« Belle baraque. J’aurais dû me faire payer en fait. »
Jin avisait la jolie petite bicoque de la banlieue tranquille de Seikusu devant laquelle il se tenait avec ses deux compagnons. Difficile de croire ce qu’il pouvait se passer derrière les murets propres, les haies sages et les murs muets, à l’abri de fenêtres bien voilées. Lui le savait bien. Il jouait les découvreurs, mais ce n’était pas la première fois qu’il venait dans ce quartier, ou dans d’autres, pour faire son travail.
Le Japonais de la bande était un type grand, svelte et sculptural, aux épaules larges et au regard désabusé. Avec ses multiples colliers, bagues et boucles d’oreilles et son style soigné, il pouvait avoir des airs d’idol. Et c’était bien ce qui était prévu, à l’origine. Son boys band avait foiré, comme d’autres, et il s’était retrouvé à Kabukicho, coincé dans un club de hosts où il faisait fureur. Mais il avait fui la mafia de la capitale pour une vie plus tranquille ici, même si, pour garder un niveau de vie acceptable, il lui avait fallu devenir gigolo et participer à des tournages pornographiques, où il faisait office de bite anonyme pour les money shots.
« Tu peux toujours faire demi-tour, Jin. J’en trouverai un autre pour te remplacer, prêt à arriver en vingt minutes. »
Le regard du Japonais se tourna vers celui qui l’avait conduit jusque là et recruté pour l’occasion. Wade, un Australien d’âge mûr, mais foutrement bien bâti, taillé à la salle, avec une barbe et une coupe impeccables d’un gris argenté par endroits. C’était un beau mec, une star du gaijin porn au pays depuis bien longtemps, réputé pour sa gueule et la taille de sa queue autant que pour son bon esprit en coulisses.
Wade retournait son regard à Jin, le scrutant avec un sourire défiant. Le host n’était peut-être pas le plus enthousiaste des deux gars qu’il avait recruté, mais il avait les critères demandés par son amie : une belle gueule, de jolis muscles, et un bon mandrin dont il saurait se servir. Dans le métier, c’était un peu la malédiction de Jin, bien trop gros pour vraiment doubler les acteurs japonais habituels, et bien trop japonais pour jouer autre chose que les trucs habituels.
Le gars avait du mal à s’intégrer au métier, mais il s’impliquait, et c’était pour ça que Wade l’avait recruté pour ce soir. Il avait été cash tout de suite lorsqu’il avait répondu à la petite annonce de casting postée par la vedette du jour : « Réal cherche grands apollons larges d'épaules et bien membrés pour projet d'avenir ! »
Ce n’était pas un casting, mais ça n’était pas une occasion à louper s’il voulait se faire remarquer et se donner des chances. Ici, c’était le domicile de la grande Himeko Sakuraki ; son amie, une vedette du X au Japon et ailleurs, et toujours une travailleuse et consommatrice active. Aujourd’hui, c’était son anniversaire, et elle voulait s’éclater. Elle lui avait confié la tâche de filtrer les participants pour elle, et il s’en était acquitté diligemment, lui trouvant ce qu’elle voulait en faisant miroiter le potentiel de gains futurs.
Ce n’était pas un casting. C’était une promotion canapé.
Son regard se tourna vers le deuxième gars, d’ailleurs. C’était le plus grand, et aussi le plus jeune, un Italien aventureux au teint hâlé, à la barbe clairsemée et à l’air innocent, bâti comme un dieu gréco-romain et aussi nouille qu’une véritable nouille. Le garçon était allé se perdre en Chine dans des boulots de white monkey mal payés avant de venir au Japon et de s’y faire alpaguer par de vieux yakuzas malins.
Depuis, il tournait du gaijin porn à la pelle et se vendait pour rien. Mais, le pire, c’était qu’il brillait. Il avait un talent naturel et il menaçait d’éclipser un jour la renommée de Wade lui-même. C’était la relève, un type sans talent, sinon de se servir de sa bite comme un étalon en rut permanent.
« Enzo ! Tu rêves ? »
L’Italien sursauta et cligna des yeux, souriant bêtement aux deux autres en se frottant le bras tandis qu’il essayait de s’expliquer. Il était nerveux. Il en avait vu, depuis qu’il avait décidé de quitter sa Naples natale pour aller vivre la grande vie en Asie ! Il avait pas mal déchanté, mais il avait trouvé une voie possible un peu malgré lui. Quand le grand Wade l’avait approché pour lui expliquer ce qu’était vraiment ce casting, et qu’il pourrait y gagner en opportunités, il y avait tout de suite vu une échappatoire à sa servitude mafieuse, et il avait foncé tête baissée et avec le plus grand enthousiasme au monde.
Ici, il était certainement le plus excité, non seulement pour ça, mais aussi parce qu’il réalisait qu’il allait rencontrer Himeko Sakuraki, dont quelques vidéos avaient accompagné certains de ses émois adolescents, plus souvent qu’il aurait aimé l’avouer. Et il n’allait pas juste la voir en chair et en os. Il allait la toucher, et la…
« Oui, désolé, répondit-il en déglutissant. Je suis un peu intimidé. »
« D’accord. Pense quand même à te mettre en condition, Italian Stallion, ou c’en est fini pour toi ! »
L’Australien souriait de manière rassurante, mais Enzo le prit à coeur. Il déglutit encore et haleta et secoua les mains en gloussant timidement.
« Non mais pas d’inquiétude ! Je n’ai ja-mais-de-pan-ne ! »
« J’espère bien, Himeko est… enfin ! Vous allez vite le voir. »
L’aîné du trio éclata de rire en s’avançant vers la porte pour sonner. Une mélodie typique résonna dans la rue le temps que la star du soir daigne se pointer à son interphone pour leur ouvrir et les accueillir, et l’Australien lui décocha un beau sourire à l’objectif en expliquant qu’il lui amenait des types pour démonter son lit. C’était faux, et n’importe qui verrait bien, à leurs tenues, que ça l’était, mais le code faisait bonne figure auprès des voisins indiscrets.
Enzo soupira, souffla, se calmant en frottant ses mains moites à son maillot.
Jin mit son téléphone en mode avion en vérifiant les plis de sa chemise et l’état de ses ongles.
Wade, quant à lui, portant son jean et son pull à col roulé bien sage avec le charme d’un paternel bien rangé, sans laisser songer à la bête qu’il cachait derrière ses airs tranquilles.