Un voyage tumultueux mais surtout coûteux [PV Balhzanar]

C'était le cœur de l'été, il faisait donc tout naturellement chaud, très chaud. Mais c'était encore pire quand on est aussi proches d'un désert.

Cela faisait maintenant trois mois qu'Ebène avait quitté son chez elle, son père et son atelier, pour se lancer dans ce voyage que tout le monde trouvait insensé. Pour elle, c'était important. Ghunter était mort depuis un an maintenant, et elle ne s'en remettait toujours pas. Elle en pleurait la nuit, enfouie dans son oreiller, quand elle ne cauchemardait pas de la fin qu'il avait reçu. Elle le revoyait, attaché sur le poteau, la tête dans un sac, alors que sa mère avançait la torche vers ses pieds cachés par la paille. Alors, pour tenter de faire enfin son deuil et avancer dans la vie, Ebène avait décidé, en ce jour anniversaire maudit, de faire « pélerinage » : refaire le voyage qu'elle avait fait il y a deux ans pour retrouver son grand-frère, et espérer enfin éteindre sa peine.

Le voyage était très long, surtout quand on est une adolescente, seule, dans le désert. C'était encore pire quand la même adolescente se retrouvait sans argent. La pauvre avait eu le malheur de croiser sur son chemin une bande de voleurs, qui s'étaient bien amusés à se jouer d'elle pour lui piquer sa bourse, avec ses quelques économies. Résultat, en arrivant au port, Ebène n'avait pas l'argent pour payer le voyage vers l'autre côté de l'étendue gigantesque d'eau.

« Comment vais-je faire... Je pourrais bien me faire un petit peu d'argent en une semaine, de quoi prendre une barque, mais... Je ne sais pas naviguer, je vais me perdre ! »

Après réflexion, Ebène décida de mettre son plan à exécution. Par chance, on avait besoin de quelqu'un qui sait travailler le bois, et elle n'eut que peu de problèmes à se faire engager. L'argent tomba donc dans ses poches, et en une semaine, elle put avoir son embarcation. Mais la jeune fille avait peur.
Une fois dans son petit bateau, avec l'eau si proche, elle tremblait. Est-ce qu'elle avait fait le bon choix ? Est-ce qu'elle ne ferait pas mieux de faire demi-tour ? Ebène serra son médaillon, un petit pendentif argenté en forme de colombe, symbole de sa déesse. Elle le faisait pour le pardon, le salut de son frère. La déesse de la miséricorde veillerait sur elle. Il le fallait. Terminant sa prière, elle poussa du pied le pont et s'engagea sur l'eau, déterminée.

Mais trois jours plus tard, Ebène n'avait plus de détermination du tout, et pleurait à chaudes larmes sur son petit bateau. Elle s'était perdue, comme elle l'avait présagée, et ne savait plus quoi faire. Normalement, le voyage maritime n'aurait pas dû être très long, à peine quatre jours. Mais là, sans voir la terre, elle savait qu'elle était loin de sa destination, et aussi fragile qu'elle était, cette idée lui brisait le cœur. Essuyant ses larmes, elle regardait son sac, ouvert, sur ses maigres provisions.

« Que faire, que faire... ? Je n'ai presque plus rien, je pensais reprendre de la nourriture au port.... Je ne veux pas mourir ici ! Pourquoi la déesse ne m'entend-elle pas ? Est-ce que je devrais plutôt adresser ma prière à un autre dieu ? Manann, dieu des mers et des océans, je t'en prie, aide-moi à trouver mon chemin ! Je prierai pour toi une fois sur terre, et ferai des offrandes, mais je t'en supplie, écoute ma prière, et sauve-moi ! »

Le silence des abysses peut être décrite comme angoissante. Mais ça, c’est uniquement pour les créatures qui n’ont jamais expérimenté un calme presque parfait. Le soleil n’atteint jamais ces lieux. Mais fermer les yeux et nous voila presque dans les mêmes conditions ? Ce n’était donc qu’un état d’esprit ou la sensation d’insécurité qui perturbait l’équation. Mais ce qui était surtout différent, c’était que la loi du plus fort régnait toujours en maitre sans que les êtres vivants de la surface ne viennent perturber cet équilibre. Un état sauvage presque pure puisqu’il était de temps en temps mis à mal par des déchets indésirable … Les pécheurs qui disaient ne pas craindre l’océan n’étaient que ceux qui grattait la surface de celui-ci pour nourrir des bouches sur les rives. Ceux qui avait vécu une expérience bien plus périeuse et survécu aux dangers mortels de ce désert d’eau savaient, eux.

Dans ce calme … il y avait une perturbation. Balhzanar la sentait, l’entendait. Il n’y avait rien de plus affreux qu’une telle voix. Le genre de voix qui se glissait dans l’oreille d’une manière si aigue … Le genre de voix qui était destiné au ciel ! Pourquoi diable celle-ci venait-elle à son oreille ? Son regard traversait l’océan, passant outre le brouillard de l’obscurité des profondeurs. Un bateau ?! Ce genre d’appel n’était que pour les personnes pieuses. Mais celui-ci prouvait bien qu’au milieu du désert d’eau, les prières se détournaient. Un sauvetage ? Voilà ce qu’elle désirait. Un payement une fois sur terre ? Voila qui était désagréable. Une si petite embarcation prouvait sa pauvreté. Le démon doutait fort qu’elle puisse payer sa dette un jour. Peut-être pourrait-il au moins y trouver un peu d’amusement ? Ses services étaient peut-être pires que le prix de son âme, demandé par un certain démon nommé diable.

Mais il ne répondait pas à son appel tout de suite. Il préférait observer. Y a-t-il une autre créature indésirable qui allait répondre à son appel ? Les minutes passèrent … cela devint ensuite une ou deux heures. Toujours rien. Cette âme semblait avoir été abandonné par ce qu’elle priait. Décidant de la retirer de sa peur … ou de gonfler celle-ci, il fit sentir sa présence. La surface de cette étendue d’eau étant d’un calme peu rassurant, voilà que l’embarcation venait de suivre le mouvement d’une vague, formé par quelque chose qui passait en dessous de celle-ci. Bien que pas visible, pour faire une telle différence de volume lors de son passage, cela devait être un gros objet. Mais cela n’avait pour but que de réveiller la demoiselle, de la mettre en alerte et de faire bouger tout ce qui se trouvait sur l’embarcation.

Puis … silence. Rien … Laissant la jeune femme s’assurer qu’il n’y avait pas de danger. Il profitait qu’elle ait le dos tourner pour apparaitre en posant ses deux pieds sur la proue, laissant le bateau se pencher sur ce nouveau poids qu’il accueillait afin de surprendre la jeune fille … Il l’observait de sa hauteur, ayant choisi le moment ou le soleil était derrière lui pour qu’elle puisse s’imaginer diverse joie sur son arrivée. Feinter le divin était une chose à faire tout en étant simple dans ce cas précis. Il n’était guère mouillé malgré le fait qu’il soit sorti des profondeurs. Son apparence était celle qu’il gardait d’habitude. Bien que ce soit son apparence de démon, il n’avait pas les cornes de ses congénères. Il pouvait donc passer pour autre chose. Vêtu de blanc, il s’adressait alors à la jeune femme …

-Jeune fille qui dérive loin des terres … Tu m’as appelé et me voici. Ta déesse t’a abandonné sur le chemin de la mort … Mais il t’est encore possible de survivre.

Balhzanar était clair dans ses propos. Il insinuait que sa déesse l’avait abandonné dans ce périple perdu d’avance. Cependant, sa vie était maintenant entre ses mains à elle. Qu’allait-elle décider ? Le démon s’approche alors d’elle d’un pas lent avant de se pencher légèrement vers elle, plongeant son regard dans le sien. Il ne se montrait pas hostile mais … curieux. En réalité, il cherchait ce qu’elle pourrait avoir en guise de payement …

-Je peux t’arracher du chemin sur lequel tu t’es engagé … mais comprend bien que ce serait comme t’offrir une deuxième vie. Cependant … Je vois aussi le peu de valeur que tu as accordé à ta vie en empruntant ce chemin sans retour en accordant ta foi à une déesse qui ne te rend pas à juste valeur de tes prières … J’aimerai que tu prennes le temps de réfléchir à ce qu’il faudrait que tu … changes ?

Cesser de croire en un dieu stupide et diriger ses prières vers une entité qui la sauvait … Que sa foi aveugle soit dirigé ailleurs … Il fallait la détourner. Elle était maintenant consciente qu’il y avait que la mort au bout de ce chemin. Était-ce vrai ? Car peut-être que cette mort viendrait de la main de Balhzanar sur une de ses apparences mythiques. Cela allait sans rappeler la différence de volume qui avait soulevé sa barque tout à l’heure … Toute cette mise en scène n’était qu’une introduction du doute dans son esprit pour que l’histoire prenne une tout autre tournure dans ce livre qui est écrit aujourd’hui. Il prit la peine de s’assoir sur la proue pour attendre sa réponse. Elle avait tout le temps … du moins, jusqu’à ce qu’elle manque de nourriture.

-Tu as, je te rassure, un peu de temps devant toi pour réfléchir. Toutes les décisions que tu prendras en ce lieu ne dépendent uniquement que de toi et toi seul. Toi, face à deux chemins.

L’un d’eux était sombre et froid … et l’autre n’était qu’un amas d’inconnus.

Agenouillée sur le fond de la barque, Ebène avait les yeux fermés, pour donner de la force à sa prière. Le soleil lui chauffait le dos, mais elle ne faiblissait pas dans sa dévotion. Si elle n'obtenait pas de réponse pour le moment, ce n'était pas grave, elle savait que les miracles mettaient du temps à arriver. Mais alors qu'elle se remettait sur ses deux jambes, elle fut projetée sur le côté et cria. Un poids soudain venait de faire basculer la barque. Relevant les yeux, sa capuche coulant sur ses cheveux trempés, elle regarda la créature qui se tenait devant elle, incapable de cacher sa peur. Il avait l'air bizarre, il ne ressemblait pas à un humain normal, et n'avait aucunement l'apparence des dieux qu'elle vénérait. Un mot clignotait dans son esprit comme une alarme : démon !
« Jeune fille qui dérive loin des terres … Tu m’as appelé et me voici. Ta déesse t’a abandonné sur le chemin de la mort … Mais il t’est encore possible de survivre.
- Tu n'es pas Manann, j'ignore qui tu es, mais ma prière ne t'est aucunement adressée ! Seul un démon ou un fou oserait bafouer le nom de Shallya ! »
Plus elle l'observait, plus elle se méfiait. Les miracles n'apparaissaient pas sous forme humaine pour proposer de l'aide, encore moins faire un échange. La déesse n'est que bonté, miséricorde et pardon, jamais elle ne cherche le profit. Ebène écouta attentivement la suite de ses dires, mais sans pour autant lui accorder la bonne foi qu'il prétendait avoir. A vrai dire, il l'agaçait, même, surtout en dénigrant ses actions, ses choix de vie. A ses yeux, cela prouvait qu'il n'était pas un dieu, puisqu'il n'arrivait pas à percevoir les malheurs qu'elle avait traversé.
« Tu as, je te rassure, un peu de temps devant toi pour réfléchir. Toutes les décisions que tu prendras en ce lieu ne dépendent uniquement que de toi et toi seul. Toi, face à deux chemins.
- En ce cas, laisse-moi réfléchir et cesse de m'adresser la parole. »
Malgré la colère, l'inquiétude embrumait son esprit. Et si, comme il le disait, personne n'entendait ses mots ? Après tout, les démons savent détourner les souhaits et empêchent qu'ils atteignent les dieux. Si un démon farceur s'amusait à bloquer ses prières pour se jouer d'elle, que se passerait-il ? Et si, plutôt qu'être un démon, il s'agissait d'une sorte de demi-dieu ou d'élu, comme l'était l'empereur ? Petit à petit, le doute s'installait en elle. Elle réfléchissait, tandis que le soleil continuait de lui rôtir le dos, et séchait ses cheveux noirs. Et le temps passa.
Le ciel commença à prendre une teinte orangée, et Ebène regardait avec attention le fond de son outre. Il n'y avait plus beaucoup d'eau, sans doute juste assez pour tenir le lendemain. L'eau était calme, et Ebène avait repris les rames pour avancer. Elle se persuadait que, comme il n'y avait que peu de distance d'une rive à l'autre, elle allait bien finir par toucher la terre. Sauf qu'avec la lune haute dans le ciel, elle ne voyait toujours pas de terre à l'horizon. Et elle commençait à désespérer. Ebène regarda donc sur le bateau, pour observer la drôle de silhouette qui était toujours là à la regarder, avec comme une lueur dans les yeux. Tout ce qu'il y a de plus inquiétant.
« Qu'est-ce que tu attends de moi, au juste ? »

La peur se lisait sur le visage de la jeune fille. Elle n’était vraiment pas habituée au caractère d’une surface d’eau. Elle avait crié au mouvement du bateau lorsqu’il avait posé ses pieds dessus. Cela prouvait qu’une seule chose. C’était une débutante. Cela expliquait qu’elle se soit si bêtement perdue au milieu de cette étendue d’eau.

- Tu n'es pas Manann, j'ignore qui tu es, mais ma prière ne t'est aucunement adressée ! Seul un démon ou un fou oserait bafouer le nom de Shallya !

-J’ai la décence de venir à toi, qui t’es perdue au milieu de cette étendue d’eau, et c’est ainsi que l’accueil m’est fait ? … Je comprend mes confrères qui ne répondent plus aux appels.

Il y avait une part de mensonge dans ses dires. Il n’était en aucun cas le confrère d’un dieu ou d’une entité lumineuse. Mais il était au même niveau que les princes des enfers. Il n’y avait aucune assurance qu’un dieu vienne à son secours. Mais en sa présence, cette chance s’est tout bonnement envolée. Aucun d’entre eux ne viendrait prendre le risque d’entamer des hostilités avec Balhzanar. D’autant plus que le contact n’a jamais été plus loin que des anges qui essayaient de sauver des âmes de la noyade … Pour le démon, cela faisait partie du jeu.

L’irritation était en tout cas lisible sur le visage du démon. Il faut dire qu’il avait parcouru quelques kilomètres … Même si cela avait pris peu de temps. Il avait la générosité de lui offrir le choix entre la mort qui lui était destinée si elle continuait ainsi ou la survie. Ce choix n’était pas gratuit, certes, mais elle avait au moins une chance à saisir pour rester en vie. Et pourtant … Elle semblait vouloir s’éterniser ici … Mauvais choix. Dériver davantage ne fera qu’augmenter le prix de son sauvetage.

- En ce cas, laisse-moi réfléchir et cesse de m'adresser la parole.

-Tss …

Il avait envie de lui balancer qu’il devrait repartir … Et il était loin de s’attendre à ce qu’il doive attendre aussi longtemps. Il lui fera payer cher ce manque de respect. Comme le temps finissait par défiler de manière mortelle, il se désintéressait d’elle rapidement. Elle pouvait essayer de ramer, de se sortir de cette passe toute seule, réfléchir … Il ne la calculait plus. Il se tournait un peu vers l’étendue d’eau en laissant sa main plonger dans celle-ci. Plusieurs poissons venaient nager autour de sa main, donnant l’impression de venir saluer leur roi. Ils venaient en réalité juste affirmer leur soumission au maitre des océans. Puis … Il s’amusait à laisser un petit arc d’eau sortir de l’océan et lui passer par-dessus la tête et le bateau avant de revenir dans l’étendue d’eau, semblant sombrer dans une méditation profonde par moment après s’être assis. De temps en temps, un poisson passait dans cet arc. Ainsi, il ne se rendait pas compte du temps qui passait. Il n’adressa plus la parole à la jeune humaine comme elle l’avait demandé. Mais … Le temps vint ou il fut perturbé par de nouvelles paroles. Cette perturbation le déconcentra assez pour que l’arc d’eau s’écroule sur lui, trempant ses vêtements.

-Qu'est-ce que tu attends de moi, au juste ?

-Il est de coutume chez les êtres humains qu’ils paient le service rendu. Tu as certainement dû débourser une certaine valeur pour cette embarcation. C’est le même principe avec n’importe quel service miraculeux. Beaucoup servent des offrandes à leur dieu … Certains par le sacrifice et d’autre par les biens les plus précieux qu’ils possèdent.

Il se redressait alors, se mettant debout avant de s’étirer. Voila trop longtemps qu’il était resté dans cette position. Il soupira de plaisir en sentant ses muscles se détendre lentement. Les vêtements blancs qu’ils portaient étaient devenu légèrement transparent, laissant le loisir à la jeune femme de deviner la musculature de l’individu en face d’elle. Il lui faisait désormais bien face, semblant l’analyser pour savoir ce qu’elle pourrait offrir …

-Cependant, en t’observant, tu n’as pas l’air d’être friande du sacrifice et du sang des bêtes. Tu ne semble pas avoir de richesses … Il faudrait peut-être que tu présentes tes valeurs ? Ce que tu es prêt à sacrifier ? On dit souvent qu’une vie n’a pas de prix … Mais le plus souvent, on se rend compte de sa valeur lorsqu’il est trop tard. Comme je te l’ai dit plus tôt … tu as le choix. Il faut juste assumer les conséquences de ce choix.

Il baisse son regard sur son outre. L’eau viendrait à lui manquer. La nourriture aussi. Ensuite, ses forces la quitteront lentement … Et plus elle tentera de se tirer du courant qui l’attire loin des côtes, plus elle fera en sorte que la triste fin frappe à sa porte. Mais il fallait tout de même montrer l’irritation qui habitait son esprit sur cette rencontre. Après tout, voilà longtemps qu’il attendait la décision de la jeune femme désormais.

-Je pensais ta flamme plus vive que ça … Peut-être t’ai-je accordé trop de mon temps ?