Que ce soit lors du départ de la prêtresse, comme lors de la distribution de l'alcool, il ne fut pas un seul des hommes qui remarqua l'absence d'Elynie. La demoiselle avait cela de discret qu'elle n'était pas nécessairement dans le besoin de se dissimuler ou de faire attention à ses sorties. Elle s'éloigna simplement du camp, traversa la bordure lumineuse du brasier pour alors se retrouver sous la chape stellaire, observant au loin la myriade d'étoiles qui occupaient le paysage nocturne. Ce monde était beau, c'est ce qu'elle ressentait en son coeur, malgré l'élan de nostalgie qui y guettait depuis quelques instants. La prêtresse n'aurait pas doutée que la simple vue d'un ouvrage magique puisse lui faire ce genre d'effet, mais là était la preuve que ses racines étaient encore trop proche d'elle pour qu'elle parvienne à les abandonner, ce malgré ses voyages et ses errances. La vie de vagabond avait du bon, encore plus quand l'on possédait un frère comme le sien, mais ... Là, en cette soirée, elle avait un grand besoin d'extérioriser. La nécessité de soupirer, sans faire acte de façade.
"
... Comme tout ça me manque. "
La vie chaleureuse de l'église, les échanges avec les gardes de la cité, les dons et la charité faites aux enfants et aux sans-abris. Les balades en dehors de la cité, pas de celle qui te font souffrir après des heures et des heures de marche forcée... Faire abri pour tout les voyageurs sans refuges, plutôt que de devoir, comme ce soir, quérir la bonté de groupes plus importants afin de connaître sérénité et chaleur. Elle se tourna de nouveau vers le camp, un léger sanglot perché haut dans sa gorge, dont seul la décence l'empêchait de le faire sortir, malgré sa solitude. Ce genre de milieu, qu'elle ne connaissait que depuis peu, était certes une belle expérience, mais Elynie savait qu'au plus profond de son être elle ne désirait que retrouver son passé, ou un semblant de celui-ci : la vie dans un foyer, stable, là où elle pourrait avoir l'espoir d'offrir aux autres tout ce qu'ils ne pouvaient espérer. Sur les routes, bien trop de paramètres l'en empêchait, ne serait-ce que sa propre nécessité. Le chemin allait être encore bien long avant qu'elle ne puisse goûter à nouveau à son rôle, à son désir de guider, de prendre soin d'autrui. Et pourtant...
Pourtant elle savait qu'elle pouvait encore accomplir certaines choses. C'était ce qu'elle faisait en cette soirée par ailleurs, offrir son aide, prendre soin des membres du camp. C'était un peu gênant en un sens, car la fausse elfe le faisait notamment avec en tête la nécessité de leur rendre la pareille, pour leur accueil, leur sympathie, le fait qu'ils partageaient tous ce soir le même domaine, au coeur d'une terre de dangers. Tout en y réfléchissant, la demoiselle baissa un peu la tête, perdue dans ses pensées, avant de lentement relever ses doigts en direction de ses oreilles inhumaines... puis de venir en caresser le dos délicatement. Une habitude infantile, mais qui lui permettait, encore maintenant, de se détendre, de calmer ses moments de doute. Kin la taquinerait s'il avait put voir ça, bienheureusement, il ne l'observait pas. En revanche, ce geste apaisant permit à la prêtresse de souffler profondément, de passer au-delà de son instant de trouble. Oui, elle n'était pas chez elle, elle n'était plus la figure de proue d'un culte ancien. Mais elle restait une personne qui portait en son être toute la volonté des dragons d'argent. Prendre soin d'autrui, veiller sur le bonheur de tous.
"
Allez, du nerf ma grande. Tu y retournes, tout vas bien se passer ! "
Elle se redresse, relâche la pointe de ses oreilles puis retourne en direction du camp, prête à finir la soirée.
*
* *
Forcément, la promesse de l'alcool avait rendue les gaillards autour du feu bien animés. Loquaces qui plus est, chacun allait de son petit commentaire ou de ses avis sur ce qu'il se passait dans la soirée, ce jusqu'à ce que la mage vienne les rejoindre pour demander de l'aide afin de produire la liquoreuse boisson. Ulrick, lui, était interdit. Perdu tantôt dans ses contemplations, tantôt dans sa fuite la plus absolue pour éviter que l'on remarque ses attraits et ses doutes, le pauvre cadet de la compagnie sentait bien qu'il devait être ridicule... Mais ne trouvait pas du tout la force suffisante pour assumer ses émotions du moment. Tandis que ses collègues ne tarissaient pas d'éloges en plongeant leurs verres dans le tonneau afin d'en récolter l'alcool, lui ne bougeait pas de son siège, peinant encore à faire disparaître le repas qui lui avait été servi par la prêtresse. Il releva la tête dans un signe d'abandon, tomba immédiatement sur les prunelles de la mage. Ses joues le brûlèrent, avant qu'il ne tourne la tête soudainement, prit sur le fait de son émoi. Pitié qu'elle ne le comprenne pas...
N'osant regarder vers elle qu'un peu après, le jeune soldat remarqua son départ en direction de la marmite. Bon, elle ... Elle allait se servir, tant mieux, ça lui donnait du temps pour se reprendre. Massant ses joues, cherchant tant bien que mal à essuyer son front et ramener ses mèches de cheveux sauvages en arrière, le damoiseau tentait de se trouver une contenance par l'entretien de son faciès. Le résultat était maigre : S'il sentait effectivement un peu mieux l'air frais du soir, ce n'était pas pour autant que la sensation cuisante de ses joues semblaient s'amenuir. Chose qui n'alla pas en s'arrangeant : À peine crût-il enfin reprendre un peu le contrôle de son émoi, une ombre plana au-dessus de lui, l'amenant à tourner la tête vers ce qui faisait barrage à la lumière du feu. Il s'attendait à un de ses collègues, prêt à lui offrir une honnête taquinerie. Il vit à la place la belle femme aux cheveux bleus, son corps moulé dans la robe de laine, son air doux et son merveilleux sourire :
"
Puis-je me joindre à vous ? "
Quelque chose en lui hurla. Son esprit, le coupable du hurlement intérieur, mit de longues secondes avant de comprendre le ridicule de la situation. Lui, immobile devant la demoiselle souriante alors qu'il n'était parvenu à lui donner la moindre réponse. Pour corriger cela, tout ce qu'il put faire fut de détourner le regard à nouveau, les doigts serrés sur son auge, avant de faire un mouvement de tête rapide, de haut en bas, comme pour lui signifier qu'elle pouvait parfaitement se poser à ses côtés. Ce qu'elle fit, occasionnant pour le jeune homme un second cri de l'âme alors qu'il sentit un court instant son bras frôler le sien. Il n'allait pas survivre à cette soirée, c'était certain, son mental était trop faible pour tenir le coup face à un tel... un tel...
"
Vous ne mangez pas? Vous pouvez aller vous servir de l’hydromel aussi. "
Quelques tremblements, quelques gestes vifs, comme pour tenter de se donner la force de dire quelque chose, mais il n'y parvenait pas. Par bonheur, ses collègues revinrent plus ou moins à ce moment là, hélant la magicienne et la félicitant pour la qualité de son alcool. Parfaite distraction, le jeune homme put en profiter pour en prendre rapidement trois grosses bouchées, comme pour se donner de l'avance si la demoiselle aux cheveux bleus venait observer à nouveau le contenu de son auge. Mais ça n'allait pas le sauver au niveau de la parole. Il fallait qu'il parvienne à lui parler, c'était un devoir, il ne pouvait pas rester muet et effacé toute la soirée. En plus il aurait l'air d'un parfait crétin. Alors il se prépara intérieurement, chercha comment répondre, sans bégayer, sans perdre le contrôle de sa langue. Aussi, quand elle se tourna de nouveau vers lui, quand elle lui demanda son prénom, il se raidit certes, mais en revanche parvint à lui faire face pour alors ... perdre tout courage en ouvrant ses lèvres :
"
E-Eh euh... J-j-je... Ul...U... Je m'appeeeeeeeee... "
La honte l'étreint. Il rougissait à nouveau mais pour une raison bien différente, celle de ne pas être à la hauteur et de se rendre ridicule malgré toute la bonne volonté du monde. Il aurait put en désirer crever, si ce ne fut pas pour l'apparition salvatrice d'une troisième partie :
"
Eh bien Ulrick, tu n'as pas faim ? Un grand garçon comme toi, tu devrais me dévorer cette assiette, tu en as sûrement autant besoin que tes camarades ! "
Elynie, grand sourire, était arrivée dans le dos du duo en pleine tentative de discussion. En soi, ce fut presque une libération pour le jeune homme, un léger coup de pouce, mais suffisant pour qu'il s'élance enfin de lui-même. Se tournant vers Elynie, il lui répondit avec calme, malgré sa gêne apparente, pour alors se tourner vers celle qui le perturbait tant... Parvenant enfin à lui parler sans perdre toute contenance :
"
Je ... Je manges doucement, ne vous en faites pas ma soeur. Hum je ... Enchanté dame magicienne, je m'appelle... Je m'appelle Ulrick, je suis le cadet des membres du Crocs. Pardonnez mon silence je... Je ne savais comment répondre. "
Fière de son coup, Elynie dépassa les deux personnes assises l'une à côté de l'autre, puis s'avança en direction du reste de la troupe. Dans les faits, elle avait bien compris les désirs du jeune homme, combien la magicienne occupait ses pensées, mais elle ne savait pas encore à quel point le damoiseau nourrissait ces fameux désirs. Est-ce qu'il la voulait pour lui ? En avait-il après sa chair ? Ou était-ce simplement un coeur d'artichaut qui se voyait déjà parler de fiançailles ? En tout cas, si elle voulait lui donner un coup de main, c'était malheureux, mais elle devait surtout parler avec ses trois autres collègues, actuellement en train de s'enivrer de bon alcool. Elle s'approcha d'eux dans un certain calme, visiblement à l'aise dans ce genre de situation de par son statut, puis se glissa jusqu'à l'oreille du plus vieux, chuchotant tout bas pour que le crépitement des flammes couvre ses syllabes :
"
Désolé de vous importuner, est-ce que je peux vous soumettre une idée, rapidement ? "
Un regard rapide entre les deux ne manqua pas de faire comprendre le sérieux de la demande. Ils s'éloignèrent de quelques pas supplémentaires, avant qu'Elynie n'apporte sur le tapis son idée :
"
On est d'accord, votre petit gars a le béguin pour ma protégée. En soi, ça ne me gêne pas, mais si on veut laisser les choses se faire, peut-être ... que vous pourriez avoir besoin d'un petit somme ? Genre d'ici peu ? Avec vos autres gars ? Je promets de veiller sur le blondinet aussi, d'accord ? "