C'était une journée parfaite. Jeudi? Dimanche peut-être? Allez savoir... Enfin, à l'heure actuelle, tout ce que Toph savait c'était que le soleil chauffait délicieusement sa peau pendant qu'une brise légère venait caresser sa nuque , lêcher ses bras, effleurer ses jambes, la rafraîchissant agréablement.
Etendue à l'ombre d'un chêne, les mains portées non chalamment derrière sa tête, une jambe repliée avec sur son genou en l'air la cheville de sa seconde jambe; la petite brunette savourait l'épi de blé qu'elle avait entre les lèvres. Plus tard, il lui ferait une petite friandise. Ca se mange cru, le saviez-vous? Ca a un petit goût de noisette particulier, un peu amère, mais adoré par la jeune femme. Bref.
Le regard de Toph, s'il n'avait été vide, aurait pu admirer bien des choses alentours.
Du ciel bleu parsemé de nuages pelucheux à la coccinelle qui s'était aventurée entre ses cheveux, en passant par le vert chattoyant de l'herbe et du feuillage des arbres.
Oui, sa cecité arrachait à ce petit bout de femme un monde coloré et vivant, festif même, en mouvement perpétuel, pour l'enfermer dans le noir et ne lui laisser qu'un aperçut de ce qu'aurait pu être la vie. Raison peut-être pour laquelle les fleurs et les arbres qu'elle faisait pousser, en de rares occasions, avaient un teint cendreux, noir ou blanc, et des formes complètement insolites? Peut-être.
Que dire alors des gros nuages noirs d'orage à l'horizon qui mençaient d'éclater à tout moment? A tout moment hein? Pas si sûr...
Voyez-vous, la privation de l'un des cinq sens exacerbe la sensibilité des autres afin de compenser ce manque. Toph donc, aveugle de naissance, bénéficie de cet avantage. Oui oui, même si elle était dansl'impossiblité de lire, d'écrire, de voir les couleurs et tout le reste, elle voyait son handicap comme un avantage. Car en réalité, elle n'était pas complètement démunie de vision.
Elle pouvait "voir", disons ressentir son environnement. Ses pieds nus lui renvoyaient en écho les reliefs, et Toph se savait ainsi dans une forêt, adossée contre le tronc d'un arbre massif dont elle ignorait le nom, entourée d'autres arbres similaires à quelques mètres de là, au milieu de ce qu'on appelait communément une clairière, ainsi que de milliers de petites créatures grouillant, pépiant ou courant lestement (pour la rime), qui lui apparaissaient comme autant de points lumineux derrière un voile sombre. Voir comme elle voyait était aussi bien une bénédiction qu'une malédiction.
En même temps, Toph n'aimait pas la banalité, et là du coup, elle pouvait se complaire à se penser tout sauf banale. Voir les couleurs, l'aspect physique des gens et se limiter à ce sens finalement très réducteur n'était pas pour elle. A la bonne heure, ça lui donnait un prétexte en moins pour complexer sur son physique, bien médocre comparé à celui des beautés qui circulaient dans ce monde. De plus, elle pouvait se venter de vivre tout avec plus d'intensité. Le goût, le toucher... Ajoutez à ceci l'indépendance, et vous obtenez un mode de vie anarchique, mais plaisant.
Mais revenons-en à nos moutons. Toph farniente sous un chêne tandis que des nuages d'orage se rapprochent.
Une légère variation de la pression de l'air ainsi qu'un changement subtil du sens du vent l'informa qu'il était temps de prendre le large.
Toph laissa tomber au sol son épi de blé, se leva, s'étira bruyamment faisant craquer ses os et s'assouplissant un peu, rassembla ses affaires ainsi que son bâton de marche et se mit tranquillement en route.
Le sac sur le dos, le bâton en travers de la nuque avec les bras dessus, dans l'attitude typique de la fille blasée, Toph parcouru mollement le chemin qui la séparait de la taverne la plus proche.
Si mollement qu'elle se laissa rattraper par la pluie. Une véritable averse s'abbatit sur elle tandis qu'elle approchait de la ville état de Nexus, en quelques minutes, elle fût trempée jusqu'aux os. Mais peu lui importait, elle adorait la pluie.
Bon, finit de rire. Parvenant en vue de la ville, Toph mit une cape sur ses épaules, rabattit une capuche qui faisait deux fois la taille de sa tête sur cette dernière, afin de cacher sa cécité (d'une part pour ne pas se faire repérer, d'autre part pour ne pas tenter les voleurs) et finit par entrer d'un pas assuré dans la ville. De là, il lui fût aisé de trouver la taverne. Il suffisait de repérer l'endroit où le plus de lumières étaient concentrées et ça serait bingo.
Bingo donc. Elle poussa la porte de la taverne et sans se découvrir commenda de l'hydromel, laissant son bâton à l'entrée et allant s'assoir à la table la plus proche. Une serveuse lui apporta sa commande et Toph lui laissa un généreux pourboire (aux frais de ses parents évidemment).
Non chalante, elle se laissa aller contre le dossier de sa chaise, gardant la tête baissée pour ne pas se dévoiler. Elle tatônna légèrement à la recherche de son verre, puis, mettant la main dessus, le porta à ses lèvres, avant de le reposer précautionneusement, sans le lâcher, mettant dans une attitude qu'elle voulait négligée les trois quarts de sa paume au-dessus du verre, au cas où... On n'était jamais à l'abris de rien...