Stop. Une main. L’ombre sent un contact chaud contre son crâne, heureusement, elle ouvre les yeux. Sinon, elle aurait pu céder à la panique, d’ailleurs, son corps se tend. Sa raison carbure, mais l’habitude a un trop grand empire, alors son corps se tend, ses muscles se contractent, au bord de la tétanie, quand elle croise le regard de l’homme, cette ombre se détend un peu. Malgré ce contact visuel, lorsque sa nuque est saisie, elle voit l’enfer se dérober sous ses pas. Au fond, au plus profond de ses yeux, tout chavire. Un rire, un mur brisé, des éclats, des rires, des hurlements. Il cajole. Elle ne le voit plus. Elle ne voit que cette ombre qui profite d’elle. Un ordre et tout s’arrête.
Détente. Flash. Lumière, ombre. Gaby rouvre les yeux. Un peu plus détendus, ses muscles semblent aspirer à se blottir, à chercher un contact et pourtant, aucun mouvement, sa raison veut être cajolée, mais, bientôt, plus rien. Plus un soupir. Gaby le suit du regard, son corps obtempère sans problème. La silhouette cherche où poser son regard, ses lèvres ? Non, ses joues ? Elle se plonge dans les yeux du mâle, détaillant ses iris, jusqu’au moindre détail pour s’en souvenir comme de son prénom. Elle écoute. Attentivement. L’écoute lui est essentielle. Son regard est perdu, froid, toujours sans émotion. Il semble qu’elle est privée d’âme. L’ange déchante, un éclat brisé passe au fond de son regard. L’attacher ? Pour éviter de souffrir ? Son visage est contrit, sa raison hésite. Pourquoi entraver ? Pour se préserver. Pourquoi lui ? Pour l’expérience. Gaby s’avance vers lui, saisit les menottes de ses douces mains agiles. L’ombre observe le mécanisme, au coeur de ses yeux, rien ne passe plus. Seul… Cette horrible glaciation. Attacher, Gaby n’en a jamais eu l’occasion. Andrew à l’air de savoir ce qu’il fait, alors la forme s’exécute. Elle l’entrave. Son coeur n’est pas de cet avis, il pense même qu’ensemble ils pourraient s’en sortir, mais une fois encore, son raisonnement tait les contestations. Gaby ne veut plus souffrir. Plus jamais. L’accalmie, voilà à quoi sa raison aspirait.
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Un rire. Comme chaque fois, il ne l’a pas entendu entrer, est-ce que les ténèbres sont là depuis le départ? Les consignes sont claires, blouse obligatoire, pourtant, elle n’en porte pas. Après tout, ici, c’est elle qui dirige tout. Jusqu’aux plus vagues pensées, jusqu’aux plus insoupçonnés tourments. Il la connaît exclusivement sous cette apparence d’ailleurs. Il n’a jamais eu l’occasion de l’approcher cependant. C’est elle qui décide où et quand. C’est elle qui mène la danse, toujours. Une jeune femme sort des ténèbres, ses yeux sont méprisants, calculateurs, manipulateurs, son sourire est mauvais. Ses doigts effleurent avec douceur l’épaule du travailleur tendu, ses épaules sont raides. Son nom ? Ici, on l’appelle Patronne, ou Boss pour certains. Personne ne sait qui elle est ni comment elle est véritablement. Elle est une énigme que beaucoup ont tenté de percer à jour, mais que personne n’a pleinement compris. D’ailleurs, lui, il ne sait pas. La patronne sait tout, elle penche ses lèvres rouges vers l’oreille du scientifique et susurre de sa voix mielleuse, pourtant grave et sérieuse. “
Ne soyez pas si tendu. Votre perfectionnisme finira par avoir raison de vous.” Les expériences se portent bien, pas un instant ses yeux se sont posés sur lui, le seul contact qui lui est permis sont ces doigts cruels qui remontent sur sa nuque puis dégringolent sur ses bras, deux d’entre eux viennent se poser à l’endroit exact où ses lèvres s’agitent. Pourtant, elle n’a pas regardé, elle sait, c’est tout.
Sa colère, elle la ressent. C’est ce qu’elle aime. La patronne recule lentement, pose son index sur ses propres lèvres, un sourire abominable règne sur son visage si … Désirable. De jolies mèches blondes adoucissent un peu ses traits, ses canines se dévoilent sous cette mimique de plus en plus diabolique… A quoi pense-t-elle ? Que fait-elle donc ?
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Le visage toujours tourné vers l’homme, Gaby pose sa main sur la joue d’Andrew. Elle s’assoit un instant, juste à côté de lui, sur sa couche. Puis elle détourne les yeux, un pressentiment, elle observe les alentours, rien. Ses paupières s’abattent, elle saisit le barreau de fer et grimpe à nouveau, hors de la vue de l’homme. Alors, plus un mot. Presque plus un soupir, Gaby est à présent sur le matelas, l’ombre est allongée, observant la caméra qui la lorgne. Perdue dans l’immensité, sa raison se calme peu à peu, tout redevient comme auparavant. L’ombre se croit seule, à nouveau. Déchirant un silence, Gaby déclare de sa voix sans vie, sans conviction:
“
Désolée..”
Entendit-il.~~~
Les néons vacillent, au-dessus d’elle, retirant son index de ses lèvres, elle ordonne à l’homme qu’elle n’a toujours pas daigné regarder:
“
Doublez la dose de stimulant de l’expérience 106, ne donnez plus de décontractant à 5508, il finira bien par supplier 106 de s’occuper de lui. Lorsque la bête s’éveillera… L’ange tombera.” Toujours aucun regard, elle s’éloigne, son jean parfait ses courbes, surtout ses hanches. En passant, elle attrape dans le casier une blouse qu’elle enfile. Elle passe ses cheveux par-dessus le vêtement blanc. Enfin, un contact visuel, elle daigne s’intéresser à lui. L’acier de ses yeux est coulant, presque argenté, de malice il brille, puis bientôt s’éteint d’un battement de cil. “
Et ne me sanctionnez pas, vous savez que j’n’en ai rien à foutre de la procédure.” Elle saisit au passage une seconde paire de menottes qu’elle fait tourner d’un mouvement du poignet, sur son index, puis son majeur. La porte se claque. L’impératrice descend les escaliers et se dirige vers l’aile de la torture blanche.
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Ce n’est que trop tard que Gaby se rend compte du sifflement. Connu, beaucoup trop entendu, Gaby se recroqueville. Une mélodie qui
tétanise. Les caméras grésillent et arrêtent soudain de fonctionner, les leds rouges s'éteignent. Gaby tremble.
Elle le sait. Gaby a peur.
Elle rit. Un verrou magnétique ouvert, puis deux jolies guibolles entrent, bien droites. L’ombre est, face aux ténèbres, assez petite, cette femme est grande, très grande. De par son expression, de par sa prestance et son pouvoir ici bas. La porte reste ouverte, après tout, ils ne peuvent pas s’enfuir, l’un est attaché et l’autre est bien trop… Faible.
“
Bien le bonjour, 5508. C’est pour toi que je viens. Ta petite stratégie est bien futile, amusante mais pathétique.”
La patronne s’avance, saisit le poignet de l’homme, même s’il oppose une résistance, la force de la demoiselle est bien plus importante. Etrange d’ailleurs, elle ne semble pas l’utiliser pleinement, cette force. Elle l’attache donc au second barreau. En haut, le scientifique doit certainement pester. Après tout, il ne voit plus ce qu’il se passe depuis maintenant deux minutes. Gaby n’a toujours pas parlé, après tout, personne ne lui dit quoi que ce soit. Aucune raison de s’exprimer… La commandante s’assoit à côté de l’homme. Andrew ne l’a jamais vue. Elle approche ses lèvres du visage de cette bête attachée, ses doigts effleurent avec douceur la pommette de l’homme, son pouce se pose sur sa bouche.
“
... Quand donc sortira cette bête, dis-moi, 5508.”
Rhétorique, elle n’attend pas de réponse, un rire s’élève, la joue d’Andrew est alors souillée de trois petites claques, comme un marchand d’esclaves qui montrerait aux acheteurs une belle bête. Après tout, c’est ce qu’il est à présent. “
Ta tentative de résistance sera soldée par un arrêt de prise de décontractant, 5508. Aussi longtemps que tu résisteras, ce qui ne devrait pas durer bien longtemps.” Elle lui rit au nez, relevée, dos à lui. La cheftaine s’éloigne, l’acier de ses yeux rencontre la pureté des prunelles de Gaby. “
... Ce n’est plus qu’une question de secondes, tu le sais, 5508. Pourquoi ne l’as-tu pas prévenue ?”
Entendit-il. “
Ooh… Mais tu es bien plus cruel que tu ne le laisses paraître, visiblement. Serait-ce donc ce que tu as trouvé pour masquer éphémèrement ta véritable nature ? L’omission ?”
Gaby se redresse lentement, les sourcils froncés, l’ombre accroupie sur sa couche, fixant le monstre qui s’en va. La porte se referme. Les caméras reprennent leur bon fonctionnement. Elle n’attendait plus qu’une seule chose à présent, des soupirs, râles et supplications. Gaby redescend une fois hors de danger, allant au barreaux, Gaby se tourne vers Andrew…
“
Que… Voulait-elle dire?”