avec elle, sommant les autres d’agir, mais Izumi et Kai ne parvinrent pas à s’éloigner assez vite pour être épargnées par le crash, un blast brutal et un nuage de poussière et de débris métalliques et minéraux les engloutissant tandis qu’Aki y échappait de peu avec son instructrice.
Le choc était évident, pour tout le monde, mais Strepkova savait bien qu’elle devait absolument retrouver les deux disparues et faire l’état de leurs méchas. Dans le vide spatial, une faille critique imposerait certaines décisions urgentes. Et, si elle manquait d’une seule paire de bras… Elle ne savait même pas encore à quoi s’attendre.
Les unités, elles, avaient évidemment souffert du crash, mais leur constitution adamantine leur permit de supporter le choc sans trop de latence. Elles se mirent immédiatement en action. Elles aussi devaient faire un état des lieux. Elles devaient rejoindre les leurs, mais aussi comprendre où elles se trouvaient et estimer le niveau de menace. Forçant une porte blindée sans mal, elles se dispersèrent autour de l’épave en se servant du nuage de poussière qui persistait sans gravité pour le faire retomber rapidement.
Très vite, une d’elles tomba sur quelque chose d’intéressant et toutes prirent connaissance de la même chose, l’examinant ensemble comme si elles y étaient toutes : c’était un mécha tekhan, une version d’entraînement. Il y avait un groupe de cadettes ici. Mises en alerte, celle qui avait trouvé le mécha se mit à la recherche d’une faille, d’un mécanisme d’ouverture, et testa sa capacité à déplacer l’engin plus près de l’épave, tandis que les autres se plaçaient à couvert non loin pour épier toute approche.