Fermant la marche après Emi, Takezo regagna donc la villa les bras chargés, accueilli par les incessants braillements d’Oko et Tomie, toujours à se chamailler.
À les entendre ainsi, et comparées à la première impression que lui laissait la jeune femme, à première vue bien plus facile à vivre, le garçon en vint à se demander, l’espace d’un court instant, ce qui pouvait bien les lier toutes les trois. Emi lui paraissait si calme en comparaison. Normale, pour le dire vite. À moins qu’elle ne cache bien son jeu.
Ce qu’il n’espérait pas.
Cela le rendait curieux et, surtout, emplissait ses méninges d’appréhension. Intérieurement se répétait-il sans cesse telle une prière adressée à il ne savait trop qui : « faites qu’elle ne soit pas comme elles, faites qu’elle ne soit pas comme elles… ».
Ensemble, ils traversèrent à nouveau ce gigantesque couloir reliant les chambres, les passant en revue une à une. De son côté, Takezo dut contenir un soupir, quand Emi, elle, se mit à rire. Voilà même pas dix minutes qu’ils étaient arrivés que déjà le parquet était jonché ça et là des vêtements de ses soeurs. De quoi lui donner bien du boulot déjà.
S’il ne s’en chargeait pas vite, il le savait, il le paierait au prix fort.
« Euuuuh… »
Déjà préoccupé par ses corvées avant même d’avoir pu dire ouf se laissa-t-il guider sans vraiment faire attention à rien les quelques secondes qui suivirent. Ses yeux se posant partout où le bazar s’était déjà installé ne se rendit-il compte qu’il avait changé de pièce qu’en constatant l’absence de vêtements sur le sol.
Acquiesçant d’un hochement de tête courtois, il déposa les affaires d’Emi et la gratifia d’un bref sourire. Sa vue n’étant plus obstruée par le moindre sac se surprit-il une seconde à redécouvrir sa beauté, avant que le rouge ne lui monte de nouveau aux joues.
Les bras ballants, le jeune homme resta planté là quelques secondes, à ne savoir que faire, la fuyant du regard pour observer la chambre.
Fort heureusement, Emi ne resta pas silencieuse et cet instant, aussi court fut-il, ne parut pas aussi gênant qu’il aurait pu l’être. Gentiment tiré de sa courte rêverie, Takezo tourna donc les talons, prêt à aller explorer la chambre voisine.
« Oh, hum… toi aussi. Si t’as besoin de quelque chose, je veux dire. »
Sorti au son du zip que fit l’ouverture de la valise d’Emi, le jeune homme fit quelques pas et passa dans la pièce d’à côté, un peu songeur. Mis à part avec ses soeurs, évidemment, il n’avait pas l’habitude de devoir faire la conversation à une femme, et cela le rendait nerveux.
Ses soeurs avaient dû lui en raconter, des choses, à son sujet. Oko avait dû lui dire comme il était bête, et Tomie, comme il était empoté…
Ça aurait été sympa, qu’on ne le voit pas comme ça.
Poussant un profond soupir, Takezo se laissa tomber sur l’épaisse literie de son lit double et fixa le plafond. Sa tête bascula doucement, tout doucement en arrière, jusqu’à ce qu’il aperçoive le mur, et pense : « elle est… juste là ».
Les murs n’étaient pas bien épais, avait-il remarqué, alors que depuis son perchoir, il put encore entendre le zip de sa valise. Voilà qui, dans certaines situations, pourrait s’avérer fort gênant. Aussi se répéta-t-il plusieurs fois qu’il lui faudrait faire attention à ne pas faire trop de bruit, la nuit.
Se souvenant que de toutes les affaires à sortir de la voiture, son sac manquait encore à l’appel, il se releva, et repassa par le couloir, commençant déjà à rassembler sous son bras les fringues de ses soeurs, qu’il lui faudrait encore plier et trier avant d’aller les ranger dans les chambres de chacune.
Les posant dans un coin pour plus tard, entre sa chambre et celle d’Emi, son regard se posa furtivement par l’encadrement de cette dernière, restée à demi ouverte après son départ. Son visage changea une fois de plus de couleur et Takezo tourna très vite la tête, un peu honteux.
Par-delà cette porte, croyait-il l’avoir vue presque nue.
Son dos, du moins, de trois quart, et la silhouette parfaitement ronde de l’un de ses seins. Ses superbes hanches, marquées des ficelles noires de son très fin dessous, et débarrassées de ce jogging que la jeune femme portait encore quelques secondes plus tôt.
Son coeur se mit à battre à tout rompre alors que, hésitant mais curieux, il revint porter un regard discret en direction de la chambre occupée.
Il ne la revit pas, mais entendit plutôt une porte s’ouvrir, puis se refermer aussitôt.
Très vite, il recula, et reprit le cours de ses occupations, avant que quelque chose de terrible n’arrive. Comme par exemple… être surpris par ses mégères de soeur, qui ne devaient pas être bien loin.
La gorge serrée, il traversa le couloir à vive allure et s’en alla chercher son sac dans la voiture. Il en sortit également le vélo d’Oko, censé lui servir pour faire les courses dans le centre-ville, et le laissa contre un mur, près de l’entrée. Ceci fait, il prit une grande inspiration, et traversa la maison dans le sens inverse, nerveux, comme si tout le monde connaissait déjà son terrible secret.
Il ne ralentit pas devant la chambre d’Emi cette fois, et se précipita plutôt jusqu’à son lit sur lequel il vida le maigre contenu de son sac.
Cherchant des yeux où ranger les quelques shorts et t-shirts qu’il avait prévus pour la semaine, Takezo tourna sur lui-même, et faillit ouvrir ce qu’il pensait être un placard, avant qu’un petit quelque chose ne le retienne.
Il crut d’abord à une erreur de calcul, mais comprit vite en repensant à cette porte par laquelle Emi avait disparu. S’il entendait de l’eau couler, depuis ce fameux placard, c’est évidemment parce que ce n’en était pas un. Derrière cette porte se trouvait probablement une salle de bain. Sans doute la même que celle qu’occupait la jeune femme à cet instant, mitoyenne aux deux chambrées.
Son coeur ayant fait un nouveau bond dans sa poitrine, Takezo laissa ses vêtements lui glisser des mains et s’enfuit vers le reste de la maison. Le plus loin possible espérait-il, avant que son cerveau ne se transforme en bouillie. Bien des choses lui passaient par la tête à cet instant. Bien TROP de choses.
Les longues minutes qui suivirent, le garçon les passa donc à remettre de l’ordre dans les affaires de ses soeurs. Comme si faire ça pouvait aussi lui permettre d’en remettre dans sa tête.
Il fuit comme la peste Oko et Tomie, qui connaissaient bien assez ses réactions et ses changements d’humeurs pour les remarquer, de peur qu’elles n’arrivent à lui tirer les vers du nez, et chercha à se faire tout petit, passant d’une pièce à une autre dès lors qu’il entendait l’une d’entre elles arriver.
Repassant enfin de la cuisine au salon, désormais inoccupé, entreprit-il de faire là encore un peu de rangement tandis que toutes ses colocataires avaient rejoint la piscine.
Faisant semblant de rien, il écoutait les plans de ses soeurs pour la semaine, sans pour autant s’en mêler (son avis n’était pas non plus demandé), et se contentait de replier serviette après serviette, avant qu’Emi ne l’invite à participer.
« Moi ? », demanda-t-il tout en se désignant du doigt, alors qu’il rejoignait la baie vitrée pour s’approcher.
Avec tout ce qu’avaient prévu ses soeurs, Takezo n’avait pas vraiment pris la peine d’y penser. Hormis jouer les domestiques, il avait espéré se baigner, se balader à vélo peut-être, flâner dès qu’il en aurait l’occasion… mais n’avait pas songé à ce qu’il pourrait faire pour s’amuser. À dire vrai, il pensait surtout qu’aucune de ses soeurs ne lui en laisserait vraiment le temps.
« Eh bien… »
« Super idée. », dit Tomie, avant de se tourner vers son petit frère « Évidemment, t’auras le droit de venir si t’es sage. »
Oko pouffa, moqueuse, avant que quelque chose ne la stoppe complètement. Du rire, passa-t-elle à la curiosité, tandis qu’elle cherchait à voir ce que pouvait bien regarder son frangin, au loin, et l’air fuyant.
« Le marché ça me dirait bien, ouais. »
Oko donna un coup de coude à sa soeur.
« Eh, tu le trouves pas un peu bizarre, là ? »
« C’est vrai, ça. Qu’est-ce que tu regardes, comme ça ? »
Ne s’étant même pas tourné vers elles, Takezo fuyait surtout Emi qui, à peine aperçue dans sa vision périphérique, lui semblait trop dénudée pour qu’il ne repense pas à ce qu’il croyait avoir vu quelques minutes plus tôt.
« Rien… Rien du tout.»
« Vraiment ? »
« Je réfléchis, c’est tout. »
Et… comme si elle avait soudain tout deviné, Oko fit un « o » de surprise avec sa bouche, tout en secouant l’épaule de Tomie. Désignant Emi du regard, sa soeur comprit d’instinct.
« Ooooh. Emi ? Je crois que t’as une touche. », fit-elle avant d’éclater de rire, vite accompagnée par Oko.
« Quoi ?! Mais p-pas… pas du tout ! »
Son teint virant pivoine, Takezo ne sut soudain plus où se mettre. Alors qu’il voulut s’expliquer, son regard croisa vite celui d’Emi, mais se porta vite ailleurs, alors qu’il se trouvait irrémédiablement attiré par le haut de son maillot.
Mal à l’aise, les bras croisés, le pauvre cherchait désespérément un point auquel ancrer son regard, quelque chose, n’importe quoi, pour fuir ce calvaire.
« Je pensais juste aller me baigner, d’accord ? »
« Hahahahaha, mais oui, c’est ça. T’es pas gonflé, toi. Tu doutes vraiment de rien. », lui répondit Tomie en agitant la main, incapable de s’arrêter de rire.
« Raaah, lâchez-moi, d’accord ? », pesta-t-il entre ses dents, crispé, avant de faire volte-face, sur le point de retourner s’enfoncer dans la maison.
« Je vais faire les courses en ville. T’auras qu’à m’envoyer la liste. »
Takezo traversant une énième fois la maison, d’un pas décidé et quelque peu en colère, ses soeurs reprirent, Tomie se tournant vers Emi, plus grave :
« Nan sérieusement… même si t’as envie de t’amuser, évite. »
« Puis il est puceau. »
« Après… puceau, mais…. »
« Roh, ouais. », finit par lâcher Oko les yeux grands ouverts, alors qu’elle écartait les mains bien grand pour décrire des mensurations que n’importe qui aurait pu trouver fantasque.
Mais l’air sérieuse, Tomie la corrigea, lui écartant un peu plus les mains. Oko acquiesça, avant d’attraper son téléphone, posé sur le rebord de la piscine.
« Attends, tu veux voir ? », renchérit Oko en tout en scrollant inlassablement.
« Nan, sérieusement, dans le genre douloureux, quoi… attends Oko, quoi ? T’as vraiment ça sur ton téléphone ? »
« Pour la bonne cause. C’est Kimie qui m’avait demandé des preuves. Me regarde pas comme ça, j’y peux rien, moi. »
« Eurk… »
« Ah, voilà ! Tu veux voir ? »
« Ah, arrêtes, tu me dégoutes. »
De l’autre côté de la maison, agacé par les rires de ses deux folles de soeur, Takezo enfourchait son vélo en ronchonnant.
Sur le point de partir, il envoya juste un message à Tomie : balance la liste, je m’en vais. »