Il avait fallu des mois, de longs mois, une part d’année interminable, pour que des résultats commencent à arriver. Au départ, la recherche et l’exploration des failles par la troupe de têtes brûlées recrutée par ses services avait été très compliquée. Il y avait eu beaucoup de ratés avant de comprendre quelles failles étaient stables et ne recracheraient pas simplement des corps entièrement démantibulés. Ensuite, il avait fallu établir un protocole et acquérir les drones adaptés pour vérifier que l’environnement était viable, de l’autre côté. Puis, lorsque les mercenaires avaient commencé à passer du temps de l’autre côté, les agressions avaient commencé, par la faune, par la flore, par les maîtres des lieux. Et il avait fallu s’adapter, là encore.
Mais, après des mois sans fin et des dizaines de millions de dollars investis, les premiers résultats étaient arrivés. Et si ça avait commencé petit, le moindre sachet de plantes extraterrestres, la moindre fiole d’eau étrangère remplie de bactéries inconnues, le moindre morceau de bestiole inconnue apportait son lot de savoirs potentiels. Et il y avait eu de premiers résultats. Les partenaires de Vance, industriels, labos et mécènes de tous bords, avaient fini par trouver quelque chose, et c’est un labo pharmaceutique japonais qui avait isolé la molécule révolutionnaire qu’un créateur de produits de beauté américain avait fini par mettre dans sa nouvelle crème anti-âge sans précédent, avec de véritables effets concrets et manifestes sur le vieillissement des cellules épithéliales,
presque sans saloperies ajoutées.
Pour la première fois depuis que Steve Jobs avait vidé le terme de toute substance, un patron était monté sur une estrade et avait pu parler de « révolution » sans mentir. Et si le public ne savait pas d’où venait cette révolution, les gens qui comptaient savaient à qui ils devaient les profits à venir : Vance Fucking Dax.
Après l’annonce officielle devant un parterre de journalistes et de mannequins triés sur le volet pour sourire et faire joli à l’avant du public, le patron de l’entreprise était rentré pour prendre sa valise et filer vers l’aéroport, direction le Japon, puis le large. Direction :
La Méduse, le superyacht de Dax. On peut se dire que la course au gigantisme et aux jouets hors de prix est un signe de narcissisme et de puérilité chez les ultrariches d'aujourd'hui, comme parmi ceux d'autrefois. Si tel est le cas, alors Vance Dax, si son nom n'avait pas la portée de ceux de Jeff, du Zuck ou de l'autre National-soci-autiste, était particulièrement narcissique et puéril. Pour la puérilité, on pouvait en discuter, mais c'était, évidemment, un immense narcissique, et paranoïaque de surcroît.
Son superyacht,
La Méduse, était, contrairement à ce que la référence de son nom pouvait laisser croire, un bâtiment monstrueux, moitié plus gros que la fierté de la Marine thaïlandaise et son seul porte-avions. A plus de 150m de long et près de 15.000t de luxe, de technologie, de gadgets et de mobilier, c’était un monstre de 8 ponts destiné à la vie, à la fête et aux manigances de son propriétaire. C’était un gouffre financier que ses finances supportaient pourtant très bien, malgré les projections de beaucoup d’analystes. Si vous pensez que ça soulèverait des sourcils étonnés du côté du fisc, vous vous trompez, mais Vance avait tout de même pris soin de le garder en haute mer depuis sa mise à l’eau. Si son argent et, donc, son influence, le protégeait d’enquêtes ennuyeuses, se préserver des soucis et des regards vertueux et sentencieux des gueux en valait la peine. Qui pouvait savoir ce qui se passait dans chaque recoin de ce monstre des mers ?
Ce qui était plutôt bien connu de ce palais flottant, tenait à assez peu de choses. Les fuites savamment lâchées sur les réseaux sociaux et les posts de son propriétaire dévoilaient des salles luxueuses, des piscines et des bars pleins à craquer où semblaient constamment se trémousser des bimbos au moins trois fois plus jeunes que lui dans des bikinis scandaleux. Des soirées folles, de jour comme de nuit, semblaient réunir le gratin du show business en dépit de tous les beaux engagements de façade qu’il pouvait prendre, et qui venait s’enivrer et s’acoquiner aux frais du dieu du bord. Bien sûr, on épargnait au public la vue des nobles, des responsables politiques, des gourous, des grands patrons et des rentiers connus qui venaient manigancer et s’éclater à bord, eux aussi, comme la quantité et la diversité des drogues qui pouvaient circuler lors de ces événements.
Ces fêtes, d’ailleurs, étaient de divers degrés. Certaines ne fuitaient pas. Seules les plus tranquilles étaient fuitées. Les moins sensibles. Celles qui ne soulèveraient pas l’indignation et qui rencontreraient, tout au plus, la désapprobation de la plupart et la vexation de certains. Dans ce genre de fêtes, Vance pouvait inviter des gens moins impressionnables, également, et il prenait soin de diffuser celles-ci de manière appropriée ; ou plutôt, quelqu’un s’en chargeait pour lui, mais il avait, in fine, le contrôle et le dernier mot sur les personnes invitées. Et, ce soir, la fête serait graduelle. Le début de soirée était dédié à la célébration du lancement de cette nouvelle crème, avec un petit discours, un défilé et la distribution de pots et de goodies. Des marketeux s’occuperaient de travailler les politiciens présents pour faire tomber leurs réserves face aux questions légales de l’approbation de cette nouvelle molécule secrète et si surréalistiquement active sur les effets de l’âge. Cette partie fuiterait ; le reste, non. Car le reste ferait tomber le reste des réserves et toute convenance pour célébrer l’accès à la jeunesse éternelle de la peau dans la danse, l’alcool, la drogue et, peu à peu, le sexe le plus débridé.
Bien sûr, c’était toujours une bonne occasion d’entretenir et renforcer les liens avec ses associés, ou même en créer de nouveaux. Avec ce premier coup de maître, Vance espérait lever de nouveaux fonds et il avait fait inviter une ribambelle d’hommes d’affaires de tous les coins du monde, et aux affaires légales comme illégales, à côté de celle des influenceurs qui, bons clients, feraient la publicité du produit et l’homélie de Vance Dax avec un grand sourire aux lèvres après avoir goûté à ses pilules et aux charmes de son entourage. Si ces derniers arrivaient en avance, et avant le début de l’événement, pour bien assister au discours et à la présentation, pour bien s’afficher, pour bien assimiler et recracher les arguments de vente, les affairistes, eux, venaient petit à petit, et par hélicoptère pour la plupart. Et, alors que le show business battait son plein, et que Vance quittait la scène pour aller saluer les vrais VIP de la soirée, un des
ACH160 approchait et s’apprêtait à se poser. A son bord devait se trouver Mr Young, homme d’affaires américain très attendu, mais celui-ci avait manifestement jugé la soirée indigne de son temps, puisqu’il avait préféré envoyé, telle une insulte, sa jeune starlette de fille, Lacie. Alors que la musique électronique commençait à s’élever et à progressivement faire vibrer l’air et les flots alentour, Vance s’attendait à voir cet homme, et pas sa fille, et risquait de prendre mal cette arrivée impromptue.