La vie est faite d’étranges coïncidences, que certains nomment le hasard, et que d’autres ne remarquent même pas.
C’est ainsi que, parce son voisin s’est blessé à la main en bidouillant dans son moteur, que Monsieur Nikiro a dû le conduire à l’hôpital.
C’est ainsi que, parce qu’il ne savait pas quand il sortirait de l’hôpital, que Monsieur Nikiro a téléphoné à la directrice de l’école, pour lui annoncer avec regret qu’il ne pourra pas réaliser les photos de classe prévues l’après-midi.
C’est ainsi que, parce qu’il est le meilleur ami de son mari et aussi un féru de photo, la directrice a aussitôt téléphoné à Monsieur Tamashi, pour trouver une solution.
C’est ainsi que, parce que les trois premiers contactés n’ont pas répondu, que Monsieur Tamashi a eu une réponse favorable de Camille L pour remplacer au pied levé.
C’est ainsi que Camille L, parce qu’il… non, ça, c’est pour plus tard !
Camille n’est pas vraiment un spécialiste de la photo scolaire mais, comme il sait faire des portraits, et comme il faut aussi de l’argent pour manger, il a remercié Monsieur Tamashi d’avoir pensé à lui.
En bon photographe, qui espère vivre de son art, Camille a un sac photo toujours prêt, ce qui est utile pour foncer à l’école, et rassurer la directrice. Quoique “rassurer” est un bien grand mot, car la brave dame était habituée au travail de Monsieur Nikiro, et se demande comment un jeune blondinet va arriver au même résultat.
Mais, pas le choix, pas le temps ! Monsieur Tamashi lui a assuré que Camille L est un jeune talent prometteur.
Camille sait photographier, il ne doute pas d’obtenir un résultat suffisant ; une photo de groupe, qu’on rangera aussitôt dans un album qui prendra la poussière, voire qui sera encadrée dans le couloir de l’école où elle jaunira, ça n’a pas besoin d’être parfait, comme un portrait de star qui joue sa carrière sur un cliché.
Et les classes défilent, les élèves prennent la pose sans conviction, le résultat sur l’écran du boîtier valide le résultat. De la routine, du travail alimentaire, Camille ne voit que le chèque qui tombera à l’arrivée.
Encore trois classes et c’est fini. Celle-ci a un peu plus de difficultés à se discipliner, à se mettre en ordre. Camille donne les consignes, le professeur répercute avec les prénoms.
“Saïku, serre-toi vers le groupe.”
“Haroki, arrête tes grimaces.”
“Camille, viens plutôt devant.”
Camille L marque un temps d’arrêt, le visage empli de stupeur. Camille, un autre Camille là, avec ce prénom si peu courant ici. Ca, pour une surprise… mais ce n’est pas la seule.
Car il voit arriver, au premier rang, une jeune femme à la peau ambrée, dans une classique tenue d’écolière, mais avec une élégance inouïe.
Ce n’est même plus pour son prénom, mais par cette élégance sans ostentation, que Camille L reste les yeux fixés sur Camille, mais au féminin cette fois.
“Ca vous va comme ça?”, la voix de la professeure tire Camille L de sa rêverie.
“Euh oui”, répond-il sans vraiment prêter attention à l’ordonnancement du groupe, et en adressant un léger sourire à celle qui ne peut imaginer qu’ils ont le même prénom.
Camille L en est perturbé, au point de ne faire la mise au point que sur Camille, avant de recadrer sur le groupe. Il veut que la photo retranscrive à la perfection, sa perfection justement. Jamais il n’a vu de peau si belle, au point qu’elle perturbe la cellule de son appareil photo, tranchant avec la peau parfois blanchâtre des autres élèves. Il mitraille, heureusement en mode silence pour ne pas attirer l’attention, et c’est à regret qu’il voit partir le groupe, essayant néanmoins d’y repérer la silhouette de Camille, de dos. Aidé par ses boucles amples, il ne peut hélas pas vraiment l’admirer, cachée par d’autres élèves.
Il n’est plus vraiment concentré sur les deux autres classes encore à photographier, mais, professionnel jusqu’au bout, il veille cependant à assurer un travail de qualité.
Venant voir quelques clichés que Camille a transférés sur l’écran de son propre ordinateur portable, la directrice semble enchantée : “Il y a des années que nous travaillons avec Monsieur Nikiro, mais je suis pleinement satisfaite des photos que vous me montrez, et je ferai votre éloge auprès de Monsieur Tamashi”.
Des paroles positives et encourageantes pour Camille, mais il a autre chose en tête, et, bien que restant plus ou moins dans les parages jusqu’à la sortie des élèves, il ne parvient pas à revoir cette Camille qui l’a captivé.
Il range l’ordinateur dans son sac photo, après avoir une dernière fois regardé les clichés où figure Camille. Si Camille L est rarement satisfait de son travail, il l’est cette fois. Sans que le béotien ne le remarque, Camille sort vraiment du lot des élèves, sur la plupart des clichés. Camille a réussi à faire ressortir sa peau, son regard, sa chevelure, pas sa silhouette, quoique… en regardant celle-ci, Camille sent plus encore son coeur battre.
“Joli brin de jeune femme, mais peu probable que je la recroise.”
L’esprit vagabond, Camille L prend la direction du Starbucks Coffee. Il connaissait cela en Europe, il y est aussi allé lors de son séjour aux USA, et il a adopté celui de Seikusu comme QG, notamment pour recevoir ses contacts photo ; on ne donne jamais une adresse de suite dans ce milieu parfois glauque, et mieux vaut un lieu public pour voir à qui on a affaire.
Son immuable Iced Cappuccino sur la table, il ouvre son ordinateur, pour faire un pré-tri de son travail, et ne garder que deux ou trois clichés par classe, sauf pour celle de Camille où il garde tous les clichés sans exception, et essaie même plusieurs recadrages pour n’avoir qu’elle sur certaines photos.
Pour retrouver une autre Camille dans Seikusu, il faudrait une incroyable coïncidence !