Un beau ciel bleu sans nuage. Un vent léger qui fait ondoyer l’herbe doucement, rafraichissant le voyageur. Une musique légère dans la tête, une monture au pied allègre pour vous porter et une plaisante compagnie avec qui discuter. Voilà des conditions de voyage idéales, pour ne pas dire idylliques.
Hélas pour Zorro, aucune de ces conditions de rêve n’était présente en ce jour. Il marchait dans une plaine aride, son bagage sur le dos, sous un ciel couvert de nuages menaçants et dans un air étouffant, chaud et lourd, prémices à n’en pas douter d’un orage redoutable. Et les rares souffles d’air qui parcouraient la lande désolée, bien loin d’une agréable brise, n’étaient que sèches et brutales rafales de vent, chargées d’une poussière jaunâtre qui lui fouettait le visage et le moindre centimètre de peau non couvert.
Sa cape de voyage sur le dos malgré la chaleur assommante, une écharpe de lin remontée sur son nez pour se protéger tant bien que mal des éléments, il se hâtait en direction des bâtiments qu’il voyait au loin, espérant y arriver avant l’orage n’éclate.
Il y parvint, juste à temps. A peine avait-il refermé la porte de la première taverne du village qu’un roulement de tonnerre ébranla le monde, faisant trembler les vitres de l’établissement. Avec un soupir de soulagement, il commanda un repas et un lit pour la nuit au tenancier goblinoïde de l’auberge, grimaçant devant le maigre contenu de sa bourse. Il expédia son repas puis, épuisé par toute une journée de marche forcée, fila s’allonger dans le dortoir principal. Le lit était dur, la pièce surchargée, mais au moins était-il au sec. Il s’endormit comme une masse, plongeant dans une transe sans rêve.
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Il se réveilla à l’aube, de bien meilleure humeur que la veille. L’orage passé avait nettoyé le monde, le laissant frais et brillant. Profitant du beau temps, Zorro déambula dans la ville au hasard, savourant le plaisir simple d’explorer un nouvel endroit. Depuis qu’il était sorti de Lenwë, l’école de magie où Yukka l’avait guidé et où il avait récupéré une partie de ses capacités, il arpentait le monde au gré de ses envies jusqu’à ce que ses pas le mènent au-delà des frontières de Nexus, dans l’Empire d’Ashnard.
Alors qu’il regardait la devanture d’un armurier, regrettant de ne pas avoir assez d’argent pour s’offrir quelque chose de mieux que les vieilles protections de cuir qu’il portaient actuellement, des éclats de voix attirèrent son attention.
- Oyez, oyez braves gens, hommes, femmes et êtres de tout poils, plumes, écailles crocs et griffes ! Dès demain débutera officiellement le Grand Tournoi annuel de l’Arène de Nebelheim ! Venez acquérir honneur et gloire, ainsi qu’une récompense royale en vous mesurant à de valeureux guerriers venus de tout Ashnard parmi lesquels le terrible Ülfric Briseur-d’âme, la Général Noirmanguer, le colossal Thôork et notre célébrité locale, l’invaincue, la belle, la redoutable Céleste, dite la Valkyrie d’Ashnard ! Compétition ouverte à tout les guerriers ou pauvres fous ! Frais d’inscriptions de 100 pièces seulement !Alors que le héraut s’éloignait et que des discussions enthousiastes s’amorçaient autour de lui, le Loup Noir resta songeur. Il ne connaissait aucun des noms cités mais ne doutait pas qu’il s’agissait sans doute d’incroyables combattant. Et puis il n’était pas venu pour se battre. D’un autre côté … la récompense promise était alléchante, et cela serait une bonne mise à l’épreuve pour lui.
Un rictus figé sur ses lèvres, il se mit inconsciemment à compter les pièces qui lui restait. 97 … 98 … 99 … 100 …
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- Mesdames et Messieurs, nobles et valeureux habitant du Grand Empire d’Ashnard, je vous souhaite la bienvenue pour l’ouverture officielle de la 15ème édition du Grand Tournoi de Nebelheim ! Et sans plus attendre, commençons tout de suite avec le premier combat. Venu tout droit des steppes glacées du Nord, je vous présente … Somni Dercete ! Et face lui, un vagabond venu dont ne sait où, Zorro Wolfen, dit Loup Noir !Les grilles de sa cellule s’ouvrirent devant Zorro, qui pénétra dans l’arène en terre battue sous les acclamations de la foule, faisant remonter de vieux, très vieux souvenirs. Le sable, la foule en délire, l’excitation et l’adrénaline, le spectacle …
Clignant des yeux pour s’adapter à la soudaine luminosité, le mercenaire regarda autour de lui, s’appropriant l’espace où il allait combattre.
A quelques pas devant lui se tenait son adversaire. Immense, bien plus grand que lui, musculeux, il ne portait qu’un pagne grossier, exposant à l’air libre une épaisse toison brune, des pieds de taureau et une épaisse tête bovine. Entre ses mains larges comme des assiettes, le minotaure tenait un bec de corbin d’une taille monstrueuse.
- Je vais t’écraser moucheron ! T’aurais jamais dû venir ici. J’vais être gentil, abandonne tout de suite, et je ne te briserais que quelques os !Sans répondre, Zorro se pencha en avant en une courbette moqueuse avant de gratifier son opposant d’un sourire narquois. La créature souffla rageusement, les mains crispées sur son arme.
- Que le combat commence !
Le dernier mot n’avait pas fini de résonner que le minotaure bondissait en avant, l’arme brandie au-dessus de sa tête. Esquissant un demi-pas sur le côté, le Loup esquiva l’attaque sans difficulté, la laissant passer à quelques centimètres de son corps, et flanqua une baffe magistrale à son adversaire avant de reculer, hors de portée de la contre-attaque.
Le combat continua sur le même rythme pendant quelques minutes, le mercenaire esquivant avec une facilité désinvolte les attaques de plus en plus enragées de son opposant, lui lançant après chaque assaut des piques outrancières qui résonnaient à travers l’arène, faisant rire la foule et aiguillonnant la colère de la créature. Oubliant toute contenance, toute lucidité, Somni se lança dans une série de mouvements dévastateurs, tentant d’écraser cette irritante sous-merde qui se foutait de sa gueule depuis le début !
C’était ce que Zorro attendait. Perçant au travers de la défense de son adversaire, faisant usage de son épée pour la première fois depuis le début de l’affrontement, il eu un geste d’une précision et d’une vitesse fulgurantes. Le bec de corbin du minotaure s’envola et s’écrasa plusieurs mètres plus loin alors que son propriétaire regardait stupidement ses pouces inertes, leur tendon sectionné par la lame de l’aventurier.
-Tu devrais abandonner et aller te faire soigner. Ta blessure est légère, mais si tu forces, tu ne pourras même plus attraper ta queue quand tu voudras te faire plaisir. Déjà que tu dois avoir du mal …Avec un hurlement féroce, le Nordien chargea, la tête baissée, ses cornes accrochant un éclat de soleil. Cette fois, Zorro n’esquiva pas l’attaque. Solidement campé sur ses jambes, il saisit le taureau par les cornes et profita de son élan pour le renverser. Il y eu un crac retentissant quand l’épaule de la bête percuta le sol, disloquée, suivi d’un boom sonore lorsque Zorro abattit le pommeau de son épais sur son crâne épais. Avec un léger gémissement Somni Dercete roula sur le dos, inconscient.
Un silence de plomb s’installa sur l’arène. Silence que le voyageur rompit d’une voix amusée.
- Monsieur le juge, il me semble que mon adversaire est hors-service. On fait quoi, on attend quelques heures qu’il se réveille ou on passe à la suite des réjouissances ?Ces mots tirèrent l’arène de la stupeur dans laquelle elle était. Un grondement sourd monta de la foule et s’accentua jusqu’à se muer en un tonnerre d’applaudissements et de hourras.
- Ce … Incroyable Mesdames et Messieurs. Voilà une superbe conclusion pour se premier combat de la journée ! Je déclare le Loup Noir vainqueur de la première manche, il est qualifié pour le prochain échange ! Passons maintenant au second combat …**********~~○~~**********
Plusieurs jours passèrent ainsi. Zorro continuait de gagner chacun de ses combats, malgré la diversité de combattants. Il fut plusieurs fois mis en difficulté, ses adversaires étant loin d’être tous aussi simplistes que Somni. Il affronta des soldats et mercenaires vétérans, des experts en arts martiaux, des assassins retors et même quelques mages sournois. Ce furent ces derniers qui lui posèrent le plus de problèmes, leur magie imprévisible les rendant particulièrement redoutables, mais ses réflexes et sa très longue expérience lui permirent à chaque fois de s’en sortir. Pas une fois il n’usa de sa capacité spéciale.
Les paris, auxquels il participait allègrement, allaient bon train et lui permirent de gagner l’argent nécessaire pour se loger, se nourrir et, plus important, améliorer son équipement. Il fut rapidement donné pour favori, se partageant la tête d’affiche avec l’intrigante Valkyrie.
Lorsqu’il ne combattait pas, il se reposait et prenait soin de son matériel, ou alors il essayait d’assister aux matches de ses futurs adversaire, observant leur style, réfléchissant à des manières de triompher quand viendrait son tour.
Vint finalement le jour des avant-derniers combats. Zorro combattait en fin de journée, aussi en profita-t-il pour observer ses prochains adversaires. Le premier combat fut époustouflant. D’une intensité à couper le souffle, il se solda par l’éclatante victoire de la Valkyrie d’Ashnard. Le mercenaire l’avait déjà vu à l’œuvre, mais jamais encore d’aussi près et sa silhouette menue de poupée ne laissait en rien deviner la force diabolique qu’elle déployait au combat.
Le second affrontement fut un véritable déchainement de violence et s’acheva en apothéose par un inattendue double KO, les deux adversaires s’étant écharpés mutuellement jusqu’à tomber en même temps dans la terre battue gorgée de leur sang.
Arriva enfin son tour. Lorsque les grilles s’ouvrirent, il pénétra dans l’arène sous les vivats de la foule.
- Loup Noir ! Noirmanguer ! Loup Noir ! Noirmanguer !Observant son adversaire, Zorro s’inclina devant elle, sans aucune trace d’ironie. Il avait eu l’occasion de la voir combattre et en avait conçu un profond respect. La Générale lui rendit son salut, inclinant sa tête blanche aux yeux dorés, ses ailes de chauve-souris battant dans son dos.
- Puisse tes dieux être avec toi aujourd’hui.- Et que ta bravoure t’apporte la victoire.Avant même que le présentateur n’annonce le début des hostilités, dans un parfait accord ils se ruèrent l’un vers l’autre, l’arme au clair. Le succube s’éleva soudain dans les airs, soulevant un nuage de poussière. Zorro se laissa glisser sous elle et se redressa d’un mouvement souple, tournant sur lui-même. Fracas des lames. Pluie d’étincelles.
Les deux combattants se séparèrent puis s’unirent de nouveau, tournant l’un autour de l’autre en un ballet mortel, elle volant dans les airs, lui ne touchant le sol que de brefs instants, le temps de bondir de nouveau.
Soudain un hurlement strident déchira l’atmosphère et le succube se posa lourdement au sol, une aile déchirée par la lame de Zorro. Ce dernier atterrit un peu plus loin, du sang coulant le long de son bras gauche, frappé par la queue de la créature.
Une sphère ténébreuse naquit dans la main de la démone, qu’elle projeta comme la foudre vers le mercenaire. Il l’évita de justesse mais fut fauché de plein fouet par la seconde sphère. Il s’écroula, sonné, et roula d’instinct sur le côté. Juste à temps ! La lame de son adversaire transperça le sol à l’endroit précis où son cœur se trouvait un instant plus tôt.
Le Loup Noir pivota sur une jambe, fauchant celle de Noirmanguer qui tomba à terre à son tour et il se jeta sur elle. Ils luttèrent au sol un moment, chacun cherchant à renverser l’autre et à se dégager. De sa queue elle lui fouetta le dos, il se protégea avec le fourreau de sa lame et répliqua par un coup de tête fort peu courtois en plein sur le nez du succube. Un globe violacé se forma sur sa poitrine, enfla et explosa, les projetant tout deux à une extrémité de l’arène. Lorsque la poussière retomba, Noirmanguer se tenait debout, les ailes en charpie, du sang coulant de son arcade sourcilière et de son nez éclaté, sa queue pendant lamentablement sur le sol. A l’opposé Zorro s’était aussi relevé, la lèvre fendue, le pantalon déchiré et le bras gauche tordu selon un angle inquiétant, du sang s’en écoulant et goutant dans la terre battue.
- Tu te bats bien. Si tout les soldats d’Ashnard combattaient comme toi, nous aurions déjà gagné la guerre.- Tu te débrouilles pas mal non plus !Ils s’élancèrent à nouveau l’un vers l’autre. Un rictus identique déforma leurs lèvres. Ils levèrent leur lame d’un même geste. Choc. Bruit assourdissant. L’air crépite. Une lame tourbillonne dans les airs, sans son manche, et se plante à la verticale dans le sol.
- Bien joué …Noirmanguer s’effondra, une longue estafilade courant sur sa poitrine, remontant le long de son bras jusqu’à la poignée sectionnée de son épée. Plus loin Zorro resta debout, inchangé. Même son bras gauche ne semblait pas si mal en point. Seule sa lame portait la marque de leur dernier assaut, sa pointe brisée.
- Bien joué toi aussi.
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Le lendemain, midi. Le soleil était haut dans le ciel. Protégé de sa morsure par l’ombre présente sous l’arène, Zorro attendait patiemment, parfaitement remis de ses blessures de la veille et heureux de savoir que les jours de Noirmanguer n’étaient pas en danger. Une ombre d’inquiétude voilait cependant son regard d’émeraude. Si Noirmanguer avait été une adversaire redoutable, alors qu’en serait-il de la Valkyrie, seconde finaliste et son prochain opposant ?
Un sourire plein d’expectatives tordit les lèvres du mercenaire. Il se leva, s’étira, s’approcha des grilles.
-Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs ! Bienvenue pour la grande finale de cette 15ème édition du Grand Tournoi de Nebelheim. Ils ont triomphé de tout leurs adversaires, vous offrant un spectacle digne de l’Empereur lui-même, et aujourd’hui ils vont s’affronter. Pour l’honneur ! Pour la gloire ! Et pour votre plus grand plaisir ! Messieurs Dames je vous prie, une ovation pour Céleste, la Valkyrie d’Ashnard et Zorro, le Loup Noir !Les grilles s’ouvrirent pour la dernière fois et Zorro s’avança dans la lumière alors qu’à l’autre bout son adversaire en faisait autant.
Que la danse commence !