Acte 1
Rivaux
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Lina perça l’épaisse couche nuageuse de la planète minière. Colonisée il y a une quarantaine d’années, elle avait depuis vu naître sa propre population locale et vu fleurir sa propre culture. Pourtant, l’activité principale restait l’exploitation minière, et ça se sentait. On ne parlait pas là que des odeurs de souffre, de fumée et d’huile qui flottaient dans l’air chaud et sec, mais aussi des nuages gris sans dépression emplissant l’atmosphère, des vastes panoramas chauves aux couleurs crues, ocres et rouges et noirs et blancs, où les rares témoignages de végétation étaient des arbustes sempervirents malades survivant par la force de leurs profondes racines.
Cette planète n’était pas un lieu de vacances. C’était l’archétype de la jeune colonie bâtissant sa prospérité future sur le commerce de quantité de ressources naturelles en direction des mondes en ayant été vidés avant elle, sa population de quelques milliers d’âmes entièrement vouée à cette activité au nom d’un avenir meilleur pour les enfants qui viendraient et vivraient encore dans ce seul but. Peut-être leurs petits-enfants verraient-ils le début d’une autonomisation, d’un processus d’autosuffisance, d’un réel élan de développement, et, comme les autres, ils réapprendraient à aimer l’éducation supérieure, et à viser de nouveaux cursus, et à contribuer au développement de leur espèce dans sa totalité, pendant que, des années-lumières plus loin, d’autres mondes alimenteraient le leur comme le leur en avait alimenté autrefois.
Pour le moment, c’était une mine à ciel ouvert sans guère d’intérêt. Alors, que venait faire Jack ici ? Facile ! C’était un chasseur de primes, et ce genre de mondes était idéal pour aller se planquer quand on était recherché. Il y avait peu de police et les employeurs n’étaient pas regardants, voire pas du tout. Le
Masterclass passait de longues périodes dans les franges coloniales, raflant des contrats divers en difficulté et en bénéfice, remplissant les caisses toujours proches de la banqueroute avant de recommencer de plus belle. Il était courant que Spike et Jack choisissent leurs contrats indépendamment pour aller plus vite et couvrir plus de terrain et, aujourd’hui, ce dernier avait dégoté un contrat intéressant, bien payé, sans trop de détails mais certainement facile à faire sortir de terre.
Le vaisseau se posa sur le terrain aplani et poussiéreux servant ici de spatioport de plaisance, et il coupa les moteurs avant que, la poussière se dissipant, il ne repère finalement la silhouette d’un autre vaisseau qui lui fit grincer des dents et lâcher une exclamation de mépris.
« Rico ! »Si ce salopard était là, les choses allaient vite devenir compliquées. Rico n’était pas juste un opportuniste vicieux, c’était un sale traître, un enfoiré de premier ordre qui n’hésitait pas à nuire à sa concurrence, même si elle n’était pas sur ses talons ou en train d’essayer de lui mettre des bâtons dans les roues. Le gars allait toujours en solitaire, et on disait que personne ne le supportait. On avait dit qu’il avait travaillé en binôme, dernièrement, mais la rumeur disait que celui-ci avait fini par se dissoudre. Binôme ou non, le gars restait seul et le méritait bien.
Le vétéran, échaudé par sa présence, vérifia son revolver à impulsions à balles de .45 AP-HE et s’équipa de son fidèle fusil automatique de 20mm à munitions variables, le passant en bandoulière avant de quitter rapidement son appareil. Le temps pressait si ce salopard était déjà là, et il eut la confirmation qu’il venait de partir au bar jouxtant la piste. Bien ! S’il voulait jouer…
Plutôt que de partir à sa poursuite, le sachant prompt à tendre des pièges, Jack versa un pot-de-vin au barman pour quelques informations sur sa cible et se mit en chasse à son tour, se dirigeant vers la raffinerie de silicium qui lui avait été indiquée et les quartiers ouvriers la bordant.
C’était l’endroit parfait pour un traquenard, mais il ne partirait pas d’ici les mains vides.