Alors papa, c’est vrai que je suis immortelle ? Oui ma fille ! Si tu meurs, ton corps réapparaît. Oh d’accord, mais si je meurs de faim alors ? — Ça, là, c’est un dialogue que je n’ai jamais eu avec Papa. Du coup, je ne sais pas. Je ne m’étais jamais posé la question. Parce que je n’avais jamais eu faim jusqu’ici.
1 En tout cas pas comme ça. Je me sentais si faible ! J’ai eu une première idée : si je meurs de faim, peut-être je reviendrais en ayant la sensation d’avoir mangé. Mais je ne comprenais pas que c’était hyper long de mourir de faim… et que surtout, pendant ce temps là, on a faim !
Du coup, j’ai laissé tomber — peut-être je saurais jamais, c’est pas grave. J’ai essayé de trouver une autre solution pour manger. La chasse j’ai pensé. Sauf que je n’avais qu’une grosse épée et même si elle est magique
2 c’est sûrement le pire outil du monde pour attraper des bêtes. Mais mon épée, elle n’est pas que lourde et nulle pour chasser, elle est impressionnante aussi ! Je crois que ça, ça m’a servi. Parce que les gens m’ont tout de suite identifiée comme un aventurier.
Exactement ce que je voulais en fait ! Je savais que les aventuriers faisaient souvent ça pour l’argent, mais jusque là je n’avais pas compris qu’ils avaient besoin de cet argent pour manger. Enfin bref, j’ai fait quelques quêtes vraiment intéressantes.
3 Tout c’est si bien passé qu’on m’en a donné une nouvelle : combattre un puissant sorcier. J’avais un peu peur au début parce que les puissants sorciers je connais, Papa en est un, et ils sont beaucoup plus forts que moi. Mais finalement on m’a dit qu’il n’était pas si puissant que ça. En fait, c’était plutôt un débutant. Il avait quitté l’école de magie en volant des livres.
J’étais rassurée. J’ai commencé à enquêter et j’ai vite trouvé. Il vit dans une chambre d’une auberge qui s’appelle le Rat Nu. J’ai compris que sa mère l’a mis dehors, ce qui est assez triste, mais bon.
1. Un peu faim oui, comme la fois où je me suis perdue dans le labyrinthe runique du désespoir, pile au moment du repas. Papa avait dû envoyer son serviteur orc me chercher. Sauf qu’il s’était perdu lui aussi.
2. Je ne sais toujours pas quels sont ses pouvoirs, d’ailleurs.
3. Une seule en fait… mais longue, hein. J’ai dû tuer douze anomalies dimensionnelles. Oui, précisément douze, c’est ce qu’on m’a demandé.*
* *
Le Rat Nu ! Voilà, je suis entrée. Même si je n’ai pas de point de comparaison, ça me paraît pas terrible comme auberge. Ça sent assez mauvais, mais quand on a vécu dans un donjon on ne se préoccupe pas de ces choses là. La clientèle me rappelle quand Papa avait réuni les maraudeurs de tout le pays pour remplacer ses gobelins qui étaient tous atteints d’une maladie bizarre qui fait tousser. Oh ben d’ailleurs !
—
Hey ! Otton le sanguinaire ! Coucou !—
Qui… ?! Ah !Il chuchote un truc que j’entends pas à un de ses compagnons. C’est un type très grand et gros avec la peau grise et des tatouages. Il est déjà venu parler deux fois avec Papa, donc il est assez important. Il commande un groupe de bandits, quelque-chose comme ça.
—
Tu es Sa fille ?—
Ouii ! Je t’ai croisé dans le couloir des peurs enfouies ! Tu te souviens ? Tu t’étais trompé de porte et…—
OUAIS. Ouais je me souviens.—
Dis, Otton ! Je cherche un garçon roux qui fait de la magie.—
Dernier étage, chambre tout au fond.C’est le tenancier qui m’a répondu précipitamment. Il a l’air méfiant. Ils ont tous l’air méfiant d’ailleurs. Je pense qu’ils ont peur de s’attirer un souci avec Papa. Peut-être même qu’ils s’imaginent qu’il m’a demandé de leur jeter une malédiction ou de brûler leur auberge, je ne sais pas. Papa n’a pas une très bonne réputation. Je souris et le remercie, avant de monter les escaliers à toute vitesse.
Il n’y a que deux étages, alors la proie, je la sens ! Enfin, je l’entends plutôt. Sitôt au deuxième étage, une incantation parvient à mes oreilles. C’est de l’Ignieux, je reconnais ! Je ne comprends pas tout, mais ça ne peut signifier qu’une chose : un sort de feu se prépare ! Vu comment le sorcier hurle, ça ne doit pas être un petit maléfice ! Je fonce.
Mon épaule heurte le bois de la porte et le fait voler en éclat. Je ne mens pas quand je dis que j’ai la force d’un ogre ! À l’intérieur, c’est le désordre ! Il y a bien le magicien qui semble dépassé par son propre rituel, et aussi une sorte de colonne de feu qui tourbillonne autour d’une silhouette. Je ne sais pas trop quoi faire.
Sans prévenir, la gemme de mon épée (je ne l’ai pas dégainée… j’ai oublié) s’illumine. Des flammes surgissent vers moi. Je me jette au sol pour l’éviter, mais il me suit. Je serre les dents… et puis je comprends qu’elles ne me blesseront pas. Mon arme est en train de boire les flammes. Je n’ai même pas chaud. Comme moi, le magicien regarde sans comprendre son maelstrom de feu être aspiré par ma super épée magique.
—
Je… ça ne devait…—
Sorcier renégat ! Tes retours à la bibliothèque ont plus de deux semaines de retard ! Soumets toi à la justice de l’académie Baudemer pour cette faute… ou meurs !Je suis toujours à plat ventre. Ça étouffe un peu ma voix. Ça aurait mieux sonné, sinon.
—
C’est… c’est ce qu’on va voir ! Vous allez crever tous les deux !Il dit ça en pointant un index rageur devant lui. Il y a ce qui ressemble à une fille en état de choc, mais je comprends tout de suite.
—
Oh coucou ! Tu es un démon ? J’ai repéré le pentacle.Je lui fais un clin d’œil complice. Je me relève d’un bond impressionnant et atterris à pieds joints au bord du cercle. De ma botte, je frotte frénétiquement la craie d’une des pointes, de manière à l’effacer.
—
Voilà, je t’ai arrangé ça ! Retourne dans ta maison petit démon ! … Non ?
Je plisse les yeux en remarquant qu’elle ne disparaît pas. Je me sens nulle. Papa n’a jamais voulu m’apprendre la magie. S’il l’avait fait, j’aurais mieux compris pourquoi elle n’est pas immédiatement révoquée par rupture du cercle.
Bref, avec tout ça j’ai presque oublié le magicien. Il me semble qu’il a plongé vers les livres près de son lit. Peut-être pour y trouver un sort ? Mais il a changé d’avis au milieu, et maintenant ce lâche est en train de se faire la malle !