« Sacrée chaleur, hein ? »
Un homme à la carrure large salua Automne de ces mots. La chaleur, ça, on la ressentait. Il devait fait une bonne quarantaine de degrés à l’ombre, mais de l’ombre, dans ces étendues désertiques, il n’y en a que trop peu. Au loin, en contrebas de la falaise, quelques piliers d’une couleur orange-brune, écrasés au sol, figuraient ce qui devait sans doute être un ancien temple en ruines depuis des millénaires. Le sable et la roche avaient depuis bien longtemps gagné du terrain, et il ne semblait subsister de cet édifice que ces colonnes piteusement étalées. Depuis son arrivée, la militaire était attirée par ces décombres, pour lesquels elle était la seule à porter attention.
Aujourd’hui, elle était de repos. Après plusieurs jours de patrouilles, d’explorations, de tours en Jeep, de missions de sécurisation du village situé à quelques centaines de mètres de là sans qu’elle n’y trouve un quelconque intérêt ni humain, ni stratégique, elle allait enfin pouvoir profiter d’un peu de temps libre, qu’elle comptait bien mettre à profit pour découvrir un peu mieux ce vieux temple. Descendre de la falaise fut une partie de plaisir. Mettant à profit son agilité naturelle, il ne fut à Automne qu’une poignée de minutes pour arriver en contrebas de ce mur naturel constellé de prises. Un quart d’heure supplémentaire de marche sous le cagnard lui suffit pour arriver devant les vestiges.
Entre les piliers brisés, subsistaient encore quelques pierres de taille, l’une d’entre elles étant même gravée d’une écriture cunéiforme qu’elle ne reconnaissait pas. Un mince filet d’air frais s’échappait d’un petit espace entre deux caillasses, dernier accès vers l’intérieur du temps. Dangereux ? Sans doute. Inconscient ? Encore plus. Pourtant, la curiosité et une envie irrépressible d’explorer la poussèrent à se glisser souplement dans l’interstice. Après tout, elle avait embarqué un talkie-walkie, et si il se passait quelque chose, elle pourrait joindre le camp dans la seconde.
Comme prévu, l’atmosphère à l’intérieure était radicalement différente. La température avait baissé d’une bonne dizaine de degrés, et quelques rares rais de lumière ne parvenaient pas à totalement éclairer la salle. Et quelle salle. Immense, et remplie...de sable. De sable partout, de monticules de sable, contre les murs, au milieu de la pièce, absolument partout. A quoi pouvait-elle s’attendre ? A des trésors ouvragés, des monticules d’or, des statues grandiloquentes ? Non, il n’y avait que du sable. Et quelques caisses, sans doute abandonnées là depuis plusieurs décennies, au vu de la rouille et de la couche de poussière et de sable qui les recouvraient. Elle n’était donc pas la première personne à pénétrer ici depuis des siècles, ce qui était à la fois décevant et...rassurant.
Au fur et à mesure que ses yeux s’habituaient à la pénombre, elle se rendit compte qu’elle s’était peut-être trompé sur le manque d’intérêt de cette salle. Au fond se trouvait un immense mur, gravé de symboles énigmatiques dont certains étaient recouverts de dorures. Si elle ne comprenait absolument rien, il ne faisait malgré tout aucun doute qu’il s’agissait là d’un témoignage des temps anciens, historiquement important ! Mais les caisses qui parsemaient la pièce...il avait déjà été découvert. Étrange, donc, qu’elle n’ait pas été briefée sur la présence de ce temple. D’habitude, ce genre de vestiges étaient soient interdits d’accès, soit de hauts lieux de tourisme. Très étrange.
Dans les caisses, il ne subsistait rien, ou presque rien. On pouvait reconnaître quelques rations de survie hors d’âge, des lampes-torches inutilisables depuis bien longtemps, et même, dans un endroit relativement épargné par le sable, plusieurs lampes disposées en carré ainsi qu’un groupe électrogène rouillé jusqu’à l’os. Un bref et léger éclair de lumière lui frappa la rétine, provenant du centre de ce carré. En s’approchant, elle vit qu’il provenait d’un fragment de miroir, incroyablement bien conservé, et tenant facilement dans la main. Elle le ramassa et l’admira avec fascination, se demandant comment un tel objet avait pu ne pas ternir au fil des millénaires. Peut-être appartenait-il aux explorateurs qui avaient posé leur camp ici il y a bien longtemps ? Peut-être même appartenait-il à ce squelette sans crane posé à moins d’un mètre de là ?
Un squelette ? Automne réalisa avec un temps de retard que c’était bien les restes de ce qui devait être un archéologue qui se trouvaient à ses pieds. Si elle n’avait pas peur de la mort et de ses représentations, la présence d’une squelette humain, sans tête, au milieu des ruines d’un temple millénaire, lui flanque une frousse monstre. Sans demander son reste, elle fourra le miroir dans l’une de ses poches, et ficha le camp manu militari.
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L’eau brûlante ruisselait sur sa peau nue, s’écrasait dans sa chevelure bleutée, trempait son corps et glissait jusqu’à ses pieds. La sensation était agréable, après une journée entière de voyage. Ce matin, elle pleurait à chaudes larmes en serrant dans ses bras ses parents, pour la dernière fois avant un long moment. Ce matin, elle était encore aux États-Unis. Et ce soir, elle était au Japon. Ce matin, elle avait encore un toit, une maison. Ce soir, elle dormait à l’hôtel. Jusque quand ? Elle ne le savait pas. Cela dépendrait de ce que lui offrirait la vie. On ne sait jamais de quoi demain sera fait.
Automne coupa l’eau et sortit de la douche, posant ses pieds sur le carrelage froid de la salle de bains, qui lui arracha un frisson. Rien de tel qu’une douche brûlante en fin de journée pour se délasser, relâcher les muscles, et faire redescendre le stress. De sa main droite, elle se massa le trapèze gauche. Elle restait encore tendue. Elle avait peut-être fait une énorme connerie en quittant tout ce qu’elle avait et tout ce qu’elle aimait. En partant à l’aventure, loin de tout ce qu’elle connaissait. Un rapide coup d’œil dans la glace confirma ses soupçons : elle avait l’air fatiguée. Normal, après tout, elle était fatiguée. Elle attrapa la serviette sur le radiateur, et s’en entoura nonchalamment, cachant son petit corps à la fine musculature saillante mais à la féminité quasi-absente.
Elle retourna dans la chambre, ouvrit sa valise et en sortit un shorty. Pas besoin de plus pour ce soir, seul le sommeil l’attendait. Un petit ploc sonore s’échappa de la moquette, sur laquelle elle avait malencontreusement fait tomber le fragment de miroir, qu’elle avait abrité entre deux sous-vêtements. Après plusieurs millénaires à rester intact, il n’aurait pas fallu qu’il succombe à un simple voyage en avion ! C’était devenu, au fil des années, une sorte de porte-bonheur pour elle, dont elle n’avait jamais réussi à se séparer. Qu’en aurait-elle fait, d’ailleurs ? Imaginez seulement la réaction de l’antiquaire ou du conservateur à qui elle aurait tenté de le refourguer. « Bonjour, je viens vous vendre ça, c’est un fragment de miroir, ça se voit pas mais je l’ai trouvé dans un temple au milieu du désert, à côté d’un squelette d’archéologue, vous me le prenez combien ? »
Elle posa le miroir sur la table de chevet, enfila son shorty et se glissa dans le lit. Les draps étaient tellement frais, c’était agréable, si agréable qu’elle en lâcha un soupir d’aise. Les mille pensées qui se bousculaient dans sa tête s’évanouirent peu à peu, alors que ses yeux se fermaient et qu’elle plongeait dans les bras de Morphée pour une nuit qu’elle estimait méritée…
Un flash de lumière. C’était ce qui la réveilla. Elle regarda, encore dans les vapes, son téléphone. Deux heures trente. Il était bien trop tôt pour faire des photos au flash...Et puis, qui ferait des photos dans sa chambre d’hôtel, fermée à clé ? Frappée d’un coup par l’absurdité de la situation, elle se redressa d’un coup dans son lit, aux aguets. Il n’y avait personne. Juste elle. Et son miroir, d’où émanait une douce et faible lumière, telle une aura incandescente. Voilà qui était curieux.
"- Salutations! Il y a quelqu'un? Hum, l'endroit n'a pas l'air abandonné... SA! LU! TA! TIONS!"
Automne lâcha un cri de surprise et tomba du lit. Comprenez-la, ce n’est pas tous les jours qu’on se fait réveiller par un miroir qui se met d’un coup à émettre de la lumière et à parler. Elle s’éloigna du miroir à quatre pattes et se recroquevilla dans un coin de la pièce. Qu’est ce que c’était que cette diablerie ? Le miroir était hanté ? Il y avait un haut parleur et une petite ampoule caché dedans ? Il s’agissait peut-être d’un portail magique vers un autre monde ? « T’es con, la magie, ça existe pas ». Quoique ? Il y avait tant de choses qu’on ne comprenait pas dans ce monde…
Le miroir vibra, comme si on le tapotait avec une force impressionnante, et Automne lâcha un nouveau petit cri de surprise. C’était un cauchemar, c’était certain, mais même en se pinçant, elle ne parvint pas à autre chose que se faire mal. Après de longues, très longues secondes à rester seule dans son coin, elle prit son courage à deux mains et s’approcha du miroir.
Doucement, elle tenta de regarder l’objet...qui lui rendait le reflet d’un visage. Un visage qui n’était pas le sien. Un visage aux traits fins, à la beauté éclatante...définitivement pas le sien. Étrange, dérangeant, terrifiant...mais aussi rassurant. La personne de l’autre côté du miroir, si tant est qu’il y a un autre côté, ne semblait pas animée de mauvaise intentions...et paraissait aussi perdue qu’Automne. Elle prit le miroir dans sa main, et le porta à sa hauteur. Le contact oculaire se fit avec son interlocutrice, qui n’avait pas l’air totalement humaine.
« Salut...euh...ça va ? »
Quelle conne. Elle avait dans sa main un miroir magique, qui lui renvoyait le reflet d’un être qui n’était pas humain, peut-être dans un autre monde, et c’est tout ce qu’elle trouvait à dire ? C’était ridicule. Elle n’allait pas juste lui demander comment ça allait, si il faisait beau chez elle, ce qu’elle avait mangé la veille.
« Vous aussi, vous avez un fragment de miroir ? C’est ça, que j’ai dans la main...et qui me montre votre reflet. C’est la première fois que je vois ça...attendez deux secondes »
Elle s’assit au bord du lit, et posa le miroir contre la lampe de chevet. Ainsi, il restait debout,à lui transmettre le reflet de...l’elfe ? Elle passa sa main dans ses cheveux, embarrassée et totalement perdue. Tellement perdue qu’elle en avait oublié qu’elle était quasiment nue.
« Je l’ai depuis des années, pourtant, et jusque là ça ressemblait juste à un miroir ordinaire. Enfin...je m’appelle Automne. Je l’ai trouvé dans les ruines d’un temple abandonné, sans rien autour. Et vous ? »