Nouvelle égérie - Lilly

Oui, c'était bien là, comment oublier ? Shinjo poussa la porte du bar, entrant dans l'indifférence générale. Il appréciait cet anonymat qu'il s'était construit malgré sa fortune. A l'époque de ses premières découvertes, il aurait pu afficher son visage partout, attirer les regards et devenir ce qu'on appelerait une star. Mais il avait anticipé, ne voulant pas se montrer plus que de raison, et ainsi toutes les avancées passaient au travers de sa société. Son nom était connu, mais peu avaient vu des photos de lui et pouvaient faire le lien.
Alors ce n'était pas étonnant que personne ne se retourne à son entrée ici, dans ce bar anodin de Seikusu. Mais pour lui, ce bar n'avait rien d'anodin, il y venait sciemment. La première fois néanmoins, ça avait été le hasard qui l'avait poussé ici. C'était il y a quoi ... Deux, trois mois ? Il était en déplacement, et il était entré sans savoir à quoi s'attendre, voulant juste oublier une dure journée, et loin de savoir ce qu'il allait découvrir. La soirée en elle même n'avait pas été mémorable, quelques verres, deux ou trois bribes de discussion, rien de transcendant. Mais il y avait aussi eu Lilly.

Shinjo n'était pas le genre charmeur à tout va, à tenter sa chance avec chaque fille qui lui plaisait. Il était plutôt du genre à prendre son temps, à choisir méticuleusement. Dans un autre contexte, dans un autre lieu, il aurait sans doute tenté de faire la connaissance de cette serveur enjouée et survoltée. Elle lui avait plu au premier coup d'oeil avec son look et son attitude. Mais il ne cherchait pas un coup d'un soir, et quand bien même, la jeune femme méritait sans doute mieux que cela.
Il avait donc observé une partie de la soirée la demoiselle, il avait un peu parlé avec elle, sans trop se livrer. Et il était reparti, comme il était venu. Mais sans l'oublier. Parfois, il lui arrivait encore de penser à elle, se demandant ce qu'elle devenait. Ils venaient de deux univers si différents qu'il avait du mal à se l'imaginer. Mais quelque chose l'avait poussé à revenir. Il serait peut-être revenu de lui même, par curiosité, par envie, quand il aurait eu plus de temps, mais c'était une toute autre raison qui l'avait entraîné jusqu'ici.

Habillé comme à son habitude d'un costume impeccable, il portait à la main une mallette, contenant la raison de sa venue. Ses équipes travaillaient d'arrache pied à améliorer son invention, mais également à en étendre les capacités, à proposer de nouvelles possibilités. La dernière en date se voulait être un bond en avant si cela marchait : un nouvel appareil, semblable à des lunettes, et qui permettrait d'afficher des choses dans le périmètre de vision, dans une réalité augmentée bluffante car elle se baserait sur l'imagination de la personne, comme cela se faisait dans les rêves. Les premiers essais étaient concluants et les testeurs se trouvaient bluffés par les possibilités, mais également désorientés par ce qu'ils pouvaient faire ou non, et aussi par la difficulté parfois à faire la distinction entre la réalité et ce que leur esprit rajoutait par le biais du mécanisme.
Décision avait été prise que pour éviter des dérapages et de futurs problèmes, il fallait tout de même un peu cadrer l'expérience des utilisateurs, et en cela, une aide virtuelle était sans doute une solution acceptable. Et sans trop savoir pourquoi, Shinjo avait pensé à Lilly. Pourquoi elle ? Il n'aurait su le dire, mais il pensait que le dynamisme de la jeune femme aurait pu coller comme modèle à cet assistant virtuel. Il aurait sans doute pu le faire à son insu, mais ce n'était pas son style, et il voulait donc demander son accord à la jeune femme. Voilà la raison.

Dans l'ambiance feutrée du bar, il avança d'un pas calme vers le comptoir, avant que son regard ne coule sur la serveuse, toujours aussi détonante à son regard. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres avant qu'il ne se hissa sur un tabouret, déposant sa mallette sur celui d'à côté. Il attendit patiemment, laissant les autres clients se faire servir et attendant son tour, qu'elle se retourne vers lui pour l'aborder.

Bonjour. J'aurai voulu un martini s'il vous plait. Et discuter un peu, si vous avez le temps.

Une drôle de demande, vraiment, mais il espérait piquer sa curiosité et qu'elle accepte. Il fallait au moins qu'il ait l'opportunité d'énoncer son idée, même si pour la suite il ne pouvait être sûr qu'elle accepte, il pourrait tenter de la convaincre avec tous les arguments qu'il avait pu trouver.

A cette heure de la journée, en fin d'après midi, le «Old Joe» accueillait généralement une clientèle fidèle qui recherchait un endroit calme où se poser avant que la déferlante de la débauche coïncidant aussi avec la fin des activités scolaires ne viennent ensevelir les débits de boisson sous une foule d'assoiffés déchainés avides d'oublier les affres de la journée passée. L'ambiance y était encore douce, Midori la DJ passant la bande d'une musique country teintée d'accents trainants tout en préparant ses listes plus animées pour la soirée à venir.

Lilly avait embauché peu de temps avant. Elle dirigeait le bar et son équipe de trois filles avait déjà pourvu le zinc de toute une mise en place destinée entre autres à la préparation des cocktails beaucoup trop présents sur la carte selon Lilly, mais le patron y tenait.

Ce métier, elle l'aimait. Il fallait qu'elle ai du monde autour d'elle qu'elle puisse extérioriser sa bonne humeur et dévoiler son attitude un peu exubérante quand la température montait dans le bar. les clients la kiffait, et pas que pour son physique même si ... Elle était cool, agréable, avec toujours un mot sympa pour chacun et même à l'heure du rush, elle perdait la seconde nécessaire à répondre à une question ou rire avec tout un chacun. C'était son job, teintée d'un léger jeu d'actrice mais ou perçait une sincère habitude d'accorder un peu d'attention à chacun.

Ce soir, ce serait soirée far west et elle portait un short en jean paré d'une énorme ceinture de cuir marron. N'y manquait que les étuis des révolvers. Sa poitrine, qui faisait des jalouses et des envieux étaient emprisonnée dans une brassière ultra courte mais presque dissimulée sous une veste denim tout aussi courte. Un foulard rouge autour du coup complétait l'ensemble et son chapeau qu'elle porterait plus tard, attendait au vestiaire. Parce que rester debout des heures faisait mal aux pieds, elle avait refusé de porter des 'tiags et se satisfaisait de son éternelle paire de Converse. De toute manière, avec ou sans bottes, ce sont ses jambes fuselées qu'on regardait ...

Plusieurs clients entrèrent en même temps et elle les identifia ou reconnut tous. Elle avait une bonne mémoire des visages. le pus rapide vint se planter en face d'elle. Ce vieil homme la courtisait depuis son premier jour au «Old Joe» mais ce n'était qu'un jeu et elle prenait plaisir à le faire rêver et lui promettre tout ce qu'il voulait. Elle les accueillit tous avec un grand «HI BOYS!!» bien de chez elle et les servit en un tour de main.

Le beau gosse s'était installé à l'écart et elle ondula vers lui comme une vampire en quête de sang frais.

"Hello Mister the businessman! On revient voir sa barmaid préférée?"

Elle exhiba une bouteille de martini rouge et une autre de martini blanc.

"Rosso ou Bianco? Je peux faire un mélange des deux mais s'il y'a réclamation, ce ne sera pas de ma faute."

Il était déjà venu une fois, Lilly n'oubliait pas les hommes qui lui plaisait et comme le style nippon dominait ici, il était plus facile aussi de se rappeler des styles étrangers, comme le sien.

"Et j'ai toujours le temps pour discuter avec un bel homme qui porte sur lui courtoisie, élégance et ... mystère." dit-elle en désignant la mallette d'un index manucuré.

"J'aimerais vous voir plus souvent chez nous, on ne parle pas que de cowboys et de vaches à capturer ici vous savez. Moi..." Lilly se pencha sur le bar, devant lui. "... tout m'intéresse."

Une manière comme une autre d'harponner un client n'est ce pas?

La façon qu'eut la serveuse de lui répondre l'amusa. Elle correspondait à son souvenir, avec cette fraicheur dans l'attitude, cette façon de mettre à l'aise. Et ce sourire enjôleur ... Il devait être pour beaucoup dans la réussite de ce bar.

Vous avez tout compris !

Répondit-il quand elle parla de sa barmaid préférée. Autant rentrer dans son jeu. Shinjo n'était pas du genre timide, il savait parler, il avait seulement un peu plus de retenue qu'elle, de part son milieu social. Les soirées mondaines n'autorisaient pas tellement ce genre de comportement, et cela lui faisait du bien de sortir pour une fois de ce carcan trop étroit.

Rosso, bien évidemment.

Il précisa, bien qu'il appréciat l'un comme l'autre, ce soir ce serait le rouge. Au moins, il avait attiré l'attention de la jeune femme se dit-il en la voyant lorgner sur la mallette. Ou bien l'aurait-elle fait de toute façon, même s'il n'avait pas demandé à lui parler ? Elle semblait suffisamment se soucier des clients pour prendre le temps, et il se trouva bête d'avoir pu douter de cela.

Je peux venir plus souvent, mais ce sera donnant donnant alors, et je ne parle pas de vaches ou de cowboys.

Un large sourire barrait encore le visage de Shinjo, amusé et mis à l'aise par le petit numéro de la jeune femme. Il fallait lever le mystère, c'était bien cela ? Il déplaça la mallette devant lui, pour en faire sauter les attaches. Cela fait il ouvrit la mallette, dévoilant son contenu à la demoiselle. A l'intérieur se trouvait une drôle de paire de lunettes ... Ou bien était-ce un casque de réalité augmenté ? Cela semblait à mi chemin entre les deux, mais à voir les câbles, on se doutait que c'était un prototype. Désignant l'objet, il ajouta.

Je ne vais pas vous mentir, je suis venu exprès pour vous. Mais avant de vous dire exactement pourquoi je suis venu, j'aimerai que vous essayiez ceci.

Il appuya sur un bouton sur le côté des lunettes, et le bouton s'entoura d'un doux halo bleu, les lunettes émettant un petit bourdonnement apaisant. Comme il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui fasse directement confiance, il saisit l'objet et l'enfila lui même, le gardant quelques secondes sur le nez avant de l'ôter et de lui tendre.
Si elle le passait, elle verrait. La fonction permettant de relier la pensée aux lunettes n'étaient pas activées, mais elle pourrait se voir elle même en "assistante" prête à répondre à ses questions, dans un sentiment de réalité bluffante. L'idée derrière cela était clairement que l'utilisateur ne soit pas capable de discerner ce qui était réel de ce qui était de la réalité augmentée, et le résultat était clairement au delà de ses espérances.

"Donnant donnant? Et qu'est ce que je pourrais bien faire pour vous procurer du plaisir?"

La phrase était osée mais ils étaient sur la même longueur d'ondes et jouaient le jeu de la séduction pacifique. La jolie barmaid aguichait le client et celui-ci se satisfaisait de cette attention sans rien attendre de plus. C'était une coutume antique qui ne changeait pas avec l'évolution du monde.

L'homme s'apprêta à satisfaire sa fausse curiosité et ouvrit sa mallette. Là, pas de liasses de billets, ni de lingots d'or ou même une arme. Non, juste une paire de lunettes un peu spéciale conditionnée de manière assez protectrice. Bon, d'accord, ça avait l'air de coûter cher mais il n'y avait là rien de très surprenant. Lilly évita de faussement s'extasier devant l'objet et attendit qu'il continue son explication.

Exprès pour elle? Ah ... bientôt la carte avec le numéro de téléphone. Lilly espérait ne pas être déçue par le bel étranger. Cela aurait été dommage que tout se termine par une promesse de l'appeler qui n'aboutirait jamais ou pire encore, qu'elle l'envoie balader. Il essaya les lunettes après les avoir allumées. Jusqu'à présent, elle devinait à peu près de quoi il s'agissait. Des VR games, elle en avait déjà essayé quelque uns dont un spécialement qui lui avait laissé un très mauvais souvenir: une immersion dans un océan suivie d'une attaque de grand requin blanc.

"C'est ... Ca va faire peur?"

Elle passa les lunettes lorsqu'il les lui tendit et ne vit que ... rien ne changeait si ce n'était cette nouvelle cliente apparut près de lui, jolie silhouette en uniforme un peu trop sérieux. Lilly ôta aussitôt le dispositif de vision pour servir la nouvelle arrivée.

"Bonjour! Qu'est ce que je vous ... Oh!"

Personne ... étrange ... Elle cligna des yeux et fit le tour du bar. Non, pas d'hôtesse coincée ...

"Excusez moi! j'ai cru ..."

Elle  réajusta le demi masque.

"Alors on continue et .... Hey! Mais ... C'est moi!!"

La fille dans son uniforme un peu raide était de nouveau là, à côté de l'étranger, et il s'agissait de la copie conforme  Lilly elle-même. Cette fois, pas de doute, elle comprit que l'apparition était liée aux lunettes. C'était marrant cette projection mais  à quoi cela servait-il? Instinctivement, elle tendit une main pour se toucher mais évidemment ne brassa que de l'air.

"Pourquoi est-ce que je porte une tenue pareille? Ca ne me va pas du tout. Qu'est ce que c'est? Une visio de mode, de modelling ou un truc comme ça?"

C'est son double qui lui répondit.

"Pas du tout. Je suis conçue pour vous guider le long des étapes de création de votre compte puis serais votre assistante personnelle. Je suis Lilly, actuellement en phase de bêta test."

"OOooooohhhh!"

La vraie Lilly ôta l'appareil pour dévisager l'homme devant elle. Tout un tas de questions se bousculaient dans son esprit dont l'une des plus importantes.

"C'est légal ? Enfin je veux dire, Lilly, elle est seulement dans cet appareil ou dans d'autres aussi? Comment est ce que vous m'avez reproduite?"

Elle avait été suivie ou espionnée pour que ses traits et ses mimiques soient enregistrées. Des caméras peut être, planquées dans son appartement? Elle osa regarder à nouveau dans le masque et son alter égo virtuel lui fit un coucou sympa avant qu'elle ne l'enlève. Lilly était méfiante à présent. Elle allait peut être devoir appeler la police.

"Qu'est ce qui se passe là? Qui êtes vous?"

La jeune femme gardait son ton amusé et enjoué, toujours dans un rôle entre séduction et serviabilité. Cela convenait à Shinjo, et c'était ce qui l'avait fait revenir ici, ainsi que de prendre Lilly pour modèle dans son tout nouveau gadget. Elle enfila les lunettes, et il attendit que l'effet se produise.

Ca ne fait pas peur non, n'ayez crainte.

Tout à siroter son verre, Shinjo patientait, attendant le moment où elle allait se voir et comprendre. La jeune femme passa par tout un tas d'expressions différentes, mettant du temps à capter, ce qui faisait sourire le jeune homme. Surtout sa remarque sur les habits qui lui arrachèrent un sourire encore plus grand, mais il se retint de parler, il voulait la laisser découvrir par elle même. Cela semblait chose faite quand elle ôta les lunettes en le dévisageant. Comment devait-il analyser son visage ? Bouleversée ? Excitée ? Fâchée ? Difficile à dire. Enfin, elle s'emballait, visiblement sur la défensive, et Shinjo leva les mains comme si on le tenait en joue.

Calmez vous, je vais vous expliquer.

Au moins, il avait réussi à capter son attention, pour sûr. Il désigna le dispositif d'un doigt avant de poursuivre.

Il s'agit là d'un exemplaire unique, donc Lilly est seulement dans cet appareil, si l'on peut dire. Mais laissez moi vous raconter toute l'histoire, ça sera plus simple.

Il coupa seulement le temps de boire une gorgée, puis reprit.

Je suis ce qu'on peut appeler un inventeur. Quand je suis venu ici la dernière fois, vous m'avez ... Tapé dans l'oeil, si vous me permettez l'expression. Puis j'ai été accaparé par le travail, mais il n'y a pas si longtemps, j'ai créé ça. C'est un dispositif permettant de rajouter de la réalité virtuelle en surimpression de la réalité, avec un rendu qui les rend indiscernable l'un de l'autre. Tenez, pensez à une pomme très fort, et vous verrez.

D'un geste, il l'invitait à remettre le casque. Si elle le faisait, elle verrait sans doute une pomme sur le comptoir, presque réelle, et pourtant totalement inventée par son esprit. Pendant ce temps, il continuait ses explications.

Ceci est un prototype, qui marche essentiellement sur la vue. A terme, j'aimerai qu'il puisse agir sur les cinq sens pour plus d'immersion. Mais ça c'est une autre histoire, revenons en à votre présence. Les premiers essais étaient difficiles car les testeurs ne savaient pas comment utiliser la machine, alors j'ai eu l'idée d'y ajouter une sorte d'assistant numérique pour guider les nouveaux utilisateurs. Et c'est là que je me suis souvenu de vous.

Il lui laissa quelques secondes pour assimiler ce qu'il venait de dire. Rien de bien compliqué, mais au moins elle aurait son cheminement.

Je me suis souvenue de votre façon de mettre les clients à l'aise, d'être à leur écoute. Alors j'ai voulu vous transposer dans ce rôle. Ca n'a pas été bien difficile, trois ou quatre photos et deux vidéos ont suffi à le faire, même si la version serait bien supérieure avec plus de substances. Je n'ai utilisé que ce que j'ai pu trouver librement sur vous sur internet.

Au moins, ça répondait en partie aux questions de la demoiselle, mais il n'en avait pas fini.

Je sais que ça peut paraître un peu ... Fou. Mais je ne vous veux pas de mal, et si je suis ici, c'est pour vous laisser le choix. J'aimerai que vous soyez l'image de cette assistante virtuelle, avec une compensation financière confortable bien entendu. Si vous refusez, j'effacerai tout ça et je chercherai un autre modèle, il me tient à coeur de respecter les choix de chacun.

En soi, elle ne devrait pas être étonnée. En 2022, tout était imaginable technologiquement. les progrès des industries de pointe explosaient et chaque mois, une nouvelle invention venait défrayer la chronique. Mais là, on touchait quand même à quelque chose de très particulier puisque très intime. Quand on s'intéressait à la conscience et à l'esprit, les choses devenaient tout de suite très personnelles. Le discours que l'homme tint la rassura dans le sens où il lui semblait très honnête et puis, dans son beau costume et avec sa belle gueule, il inspirait confiance.

Globalement, Lilly comprenait les explications qu'il donnait et le concept paraissait prometteur. Elle assimilait vite, avait l'habitude que les clients du bar se confient à elle, et mesurait tout l'intérêt de ce projet. Elle hocha la tête en l'écoutant et remit le masque quand il lui proposa. Une pomme ? Aussi simple que ça? Non monsieur, Lilly ne va pas imaginer une jolie pomme granny à la peau vert flashy luisante et parfaite. La barmaid dirige son regard vers lui, bien plus intéressant qu'une pomme. Le beau gosse apparait torse nu derrière son bar, toujours agréable et souriant, parfaitement dessiné et comme elle l'avait deviné, très avenant à regarder. Elle sourit malgré elle et se perd trois secondes dans une rêverie frisant un truc assez érotique avant de comprendre ce qu'elle fait. Elle hoquète.

"Ça ... ça enregistre là? Ce que je pense ou vois???"

Consciente d'être allée peut être un peu loin, elle retire le dispositif et le pose sur le bar. Elle efface ce moment gênant (pour elle) en se ruant sur un autre client qui réclame une consommation. une minute plus tard, elle est de retour, remise, très Lilly la barmaid, et avec les idées claires.

"C'est vous même qui avez créé cet appareil? Ou vous avez une équipe, ou une petite start up?"

Pour développer un programme comme celui-là, il fallait être solide financièrement, jouer à l'international, disposer de ressources importantes.

" ... ou une grosse entreprise....?"

50 nuances de gris, l'histoire loufoque et improbable du riche industriel qui vient chercher son jouet sexuel dans un magasin de fournitures pour bricolage. Ça pourrait être un peu pareil là, sans l'aspect pervers BDSM bien sûr. Déjà, Lilly n'est pas du genre soumise et les histoires de ce genre n'existent pas. Euh ... arrête ma grande, reviens dans le monde réel. En tout cas, les perspectives de développement pourraient être révolutionnaires dans un monde ou la VR et l'IA prenaient de plus en plus de place. Et au delà des considérations technologiques, une rémunération confortable assurerait un train de vie moins usant que celui que Lilly vivait actuellement. Sous son maquillage, ses traits étaient tirés et il ne passait pas une semaine sans qu'une facture bien salée vienne lui miner le moral. Le Japon, c'était bien dans les reportages, mais pour y vivre, il fallait trimer sérieusement pour espérer trouver le rêve des documentaires occidentaux sur le sujet.

"Je ... je travaille dur ici pour gagner ma vie et c'est un emploi stable. Qu'est ce que vous me proposez? Si j'accepte, comment fait-on? Qu'est ce que je dois faire? Combien de temps? Ce serait un CDI ou juste un job le temps que tout soit calé? En fait, je suis un peu perdue ... il faut que je prenne les services d'un avocat du travail pour le contrat? Ça coûte cher non? Où est-ce?"

Tant de questions qui se bousculaient et s'imbriquaient ... Il lui fallait rester terre à terre. C'était bien beau mais au risque de paraitre trop intéressée par l'argent, elle posa la question de la mort.

"Combien je serais payée pour être la nounou du monde entier?"

Petit à petit, l'homme expliqua l'idée générale, ce qui était faisable ou non. La possibilité de créer ce que l'on voulait à l'aide de son esprit pouvait paraître grisant, et il savait qu'il fallait un peu de temps avant de se faire à cette idée. Il la laissait tester, faire ses propres expériences, tout en répondant de la négative quand elle le questionna sur l'enregistrement.

Non, ça n'est pas prévu.

C'était différent de faire apparaître ces choses depuis la vision de la personne et de les enregistrer dans la machine. Jusqu'ici, ils n'y étaient pas parvenus, mais c'était l'un des axes de recherche. Il la laissa filer, la trouvant un peu décontenancé, et loin de se douter de ce qui en était la cause, il pensait que c'était seulement l'utilisation de la machine qui avait fait ça. Quand elle le questionna à nouveau, il marqua un temps d'arrêt. Avec ce qu'elle avait vu, elle pouvait très bien faire des recherches et finir par le trouver, alors autant jouer franc jeu.

Je l'ai créée oui. Et j'ai une équipe qui travaille dessus ... Chez Dream-S.

Là encore, il laissa le temps à la jeune femme d'assimiler l'information. Elle avait forcément entendu parler de l'entreprise qui donnait la possibilité de vivre ses rêves de manière presque tangible, de choisir ce que l'on voulait rêver. Cette nouvelle machine en était un prolongement, rendu possible par les rentrées d'argent que l'entreprise avait engendré. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle le croit sur parole non plus, ainsi sortit-il son téléphone, pianota un instant puis le tourna vers elle, lui laissant l'opportunité de regarder : un article datant du début de Dream-S, où l'on parlait de sa création et surtout du jeune créateur, avec une photo qui ne laissait pas de doute, c'était bien lui.

Et les questions s'enchaînèrent. Rapides et désordonnées. La jeune femme ne savait plus trop comment se situer, et Shinjo prenait cela avec encouragement. C'est que cela pouvait lui convenir au moins. Il écoutait posément ses différentes questions, sourire aux lèvres. Quand elle eut fini, il leva un index, comme pour demander la permission de parler, avant de s'y mettre.

Je ne peux pas répondre à toutes ces questions. Pas de suite en tout cas. Mais sachez que si vous acceptez, il y aura sans doute un contrat de travail et un droit à céder votre image pour l'entreprise. L'argent n'est pas un problème, vous aurez de quoi ne plus vous poser la question.

Il n'avait pas prévu de montant fixe, il préférait en discuter, voir ce qu'elle voudrait et aviser. Et de son point de vue, l'argent n'était pas du tout un problème, pas avec ce que rapportait l'entreprise. En attendant, il continua.

Je ne veux pas que vous vous sentiez prisse au piège, c'est bien pour ça que je viens vous voir, pour que nous parlions et que vous ayez le temps de réfléchir à ce que vous voudriez. Nous pouvons faire en sorte de vous garantir un anonymat relatif, ou bien si vous préférez vous faire connaître, c'est faisable aussi. Si vous souhaitez continuer à travailler ici tout en nous aidant à peaufiner le modèle numérique, on peut également. Vous n'avez qu'à réfléchir à vos exigences, et je m'emploierai à les combler.

Cela paraissait un peu trop beau, mais il y avait tout de même des limites. Il y aurait de la négociation, mais dans un premier temps, il voulait laisser ouvert le champ des possibles.

Comme si un secret immémorial venait d'être révélé, Lilly vérifia instinctivement à gauche puis à droite si quelqu'un était susceptible de surprendre leur conversation. Elle avait devant elle LE jeune prodige que des millions de personne révéraient, le fondateur de Dream-S, LA société génératrice de mouvements monétaires monstrueux et qui développaient ce que d'autres envisageaient à peine... Maintenant qu'elle avait l'écran du téléphone sous le nez, elle était sûre de connaitre ce visage avant qu'il n'apparaisse dans son environnement. Évidemment, quelle cruche! Elle qui était super physionomiste n'avait reconnu que le client plutôt que le richissime homme d'affaire qui avait lancé l'un des marchés les plus juteux (et légal) de la planète.

Elle essaya de pas paraitre trop penaude et se rattrapa à ce qu'elle faisait de mieux: le jeu de la séduction.

"Haaannnn ... Et c'est le seul moyen que vous avez trouvé pour m'inviter à boire un verre?"

Elle s'était volontairement cambrée sur son bar et ses bras croisés sous sa poitrine offraient une vue affriolante sur ce qui en faisait rêver plus d'un. En parlant de rêve, c'était approprié ... Cela restait un jeu et Shinjo, puisqu'elle connaissait son identité à présent, ne serait pas dupe de cette adorable tentative de s'en sortir sans qu'elle ai à dévier le regard. Des personnalités, elle en avait croisé à Vegas, de toutes nationalités, et de tous les milieux, que ce soit du politique ou de show biz. Mais là, LA personnalité venait pour elle spécialement, et lui proposait un plan dont elle pourrait être l'élément central. Alors non, ce n'était pas une entourloupe ni un truc bizarre (enfin si un peu) et elle avait envie de lui faire confiance. Et il était vraiment beau ... et intelligent ... et riche ... et beau encore ... En vérité, il ne semblait pas avoir de défauts.

En plus, viendrait un moment où Lilly devrait faire des choix, comme quitter le Japon et rejoindre son pays natal pour reprendre sa vie d'avant. Si elle pouvait changer cette perspective, l'occasion qui se présentait était inespérée. Maintenant, il ne fallait pas foncer tête baissée non plus.

"Je voudrais visiter votre ... usine? Enfin... votre entreprise? Euh ... l'environnement dans lequel je devrais travailler si j'acceptais. C'est très flatteur d'avoir attiré votre attention mais dans le cas où je répondrais favorablement à votre offre ... hors de question d'être fringuée comme la poupée coincée que je viens de voir! On dirait la reine d'Angleterre... l'ancienne."

Lilly approuvait mais demandait encore certaines petites choses. Pour elle, travailler en équipe signifiait qu'il y ai une véritable osmose entre les intervenants et que l'endroit soit favorable à l'épanouissement. Un labo glacial gèlerait ses envies à coups sûr et il était certain que si une bande de types en blouses blanches lui tournait autour avec tout un tas d'appareil faisant des bips, ça ne marcherait pas.

D'ici là, elle avait suffisamment de matière à creuser et pour commencer, et bien que cela soit mal vu par le patron, elle se servit un shooter de vodka qu'elle s'envoya cul sec, lorgnant sur le beau blond par la même occasion.

T'es célibataire? Uh uh non, ça se demande pas ma grande. Attends un peu, au moins le temps qu'il apprenne à te connaitre, même si c'était déjà un peu le cas. Il avait de l'avance sur elle sur ce point.

Aiko, une de ses serveuses s'approcha à ce moment pour poser une question. les mots se bloquèrent dans sa gorge et elle regarda Shinjo de l'air de celle qui vient de voir un extra terrestre. Elle balbutia et fit demi tour avant de foncer vers les autres filles en s'animant.

"Oh ... On dirait que je ne vais plus avoir le monopole du beau gosse pour très longtemps ..."

Elle griffonna sur une carte du bar son numéro de téléphone; il l'avait peut être déjà aussi ...

"Appelez moi qu'on se cale. Le matin de préférence."

Très professionnelle! C'est bien ma grande! Tu t'en sors pas mal!

La discussion prenait une bonne tournure, comme il le souhaitait. Et cela se lisait dans l'attitude du jeune homme, plus détendu qu'à son arrivée. Il avait cru pendant un moment qu'elle le mettrait dehors, mais non, elle avait dû flairer le potentiel de l'offre qu'il était venu proposer. Mais quand elle le taquina, il ne trouva qu'à rire de la question de la demoiselle.

Je dois avouer oui je suis nul en drague.

Il tira la langue en une fausse grimace. Il n'était pas doué, oui, mais il avait suffisamment d'aplomb pour s'en sortir. Et il était vrai qu'il aurait pu vouloir tenter de la draguer, mais là il cherchait plus, il était sincère dans sa démarche. Enfin, il eut l'impression que la façon d'être de la jeune femme évolua aussitôt son identité révélée. Ca arrivait souvent. Parfois, les gens se sentaient d'un seul coup timide, ou au contraire flairait l'opportunité de parler à quelqu'un d'influent. Cela semblait être le cas de Lilly vu sa façon de se mettre en avant, mais elle n'en avait pas vraiment besoin, il était déjà convaincu de son potentiel.

A nouveau, elle le fit rire en parlant de ses conditions. Il secoua doucement la tête avant de répondre.

Je peux vous faire visiter les locaux sans problème, nous avons des bureaux dans la ville. Et pour les détails, il va sans dire que vous serez consultée et écoutée.

Elle avait son mot à dire, car même s'il comptait utiliser son image, elle aurait sa part de choix. En tout cas, il se sentait heureux, pris d'une ivresse non alcoolisée du fait du plaisir qu'il ressentait de la voir accepter. Tout se déroulait sous les meilleurs auspices, jusqu'à l'intrusion d'une autre serveuse. A voir la mine de Lilly et la façon dont elle répondit, son identité était éventée. Il ne craignait pas de mouvement de foule, tout au plus viendrait-on lui dire quelques mots, mais il savait remettre à leur place les importuns.
Comme elle griffonnait son numéro pour le lui donner, il ne lui laissa pas le temps de quitter le papier que déjà sa main sur posait sur celle de la jeune femme. Il cherchait son regard du sien pour guetter sa réaction.

Ca serait un peu long d'attendre, non ?

Sa main s'attarda de longues secondes sur celle de Lilly, puis finalement il la retira, ne voulant pas la contraindre. Il tira sur le papier pour le glisser dans la poche interne de son costume avant d'ajouter.

Je ne veux pas vous mettre dans une mauvaise situation par rapport à votre service ... Vous finissez à quelle heure, une heure ? Je vous attendrai dehors, et si vous n'êtes pas trop fatiguée, nous pourrons étudier un peu mieux notre accord ?

Une proposition ni trop prude, ni trop indécente. Enfin, elle n'allait pas être dupe. Il se redressa subitement, et les lèvres toujours ourlées d'un sourire, il la laissa plantée là pour filer faire la sortie avant de se faire intercepter par des inconnus. Maintenant, il n'y avait plus qu'à attendre l'heure fatidique.

"Que?..."

Le contact de la main de l'homme sur la sienne électrisa Lilly. Pas parce qu'il était beau, riche, influent, et encore riche, mais parce qu'il lui plaisait tout simplement dans sa manière d'être: serein, confiant, agréable, aux antipodes des jeunesses dorées qui naissaient avec une cuillère d'argent dans la bouche. Non, il aurait pu envoyé un de ses avocats ou un représentant de son entreprise avec une liasse de papiers indigeste mais c'était bien lui qui se tenait devant elle, le leader d'un domaine technologique en pleine expansion. Il avait pris la peine de faire le déplacement et elle faillit l'en remercier avant de se dire que ... ce n'était peut être pas comme ça qu'il fallait faire.

Un peu décontenancée, elle assimilait et le contact, et l'attrait, et la nouvelle proposition. Lilly de Vegas s'était rarement trouvée dans une situation où elle aurait bredouillé mais là, elle ne sut quoi dire tandis que très charmeur, Shinjo plantait son regard dans le sien.

"Euh ... là? Tout ..."

Ce fut encore lui qui prit l'initiative et elle n'eut comme seul autre choix que de hocher la tête et approuver la proposition, ses beaux yeux grands ouverts sur une perdition absolue.

"Après ... oui ... d'accord."

Et elle ne retrouva sa pleine liberté de penser que quand il eut retiré sa main et eut quitté l'établissement. Aussitôt, Lilly se reprit et la première chose qu'elle vit fut les autres barmaids, hilares, et exhibant leur smartphone. Aiko s'approcha d'elle et lui montra le cliché qu'elle venait de prendre: le beau prince charmant subjuguant la fille du peuple déjà complètement gaga. Lilly fit la moue et rappela qu'on était là pour travailler, attisant encore plus la bonne humeur de ses collègues qui ne manquèrent pas de commentaires imagés pour illustrer la naissance de cette nouvelle et heureuse relation ... l'américaine n'y pensa pas mais cette photo pourrait coûter cher un jour. Interprétée différemment, on pouvait tout imaginer car au Japon, le contact physique restait un geste fort et significatif.

La soirée fut animée et Lilly fut sollicitée par des hordes de jeunes clients assoiffés. Le bar était un haut lieu de la bonne humeur et fidèle à elle-même, elle fit des émules et brisa aussi quelques cœurs trop alcoolisés. Ils s'en remettraient ... Mais le regard de l'américaine revenait sans cesse vers l'entrée de l'établissement comme si elle attendait le retour de Shinjo. Et s'il était parti, fatigué d'attendre? Est-ce qu'elle devait se changer pour paraitre plus ... plus quoi? Non! Pas question! Arrête de tergiverser ma grande! Tu es Lilly et il est là pour toi!

Aussi, quand le service fut enfin terminé, le bar et la salle, rangés et que tous furent libres de partir, Lilly était sereine. Aux vestiaires, elle s'arrangea juste un peu, rectifia son maquillage léger et passa une courte veste en jean par dessus son top. En guise de sac, une besace fourre-tout en bandoulière et elle était prête. La sortie des personnels se faisaient par un accès de service qui donnait sur une petite rue perpendiculaire au boulevard et c'est de côté qu'elle aborda le noble éphèbe. Cette artère la nuit était un haut lieu festif et les néons multicolores contrastaient avec la nuit d'encre qui recouvrait la ville.

"Me voilà! Vous auriez pu revenir, le temps a dû vous sembler long. Je me serais bien occupée de vous ..."

Toujours le sens du laisser-entendre suggestif ... et il allait falloir qu'il s'y fasse car il avait choisi LA personne qui n'avait pas froid aux yeux.

"Je suis toute à vous !!!"